Le « 7 familles » de l'archi 6/7 - Les Sirvin, gardiens d'une œuvre menacée

Alors que la famille se mobilise pour la sauvegarde de la cité-jardin de la Butte-Rouge bâtie par ses aînés, plusieurs autres bâtiments sont déjà à jamais perdus.

 

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«La maison de mon grand-père était là, au bord de l'eau, en face de la statue de la Liberté. » Depuis les fenêtres de son appartement qui surplombe le pont de Grenelle à Paris, côté XVIe arrondissement, Claire Sirvin désigne l'emplacement en contrebas où son aïeul, l'architecte Paul Sirvin, avait fait surélever une ancienne biscuiterie pour y installer son domicile et son agence.

Avec ses lignes claires, le bâtiment témoignait élégamment du mouvement moderne en plein élan. Les parents de Claire habitaient dans l'immeuble où elle vit à nouveau aujourd'hui. Pierre, son père, était aussi architecte, comme allaient le devenir les trois frères de Claire, Luc, Pascal et Louis, puis après eux, Marc, Alexandre et Ugo, qui représentent la quatrième génération de cette lignée.

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Les Sirvin ne savent trop dire pourquoi Paul, le premier, s'est engagé sur cette voie. Né en 1891, il était fils d'un capitaine d'artillerie. Ce dernier ayant disparu prématurément, sa veuve et ses deux enfants avaient dû vivre chichement. Avec le métier d'architecte, Paul avait peut-être conquis une position sociale avantageuse, comme son frère aîné l'avait trouvée, lui, dans la profession d'avocat. Pour Pierre, en revanche, le destin semblait tracé. « Il était voué à devenir architecte, c'était évident », assure Louis, le dernier de ses fils. Et c'est ainsi que Pierre prit la relève de Paul, tout naturellement. La suite, à écouter les principaux intéressés, a moins relevé de l'hérédité.

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« Belle carrière ». Fils ou petits-fils de Pierre, ils disent plutôt en être arrivés là « par hasard », voire « par défaut ». « Ça m'a rattrapé », affirme Pascal, le frère de Louis et Claire. « J'ai même rejeté cette idée jusqu'au dernier moment », reconnaît son neveu Alexandre. Son frère aîné, Marc a d'autant moins suivi un modèle familial qu'il gardait un souvenir « glauque » du stage de 3e effectué parmi les équerres et les rouleaux de calques dans l'agence de son grand-père. « Et comme celui-ci était pudique, qu'il ne se vantait pas, je découvre seulement aujourd'hui ses projets et combien il a fait une belle carrière », reconnaît Marc. De la même manière, Ugo, son cousin, a appris sur le tard, au gré d'une visite de site pendant ses études, qu'un remarquable immeuble à façade courbe du rond-point du pont Mirabeau, dans le XVe arrondissement, était un bâtiment signé par son arrière-grand-père et ses associés.

A chercher ce qui les unit, on découvre toutefois une importance accordée au dessin, au détail élégant et un goût prononcé pour la création. « Mon père m'a amenée à l'amour de l'art contemporain », raconte Claire qui se souvient : « Nous avions le droit de peindre sur les murs de nos chambres. » Et si Pierre a découragé sa fille de choisir, elle aussi, l'architecture - « il disait que le milieu était très dur pour les femmes » -, elle a exploité son aptitude pour le dessin en devenant designer. Jérémy, journaliste sportif et fils cadet de Louis, s'amuse de cette famille « obsédée par la construction, le bois, la symétrie… ». Mais il dit aussi son admiration : « Quand je fais une chronique, une fois diffusée, elle n'a plus lieu d'être. Eux laissent une trace. Enfin, quand leurs bâtiments ne sont pas détruits. »

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Sujet douloureux. La démolition, sujet douloureux chez les Sirvin. Voilà des mois que la famille, Louis et Marc en tête, se mobilise aux côtés d'associations de défense du patrimoine contre la transformation annoncée de la Butte-Rouge à Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine). Un projet qui aboutirait à faire table rase d'une bonne partie de cette cité-jardin édifiée entre les années 1920 et 1960, d'abord par Paul, avec ses confrères Joseph Bassompierre, Paul de Rutté et André Arfvidson, puis par Pierre. Même leurs descendants ont eu l'occasion d'y intervenir, comme Louis, qui a œuvré à la campagne de réhabilitation des années 1990, ou comme Marc qui, alors qu'il était chez ANMA, a travaillé sur le projet de transformation de la piscine du quartier en théâtre pendant la décennie suivante.

La famille a déjà eu son lot d'œuvres perdues, à commencer par la maison-atelier des bords de Seine. Malgré ses efforts, Paul n'a pas pu empêcher qu'elle disparaisse pour laisser le passage à la nouvelle voie sur berge dans les années 1960. Autre crève-cœur que la destruction de la maison Girard, une splendide demeure brutaliste que Pierre avait dressée en 1971 sur un pied de béton au Plessis-Robinson (Hauts-de-Seine). Et pas plus tard que l'an dernier, à Paris, Pascal a vu se volatiliser le bâtiment aux lignes de paquebot en partance qu'il avait conçu à la fin des années 1980 pour être le siège de Médecins sans frontières. Il a certes été dédommagé mais, dit-il, « on a gommé une belle histoire d'un coup de bulldozer ».

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« Une question de morale ». Tant d'avanies expliquent peut-être l'énergie déployée pour ne pas voir disparaître ou être défigurée la majorité des quelque 4 000 logements accrochés sur les pentes de la Butte-Rouge. « L'enjeu est affectif, bien sûr, reconnaît Marc. Mais il est aussi social. » « C'est une question de morale », renchérit son oncle Louis. Tous s'exaspèrent de voir le site fait de modestes immeubles roses d'habitat social, noyés dans la verdure, promis à une gentrification probable. « C'est difficile d'expliquer à des gens : on va vous ficher à la porte, on va vous mettre dehors parce que ça va améliorer la vie du quartier ! » Ces mots étaient déjà ceux de Pierre, quand il s'exprimait sur la délicatesse avec laquelle il fallait intervenir lors de la campagne de rénovation des années 1990.

La semaine prochaine : la famille Tschumi.

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