L'objectif est on ne peut plus clair : « Nous visons le 100 % d'énergies renouvelables dans le mix électrique en 2030, avec une répartition équilibrée entre biomasse, solaire, hydraulique et éolien », explique Alin Guezello, conseiller régional en charge de l'énergie. Photovoltaïque, énergie marine, géothermie, hydroélectricité, éolien terrestre et valorisation énergétique des déchets… Toutes les pistes sont encouragées, testées, développées et les efforts paient : la région Réunion est aujourd'hui celle qui produit le plus d'électricité à partir d'énergies renouvelables. En 2016, sa production annuelle (2 943,6 GWh) est réalisée avec 34 % de renouvelables. Un bon score, même si les 66 % restants proviennent d'énergies fossiles importées. Majoritairement du charbon (39 %, soit 1 138,3 GWh), mais aussi du fioul, de l'essence et du gaz. Et pour cause, l'île, en tant que ZNI (Zone non interconnectée), n'est pas reliée au réseau continental des centrales nucléaires françaises.
Vers un cadastre solaire
Cet enjeu stratégique s'inscrit dans le droit fil de la de 2015, qui vise, pour les DOM, un seuil de 50 % de l'énergie consommée à partir de sources renouvelables en 2020 et, donc, à l'horizon 2030, une autonomie énergétique. « Les objectifs pour la partie électrique sont très ambitieux, mais réfléchis et partagés par l'ensemble des acteursde la Gouvernance de l' énergie, rassure Pierre-Yves Ezavin, directeur technique de SPL Énergies, une entité créée en juillet 2013 qui accompagne les collectivités dans le développement de projets énergétiques. Nous les avons présentés au secrétaire d 'État, Sébastien Lecornu, en visite en juin, qui mise fortement sur le solaire. » D'ailleurs, lors de sa visite, le lancement d'une étude sur le patrimoine bâti des entreprises et des particuliers a été annoncé. Il s'agit d'un « cadastre solaire, une sorte de cartographie des bâtiments, toitures et parcelles non-bâties et non-agricoles disponibles pouvant accueillir des panneaux photovoltaïques », détaille Alin Guezello.
Depuis, dans le contexte du débat sur la programmation pluriannuelle pour l'énergie (PPE), le secrétaire d'État a lancé le plan « Place au solaire », qui se veut une mobilisation générale pour le photovoltaïque et le solaire thermique. Ainsi, les prévisions pluriannuelles pour La Réunion visent une augmentation à échéance 2023 de 63 MW/an pour le photovoltaïque (y compris en autoconsommation) et une augmentation de 58,5 MW/an en photovoltaïque et stockage. De nouveaux appels d'offres de la Commission de régulation de l'énergie seront bientôt ouverts dans le cadre des objectifs de la PPE.
Le photovoltaïque décolle à La Réunion
Depuis le début des années 2010, le photovoltaïque a, en effet, pris une place grandissante dans l'île. Avec une production de 186,4 MW, et 44 000 panneaux installés, il représente près de 10 % du mix énergétique réunionnais. Un chiffre encourageant, mais loin du potentiel estimé entre 800 et 1 000 MW et visé pour 2030 par le conseil régional. Cela étant, le territoire constitue la région française qui compte le plus d'installations PV. « Le photovoltaïque a décollé à La Réunion entre 2006 et 2011 », note Charly Bell, dirigeant de Solar Trade, société spécialisée dans les solutions photovoltaïques en autoconsommation. Selon lui, « la baisse du coût des équipements photovoltaïques permet aujourd'hui d'atteindre la parité réseau, avec un prix de revient client de 0,07 € par kilowatt/heure solaire, sans stockage ». L'île a, par ailleurs, développé très tôt des installations maîtrisant le PV et le stockage. L'expérimentation Pégase (Prévision des énergies renouvelables et garantie active par le stockage d'énergie), lancée en 2010 à Saint-André, a, par exemple, permis de coupler une batterie sodium-soufre (Na-S) de 1 MW à une ferme photovoltaïque. C'est l'une des plus grosses capacités de stockage d'électricité existant en Europe (6 000 panneaux solaires sur une superficie de 10 000 m²).
Autre exemple avec la ferme photovoltaïque du cirque montagneux de Mafate. La start-up française Powidian, à la demande du groupe EDF-SEI, expérimente, depuis fin avril 2017, une ferme photovoltaïque couplée à un système de stockage par batterie à hydrogène. L'ensemble permet de rendre autonome en énergie ce hameau d'une soixantaine de foyers et de bâtiments publics. D'autres installations de ce type devraient voir le jour dans les prochaines années.
Doubler les installations
Pour faire grimper le nombre d'installations photovoltaïques, la Région octroie aux particuliers ou aux agriculteurs une prime de 1 000 à 6 000 € pour l'achat d'une centrale PV d'une puissance de 1 à 9 kWc avec ou sans stockage. Elle a également mis en œuvre un projet expérimental sur les ombrières photovoltaïques et compte en installer sur des sites de son patrimoine, à Saint-Denis et à Saint-Pierre, afin d'assurer la recharge d'une flotte de voitures et de vélos à assistance électrique (225 bornes avec recharge via énergies renouvelables devraient être installées jusqu'en 2023). Pour Alin Guezello, le PV devrait être au même niveau que les chauffe-eau solaires, très développés sur l'île, avec 60 % des maisons qui en sont équipées. Le 160 000 e client utilisant un chauffe-eau solaire a d'ailleurs été symboliquement salué en juin par Sébastien Lecornu.
La Région Réunion encourage leur développement via notamment un financement à hauteur de 80 % du prix de l'installation (programme Eco Solidaires) pour les familles en précarité énergétique. Elle pourrait même aller plus loin et inscrire, pour chaque maison neuve, l'obligation de s'équiper d'un chauffe-eau solaire thermique.
Développement de l'éolien, de l'hydraulique et de la biomasse
Les expérimentations sur l'hydraulique et la biomasse - qui représentent à elles seules près du tiers des apports énergétiques sur l'île (24 % de la production électrique) - ou sur l'éolien vont également bon train.
« Nous souhaitons remplacer le charbon par la biomasse d'ici à 2030 », explique Pierre-Yves Ezavin. Cela pourrait se faire via le bois énergie ou la bagasse, un résidu du broyage de la canne à sucre, brûlé pour produire de l'électricité - une tonne de canne produit environ 300 kg de bagasse pour une valeur calorifique de 7 900 kJ/kg (16 000 kJ/ kg pour du bois sec). L'île compte deux centrales de cogénération à combustion hybride bagasse/charbon : celle de Bois-Rouge (100 MW), une des premières mondiales inaugurée en 1992 dans l'Est de l'île, et celle de Gol, à Saint-Louis (110 MW) dans le Sud. À elle seule, la bagasse ainsi que les résidus fibreux de la canne à sucre produisent jusqu'à 8 % de l'électricité du territoire (244,1 GWh), soit la consommation de 91 000 habitants, et permet d'éviter l'importation de 138 000 t de charbon.
L'énergie hydraulique, quant à elle, contribue à hauteur de 16 % de la production électrique (465 GWh). « On pourrait atteindre les 30 %, regrette Alin Guezello. Il nous reste à générer 14 % de production supplémentaire d'ici à 2020. » Six centrales hydrauliques sont installées à La Réunion, dont celles de la Rivière de l'Est (79,2 MW) et de Takamaka (41,4 MW). Enfin, le schéma régional pour le développement de l'énergie éolienne adopté en 2015 et réalisé par SPL Énergies Réunion vise un objectif de l'ordre de 35 MW de puissance installée en 2020 et de 50 MW en 2030 sans considérer les évolutions technologiques des éoliennes. Une ressource qui reste cependant marginale et coûteuse : les cyclones et tempêtes tropicales impliquent des installations lourdes de type haubans et mâts rabattables.
Exploiter les températures sous-marines
Des expérimentations sont en cours un peu partout, comme des stations de transfert d'eaux pompées, du stockage à air comprimé, de l'éolien off shore en condition cycloniques… Parmi les tests en cours, l'IUT de Saint-Pierre compte ainsi un Prototype à terre exploitant l'énergie thermique des mers (PAT ETM), installé depuis 2012, permet la production continue d'électricité grâce à la différence de température entre eaux de surface (à 25 °C) et eaux profondes (5 °C à 1 000 mètres). Ces eaux alimentent un système thermodynamique et modifient l'état d'un fluide de travail qui entraîne à son tour une turbine pour la production électrique . Cette énergie renouvelable pourrait, à terme, remplacer la production à partir du charbon. Des types d'énergies marines exploitant la houle ont aussi fait l'objet de recherches, comme avec les projets Pelamis et Ceto, désormais à l'arrêt. Ou encore les futurs Swac, à Sainte-Marie et au CHU de Saint-Pierre, qui produit de la climatisation grâce à l'eau de mer des profondeurs (lire encadré ci-contre).
Gérer l'accroissement de la population
D'autres énergies renouvelables sont étudiées, comme le biogaz à base de déchets agricoles, avec, par exemple, des unités de méthanisation en voie humide en cours d'installation sur le lycée agricole de Saint-Joseph qui permettrait de sécher des balles de foin et de produire en autoconsomation pour le lycée une partie de sa consommation électrique via un moteur de 15 kWélec.
Sur le même principe, le biogaz issu de déchets ménagers est également exploité dans deux installations : le centre d'enfouissement technique des déchets de la rivière Saint-Étienne depuis 2008 (2 MW) et celui de Sainte-Suzanne (1,6 MW). Le potentiel est important. Il pourrait permettre de produire au moins 7 MW de puissance, mais la filière est à structurer.
Toutefois, si La Réunion veut maintenir le cap et les objectifs de 100 % d'ENR d'ici à 2030, elle devra obligatoirement prendre en compte l'accroissement de sa population. Du fait de l'augmentation du nombre d'habitants entre 2010 à 2016, la production électrique a ainsi augmenté de 1,5 % par an en moyenne et la part des énergies renouvelables dans cette production n'a pas suivi : elle a baissé de 47 % à 34 %. La tendance démographique ne devrait pas s'infléchir : La Réunion compte 840 000 habitants aujourd'hui, ils seront 1 million en 2040.


