Comment expliquer les inquiétudes des professionnels de l’immobilier autour de la taxonomie européenne ?
La régulation européenne est entrée en vigueur dans le quotidien des professionnels bien plus rapidement que l’on y était habitué avec les autres réglementations. Certes elle est complexe, mais elle est en train de changer nos modes de fonctionnement à l’échelle nationale et permet, nous l’espérons, l’accélération de la transition écologique dans l’industrie immobilière.
Pourtant, les grands groupes publient des rapports RSE depuis des années…
Si les directeurs RSE publient des données ESG depuis plus de 10 ans, la fiabilité des données n’a jamais été aussi challengée qu’aujourd’hui avec l’entrée en vigueur des réglementations européennes. L’essor des proptech a permis la massification de la collecte de données, pas sa fiabilisation. Or, c’est un point critique de la bonne applicabilité de ces mesures et de leur efficacité. Cela pose donc la question des moyens financiers et surtout humains pour permettre de stabiliser des indicateurs lorsqu’il y a lieu, à minima pour questionner et garantir la fiabilité des données.
Ainsi, souscrire les services de proptech ne suffit pas car le risque est élevé de se retrouver avec beaucoup de données, parfois parcellaires. Parmi les problèmes fréquemment rencontrés : des périodes de données absentes (des mois), des points de comptage manquants sur un même immeuble.
Pourtant, les labels pourraient constituer de bonnes boussoles non ?
La réglementation européenne vient bousculer les définitions établies depuis 15 ans d’un immeuble vert, bien souvent fondées sur les certifications et labels. En l’occurrence, les immeubles HQE ou BREAM ne sont pas forcément alignés sur l’objectif environnemental « atténuation du changement climatique » (lire ici, NDLR). En d’autres termes, au sens de la réglementation européenne, les immeubles certifiés ne sont pas forcément verts.
Mais ne sont-ils pas plus performants sur le plan énergétique ?
A l’OID, cela fait 11 ans que nous collectons des données sur les consommations énergétiques réelles et non théoriques sur des immeubles labellisés. En 2022, l’indicateur énergie « Bureaux certifiés en construction ou rénovation » est légèrement supérieur à l’indicateur standard bureaux. Statistiquement, les immeubles énergivores sont ceux qui proposent plus de surfaces et plus de services, ce qui caractérise généralement les immeubles primes que les gestionnaires vont chercher à certifier. Toutefois, la Taxonomie peut pousser les organismes qui proposent des certifications à rehausser les niveaux d’exigence...
Quelles conséquences les inquiétudes autour de l’application de la taxonomie ont-elles sur le marché ?
Le marché octroie actuellement une prime importante aux acteurs capables de donner confiance aux investisseurs. L’alignement d’un actif immobilier sur la réglementation européenne va avoir une incidence sur l’attractivité de l’actif auprès des investisseurs, mais aussi à terme, sur le taux de financement obtenu auprès des banques et financeurs.
Factuellement, on peut dire que la RSE a désormais dépassé les murs de la direction RSE. Et c’est probablement une bonne chose pour la transition écologique qui a gagné en importance dans l’agenda des directions financières et des directions générales. Et donc, l’orientation des investissements en fonction des indicateurs financiers basés sur des indicateurs de performance ESG continue à prendre de l’ampleur !
Pourquoi estimez-vous que la taxonomie avantage le neuf ?
En France, la DHUP a statué en octobre 2022 : respecter la RE2020 permet de respecter le critère de contribution substantielle pour la sous-activité de la construction. Pour l’activité « acquisition et propriété », les critères sont plus difficiles à appréhender et respecter pour les acteurs. En effet, être dans le Top 15 (des consommation énergétique, NDLR) ou disposer d’une étiquette A sur le DPE posent l’un comme l’autre la question du référentiel dans un contexte où la directive EPBD (Energy performance of buildings directive, NDLR), qui définit le DPE, est en cours de révision. De son côté, le gouvernement français vise la refonte du DPE pour les immeubles tertiaires, et les méthodes de calcul sont hétérogènes d’un pays à un autre.
Finalement, il sera bien plus simple pour tout gestionnaire immobilier d’acheter un immeuble construit après 2020 qui respecte la RE2020 pour être regardé comme vert en acquisition et propriété. C’est de cette manière que la taxonomie européenne donne un avantage concurrentiel très fort aux immeubles neufs. Le tout, dans un contexte où l’ensemble de l’industrie commence à intégrer le fait que le rythme de construction neuve devrait ralentir au profit de la rénovation, au regard du poids carbone des travaux, de l’épuisement des ressources, des déchets générés, de l’artificialisation des sols… pour ne citer que ces aspects environnementaux.