La route met le contact

Le développement des véhicules électriques pousse la voirie à s'adapter. Souvent inspirées du ferroviaire, de nouvelles solutions de recharge émergent.

 

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Un patin disposé sur le plancher du véhicule permet la mise en contact électrique avec le rail.

Trois millions de voitures électriques circulaient dans le monde en 2017, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Ce chiffre demeure encore modeste, mais il pourrait s'élever à 130 millions d'ici à 2030 si les ventes continuent d'augmenter. Sans compter les bus, les camions et les deux-roues, dont les flottes verdissent aussi rapidement. Pour alimenter les batteries des véhicules individuels, la solution déployée à ce jour reste la recharge statique depuis une borne. « Quel que soit le véhicule, elle implique son immobilisation », relève Aurélien Schuller, consultant chez Carbone 4, cabinet de conseil spécialisé sur la transition énergétique et l'adaptation au changement climatique. Contraignante, cette solution l'est encore plus pour les poids lourds. Volumineuses et lourdes, leurs batteries impactent en outre la charge utile des camions.

Des dispositifs plus ou moins contraignants. La route pourrait permettre de contourner ce problème. Afin de tester des systèmes de recharge dits « dynamiques » - soit pendant que le véhicule roule -, plusieurs pays ont ainsi lancé des expérimentations sur des pistes d'essai ou sur des portions de chaussée. Depuis 2015, le français Alstom étudie en Suède l'alimentation par le sol, qui consiste à faire rouler un camion équipé d'un patin au niveau d'un rail électrique (lire encadré ci-dessous). En France, l'institut Vedecom met à l'épreuve un système de recharge par plaques à induction (lire encadré p. 67). Et nos voisins allemands ont ouvert en décembre 2018 une portion d'autoroute où les camions se rechargent à l'aide de caténaires (lire encadré p. 66). Autant de solutions qui nécessitent de modifier l'infrastructure, dans des proportions plus ou moins importantes.

« Installer un rail au centre de la voie de droite ne nécessite que de réaliser une tranchée. Toutefois, nous n'avons pas encore évalué l'impact de ce dispositif sur le vieillissement de l'enrobé routier, même si plusieurs études sont en cours sur le sujet », précise Patrick Duprat, responsable de la solution route électrique chez Alstom. Sans compter que l'installation d'un rail nécessite de drainer l'eau de la chaussée afin d'éviter qu'il ne soit noyé. Enfin, cette solution paraît incompatible avec le salage des routes en hiver, car l'eau salée est particulièrement conductrice.

Autre piste séduisante, la recharge par induction au sol suppose quant à elle l'intégration des équipements dans l'enrobé. A terme, les plaques de recharge devront être placées sous la couche de roulement, sans dégrader la qualité de la chaussée. En définitive, seul le système par caténaire n'impacte pas l'infrastructure. Pour autant, cette solution n'est pas sans défauts : elle peut en effet poser des problèmes d'acceptabilité environnementale du fait de l'impact paysager, ou entraîner des risques pour la sécurité routière, en cas de rupture d'une caténaire par exemple.

Prototypes. Une chose parait certaine, une seule technologie s'imposera. C'est pourquoi certains posent déjà des jalons. « Nous travaillons avec le Comité européen de normalisation en électronique et en électrotechnique (Cenelec) à la standardisation de nos composants pour l'alimentation par le sol », confie Patrick Duprat chez Alstom. Dans cette course à l'innovation, les équipementiers ferroviaires se positionnent comme des interlocuteurs incontournables. « Installer des caténaires ou un rail exige une expertise que possèdent ces industriels. Ce n'est pas le cas des opérateurs routiers », analyse Patrick Porru, responsable des affaires techniques à l'Institut des routes (Idrrim).

Malgré les difficultés, la concurrence entre les offres de recharge « dynamique » s'intensifie.

En retrait, les acteurs historiques restent néanmoins sur le qui-vive. Vinci Autoroutes et la société Autoroutes et tunnels du Mont-Blanc figurent sur la liste des commanditaires d'un rapport sur l'autoroute électrique. Réalisé par Carbone 4 et publié en février 2017, ce document devait vérifier la faisabilité socio-économique des systèmes proposés (induction, caténaires et rail). « Notre rapport montre que sur un tronçon très fréquenté comme Paris-Lille [1 400 camions par jour, NDLR], la recharge dynamique est viable économiquement, sans que les transporteurs aient besoin d'adapter leurs schémas logistiques », commente Aurélien Schuller.

En parallèle, des entreprises comme Colas ou Eurovia sont sollicitées pour leur expertise. « Nous n'en sommes qu'au stade des prototypes. Il est donc encore trop tôt pour identifier le rôle exact qui sera le nôtre », estime toutefois Pierre Delaigue, directeur de projets mobilités chez Leonard, la plate-forme d'innovation du groupe Vinci. Une certitude : ce sera aux autorités publiques de prendre des décisions, car l'avenir de ces systèmes concerne aussi les industries ferroviaire et automobile.

Rail : La chaussée du futur sur de bonnes voies

Au début des années 2000, Alstom déployait une technologie de recharge dynamique par le sol destinée aux tramways, qui permettait de se passer de lignes aériennes. Le système « APS » (pour alimentation par le sol) a depuis convaincu d’autres autorités organisatrices de transports, dont celles de Bordeaux, Angers et Tours. Mais le géant français n’entend pas se contenter du seul marché des tramways. Il teste désormais sa solution sur les camions électriques. Les essais se déroulent sur une section de voirie de 308 m située au siège de Volvo, à Göteborg (Suède). La piste a été équipée de 14 rails de 22 m alimentés en électricité. Lorsqu’un véhicule arrive au niveau de la section de recharge, un patin entre en contact avec le rail et permet ainsi la mise sous tension. « Nos essais fonctionnent : nous atteignons facilement une puissance d’alimentation de 100 kW, suffisante pour qu’un camion circule sans utiliser sa batterie, commente Patrick Duprat, responsable de la solution route électrique chez Alstom. Nous souhaitons atteindre les 400 kW, ce qui permettra à la fois d’alimenter le moteur électrique et de recharger la batterie. » Si cette technologie est éprouvée dans le secteur ferroviaire, elle nécessite des adaptations pour la route. « Nous travaillons avec des fournisseurs externes afin d’améliorer la conception des patins des camions, ce qui exige un savoir-faire spécifique. En parallèle, nous mesurerons avec l’Institut des sciences et technologies des transports et réseaux (Ifsttar) l’impact du rail sur la pérennité de la route », poursuit Patrick Duprat. Pour se passer de systèmes statiques de recharge, il faudrait équiper entre 30 et 50 % du linéaire autoroutier avec ce système. « A l’avenir, nous limiterons toutefois la longueur des rails à 11 m pour des raisons opérationnelles », précise le responsable. Pour l’heure, aucun déploiement à court terme n’est prévu en France. En Suède, en revanche, Alstom vient de se positionner pour un appel d’offres, destiné cette fois à équiper une portion de route courante.

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Caténaires : Pour les camions aussi, le courant vient d’en haut

Depuis le mois de décembre 2018, les poids lourds hybrides qui circulent dans la banlieue de Francfort (Allemagne) ne puisent plus dans leur batterie lorsqu’ils traversent cette zone : une section de 5 km de la voie de droite vient en effet d’être électrifiée sur l’autoroute fédérale A5, dans les deux sens. Pour se connecter au réseau et alimenter leur moteur, les camions n’ont besoin que d’un pantographe. Déjà utilisé sur les trains, ce dispositif articulé relie le véhicule au fil de contact de la caténaire déployée au-dessus de la voie. Charge aux capteurs situés sur le toit du poids lourd de détecter automatiquement la présence d’une caténaire, pour permettre au camion de déployer son dispositif de mise sous tension. « Notre technologie est similaire à celle utilisée pour électrifier le réseau ferré, à une différence près : notre solution nécessite deux câbles et non un seul pour capter l’énergie », explique Hasso Grünjes, responsable de la solution « eHighway » chez Siemens Mobility. Dans cette configuration le courant circule entre les deux pantographes et le camion n’est pas en contact avec un rail, contrairement au ferroviaire. Huit mois seulement ont été nécessaires pour équiper les deux sens de circulation de cette portion de route. « Non seulement notre solution est opérationnelle, mais elle impacte relativement peu l’infrastructure, ce qui garantit une installation rapide », se félicite le responsable. Siemens n’en est pas à son coup d’essai. En 2016, l’équipementier avait déjà équipé 2 km d’autoroute en Suède, près de la ville de Gävle, en partenariat avec le constructeur Scania. Les camions circulent toujours sur cette section expérimentale. En Allemagne, un second déploiement est prévu courant 2019 sur l’A1 vers Lübeck, au nord du pays.

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Induction : Des plaques en quête de puissance

Elle est surtout connue pour faire cuire les aliments, moins pour alimenter des batteries de voiture. Pourtant, l’induction électromagnétique qui fait fonctionner les plaques de nos cuisines inspire aussi les recherches dans le domaine routier. Depuis quatre ans, la fondation Vedecom teste un prototype de route à induction dans le quartier de Satory, à Versailles (Yvelines). Sur cette section de 100 m, la route a été équipée de plaques en résine contenant des bobines dans lesquelles circule un courant électrique. Lorsqu’un véhicule s’y déplace, il capte une partie de l’énergie générée par la route. La voiture doit pour cela être équipée d’une bobine au niveau de son plancher. L’énergie ainsi captée est transférée au moteur à l’aide d’un convertisseur. « Notre objectif est d’offrir une alimentation complémentaire à celle des batteries électriques », précise François Colet, chef de projet chez Vedecom. A Satory, les équipes sont parvenues à générer 22 kW, soit tout juste de quoi alimenter une Zoé ou une BMWi3. « Cette limitation levée, l’induction conserve tout son intérêt et pourrait alimenter indifféremment un véhicule léger ou un poids lourd », assure Pierre Delaigue, directeur de projets mobilité chez Leonard, la plate-forme dédiée à l’innovation du groupe Vinci. Les camions réclament en effet une puissance quatre fois supérieure (100 kW). « Nous travaillons avec les constructeurs routiers pour améliorer la rentabilité énergétique du système. Leur savoir-faire peut être très utile », ajoute François Colet. En attendant, Vedecom a réalisé un prototype démontable de route de 12 m de long pour les démonstrations. La dernière présentation de recharge a eu lieu en juin 2018 à Alençon (Orne), à l’occasion du salon de l’électromobilité.

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