À la suite du résultat du référendum du 23 juin 2016, les conséquences du retrait potentiel du Royaume-Uni de l'Union européenne ne sont pas encore connues. Conformément à la réglementation européenne, l'article 50 du traité de Lisbonne offre la possibilité à un pays membre de se retirer de l'Union européenne à la suite d'une notification au Conseil européen. L'État en question et le Conseil négocieront ensuite un accord de retrait. Même si le Royaume-Uni n'a pas encore informé formellement le Conseil européen de sa décision de se retirer de l'Union européenne, le premier ministre Theresa May a annoncé, en octobre 2016, l'intention du gouvernement d'engager la procédure décrite à l'article 50 d'ici la fin du mois de mars 2017. Très récemment, la situation s'est compliquée lorsque la Cour Suprême a décidé que le Parlement britannique sera tenu de donner son accord avant que les négociations officielles sur le départ de l'UE puissent commencer. Le gouvernement a réagi en déclarant que la décision susmentionnée ne retarderait pas le "Brexit".
La situation peut sembler suffisamment encadrée dans le contexte de la réglementation européenne, mais cela ne semble pas être le cas dans le domaine économique, évidemment, mais également contractuel. Sept mois après cette décision historique, de nombreuses questions restent toujours sans réponse. L’une d’elles, primordiale, est de savoir dans quelle mesure le "Brexit" pourrait permettre à une partie d’obtenir la résiliation d’un contrat et de se libérer de ses obligations, soit en droit français, soit en droit anglais. À cet égard, une première distinction doit être faite entre les contrats futurs et existants. En outre, concernant les contrats existants, il convient d'examiner si le contrat en question a été conclu avant l'annonce du référendum ou à la suite du résultat de celui-ci.
Sauvées par le gong ?
Après l'annonce du référendum en 2013, certaines parties contractantes et leurs conseillers avaient envisagé la possibilité que le Royaume-Uni quitte l'Union européenne et avaient adopté certaines mesures de protection. Dans les contrats commerciaux, les parties invoquent des "clauses Brexit", qui ont été incluses dans les contrats conclus avant le vote du 23 juin 2016. Ces clauses, vaguement définies, permettraient aux acheteurs de mettre fin à leurs contrats commerciaux en cas de Brexit avec des conséquences minimales pour eux.
Certains acheteurs, notamment dans le domaine de l'immobilier commercial, ont rédigé des dispositions contractuelles spécifiques avant le référendum, qui leur permettraient de se retirer entièrement du contrat si le résultat final du référendum était de quitter l'Union européenne. La validité, ainsi que l'effet éventuel de telles clauses, dépendent de leur rédaction. Dans l'hypothèse où, comme mentionnée ci-dessus, une clause prévoyait qu'une partie peut résilier le contrat à la suite d'un résultat positif du référendum, ces clauses peuvent être invoquées et seraient valables en principe en droit anglais.
À ce stade, les juristes sont confrontés à une première problématique. Est-ce que le résultat du référendum est synonyme de Brexit ? Et, dans le cas où il ne l'est pas, quand le Brexit va-t-il produire ses effets ? Les parties contractantes ont-elles la même définition quant au "moment du Brexit" ? Techniquement, celui-ci se produira officiellement lorsque le Royaume-Uni cessera officiellement d'être membre de l'Union européenne. Par ailleurs, comme l'article 50 du Traité de Lisbonne n'a jamais été mis en œuvre auparavant, on ne peut pas évaluer de quelle manière le Brexit prendra effet. Ceci rend d'autant plus difficile l'anticipation de ses effets sur les accords commerciaux.
Par conséquent, il est évident que les "clauses Brexit" susmentionnées ne peuvent pas provoquer immédiatement la résiliation du contrat. Les parties à des contrats commerciaux devront attendre non seulement que l'article 50 soit officiellement déclenché, mais aussi que la législation soit promulguée, mettant fin à l'adhésion officielle du Royaume-Uni à l'Union européenne ou, tout du moins, que les négociations avec l'Union européenne aient atteint un stade avancé et qu'il existe un certain degré de certitude quant à la forme que prendra leur future relation.
L’application du principe de force majeure et de frustration
La notion de force majeure est reconnue en droit français et fait désormais l’objet d'une définition précise dans le Code civil à la suite de l'ordonnance n° 2016-131 de février 2016. Selon le nouvel article 1218 : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur […] . Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations […]. »
Cette définition prévoit trois critères qui doivent être satisfaits pour que l'une des parties ne soit pas capable d'exécuter ses obligations contractuelles et soit donc en mesure de résilier le contrat. À cet effet, de nombreux arrêts rejettent la qualification de force majeure parce que l’un des caractères fait défaut, mais cela se justifie si le caractère en question est indispensable. La jurisprudence dominante veut que le cas fortuit soit imprévisible et irrésistible.
Concernant la résiliation d'un contrat pour des raisons de force majeure, on pourrait faire valoir que la décision du 23 juin pourrait être considérée comme un évènement extérieur (« échappant au contrôle du débiteur ») et irrésistible (« échappant au contrôle du débiteur » et « dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées »). En revanche, considérant qu'en janvier 2013, David Cameron avait promis un référendum sur l'Union européenne, le résultat ne peut pas être considéré comme imprévisible (« qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat »). Par conséquent, les parties ne peuvent pas chercher à résilier leur contrat sur la base du principe de la force majeure. La situation peut être examinée différemment par le juge français si le contrat en question a été conclu avant l'annonce de David Cameron, l’ancien premier ministre britannique, au moment où le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne n'était pas encore envisagé.
La notion de force majeure n'est reconnue en droit anglais que si elle est expressément prévue dans les termes d'un contrat. De plus, le juge anglais a une interprétation plus restrictive du libellé d'un contrat par opposition au juge français. Contrairement aux points mentionnés ci-dessus, l'environnement juridique anglais ne contient aucune théorie générale relative à la force majeure et la notion est souvent interprétée au cas par cas par les tribunaux compétents.
Étant entendu qu'une partie ne peut pas être automatiquement dispensée de ses obligations une fois qu'une situation de force majeure s'est produite, les parties et leurs conseils doivent faire particulièrement attention à la rédaction de la clause en question. De manière générale, le simple fait d'un changement économique, qui rend le contrat moins bénéfique, ne peut pas être considéré comme suffisant pour mettre un terme au contrat, sur la base de la notion de force majeure. Par conséquent, il semble que la résiliation d'un contrat pour des raisons de force majeure soit plutôt limitée en ce qui concerne le droit anglais. Toutefois, lorsqu'aucune référence à une clause de force majeure ou à une autre clause de nature similaire n'est faite, les parties peuvent se référer à la doctrine de common law dite de "frustration" afin d’obtenir la résiliation du contrat.
L'effet de la "frustration" est la résiliation automatique du contrat, les parties étant libérées de leurs obligations. Étant donné la nature de ces conséquences, les tribunaux appliquent cette doctrine de manière très restrictive. Toutefois, cette doctrine ne s'applique que lorsqu'un événement survient après la conclusion du contrat et qui affecte son exécution au point où elle devient impossible ou illégale ou les obligations des parties deviennent radicalement différentes de celles envisagées avant ou au stade de la conclusion du contrat. De plus, l'évènement provoquant la "frustration" ne peut être attribué au comportement fautif de l'une des parties.[1]
En ce qui concerne la "frustration", la prévisibilité n'est pas considérée comme un élément clé. Toutefois, moins un événement est prévisible, plus le contrat a de chance d’être résilié conformément à la doctrine de frustration. L'application de la doctrine de la "frustration" à la suite d'événements liés au Brexit semble être limitée, puisque la partie qui se réfère à cette doctrine doit démontrer que l'exécution du contrat est devenue impossible en raison du Brexit. De nouveau le Brexit est à un stade si préliminaire qu’il est pratiquement impossible, par exemple, d'avoir une image claire de la façon dont les taux de change (et la dévaluation de la livre) affecteront les contrats existants et à quel point les fluctuations monétaires peuvent rendre l'exécution d'un contrat impossible.
La nature ainsi que l'interprétation du contrat sont deux points principaux. Ainsi, si la libre circulation entre le Royaume-Uni et l'Union européenne était un élément essentiel du contrat, alors le Brexit, qui par principe rompt cette libre circulation, entraîne une impossibilité d'exécution du contrat. Toutefois, en raison du stade précoce du Brexit, dans le scénario susmentionné, une partie ne peut pas se fonder uniquement sur ce point pour la résiliation du contrat. Pour le moment, il n'existe en effet aucune indication sur la manière dont le régime législatif entre l'Union européenne et le Royaume-Uni sera formé. Compte tenu du fait que l'immigration était l'un des principaux arguments afin de quitter l'Union européenne, il est peu probable que le Royaume-Uni continuera à faire partie de l'AELE. Le point susmentionné pourrait constituer un sérieux problème pour certains secteurs économiques, comme le secteur de la construction et du BTP qui est fondé – de façon significative – sur l'offre de main-d'œuvre étrangère.
Dans certains domaines, la question législative peut revêtir une importance particulière. Dans le secteur de la construction par exemple, une partie de la législation européenne est actuellement intégrée dans la loi britannique [2] . Il reste tout de même à voir comment la réglementation britannique sera adaptée concernant les cas où elle se réfère aux directives et règlements européens.
L'application de clauses de sauvegarde
La clause de renégociation est celle par laquelle les parties prévoient que, en présence de certains faits qu'elles caractérisent, elles s'efforceront de se mettre d'accord pour modifier la teneur des obligations prévues par le contrat en cours. Le but de la clause de renégociation est donc de maintenir le contrat, mais sur des bases renouvelées. Certains contrats, internationaux et internes comprennent des clauses de sauvegarde ("hardship clauses") ou des clauses de changement significatif défavorable ("material adverse change clauses").
La théorie de l'imprévision, conformément à l'article 1 195 du code civil, est fondée sur la possibilité pour une partie de demander la renégociation d'un contrat avec son cocontractant en cas de changement de circonstances imprévisibles pendant la conclusion du contrat et rendant son exécution excessivement onéreuse. De nouveau, le moment de la conclusion du contrat revêt une importance particulière lorsqu'il s'agit de justifier le caractère imprévisible du "changement de circonstances".
Selon l'article 1195 alinéa 2 : « En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe. »
Toutefois, il est évident que l'intention du législateur français était de renforcer les contrats existants et de ne pas donner l'opportunité aux parties de résilier leurs contrats au moment où le contrat ou son exécution serait moins "pratique". À la suite de la décision du peuple britannique de quitter les peuples européens, une clause de renégociation du contrat semble être un outil qui, s'il est utilisé correctement, peut rééquilibrer le contrat en question.
Conclusion
Les conséquences du "Brexit" concernant les contrats existants ne peuvent pas être précisément anticipées. Les contrats doivent être revus attentivement pour voir si des références au droit de l'Union européenne sont faites, et si c'est le cas, les parties et leurs conseils doivent rester vigilants quant à la manière dont la réglementation européenne sera adaptée aux dispositions britanniques équivalentes ou si de telles dispositions seraient encore applicables une fois que le "Brexit" aura produit tous ses effets.
De plus, dans le cadre de changements de réglementation, il reste à voir comment les contrats qui contiennent des dispositions territoriales seront mis en œuvre. Cela signifie-t-il que les parties pourraient ne plus être capables d'exécuter un contrat comme prévu au moment de la conclusion? La réponse sera de nouveau examinée au cas par cas et compte tenu de la rédaction des conditions particulières du contrat.
Il ressort des points soulevés ci-dessus que la résiliation d'un contrat pour des raisons liées au "Brexit" peut être autorisée dans des situations très limitées tant sous les régimes anglais que français. Comme il a été mentionné précédemment, les principes de force majeure (en droit français) et de frustration (selon le common law) seront interprétés de manière très restrictive dans les deux systèmes juridiques comme moyen de résiliation d'un contrat.
Les points qui doivent être rappelés concernant le droit d'une partie de résilier un contrat sont le moment de conclusion du contrat (afin de voir si le caractère d'imprévisibilité peut par exemple être justifié) ainsi que la rédaction de la clause en question. S'agissant de la partie législative, qui revêt une importance particulière, nous ne savons pas quel sera le résultat des négociations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne et pour le moment nous ne pouvons que faire des hypothèses.
En ce qui concerne les futurs contrats, il est souhaitable que les parties – dans l'hypothèse où elles le souhaitent – incluent des clauses de résiliation suffisamment détaillées afin d'éviter toute ambiguïté.
[1] "Discharge by frustration"
[2] Par ex. the Construction Design and Management Regulation - EU Directive 1992/57/EEC