Décryptage

La rénovation énergétique décolle timidement

Logement - L'interdiction de louer des passoires thermiques devrait provoquer des travaux. Pour l'heure, diagnostiqueurs et artisans n'en ressentent pas encore les effets.

 

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Rénovation d'une copropriété

Son mode de calcul a été modifié pour se baser non plus sur les factures d'énergie, mais sur les caractéristiques du bâtiment. Une intention louable, même si le lancement au 1er juillet 2021 du nouveau diagnostic de performance énergétique (DPE) a provoqué un tollé puisqu'il faisait gonfler trop fortement le nombre de passoires thermiques détectées. Résultat : l'édition de DPE pour les logements construits avant 1975 a été suspendue pour modifier son mode de calcul.

C'est sur cette nouvelle mouture que les diagnostiqueurs, déstabilisés, s'appuient depuis novembre. Elle doit désormais faire ses preuves avant d'être acceptée par le marché, ce qui peut prendre du temps. Sauf que les propriétaires n'en disposent pas ! Car un autre outil anti-passoires énergétiques est devenu réalité : la loi Climat et résilience, promulguée en août. Elle compte sortir du marché locatif successivement les logements classés G, F, puis E (lire calendrier ci-dessous), soit plus de sept millions de biens selon la Fnaim.

Pompes à chaleur. « Si l'habitation est classée F ou G, la rénovation totale s'impose. Ce qui représente un investissement moyen de 1 000 € le m² pour atteindre le D », assure Théo Guyvarc'h, responsable commercial du réseau d'agences d'investissement locatif Ernest by Little Worker. Pour sortir de la case passoire, un logement E n'aura besoin par exemple que d'un changement de fenêtres couplé à un renouvellement des radiateurs, soit entre 2 000 à 7 000 € de travaux. Et s'il utilise les énergies fossiles pour chauffer ses habitants, c'est tout le système qu'il faudra changer. Les interventions qui ont le plus occupé les artisans ces derniers mois ? « L'installation de pompes à chaleur, devant le poêle à granulés très à la mode », affirme Jean-Christophe Repon, président de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb). Toutes taxes comprises, la première coûte en moyenne 13 000 €, le second, 5 500 €.

Les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Nouvelle-Aquitaine et Hauts-de-France sont les plus dynamiques sur le front de la rénovation énergétique. Sont surtout concernées « les maisons individuelles de plus de quinze ans en zone rurale », selon Jean-Christophe Repon. Il faut dire qu'en copropriété, le menu est copieux. « Ravalement, toiture, réfection de la ventilation, des fenêtres, des volets, chauffage à modifier… Principalement dans des bâtiments des années 1960 à 1980. Le petit coup de propre au moment du ravalement dans les années 1990 ou 2000 ne s'est pas attaqué aux infiltrations, aux pertes thermiques », résume Olivier Safar, président de la commission copropriété de l'Union des syndicats de l'immobilier (Unis).

Les dates butoirs

 

Août 2022 : interdiction d'augmenter les loyers des habitations dont le DPE affiche un F ou un G.

2025 : interdiction de mise en location des biens classés G.

2028 : même interdiction pour les biens classés F.

2034 : même interdiction pour les biens classés E.

Rythme trop rapide. Mais la demande peine à décoller. Au 31 décembre 2021, quelque 204 copropriétés avaient déposé un dossier de demande d'aides via le dispositif dédié MaPrimeRénov' Copropriétés pour un total de 12 000 logements en cours de rénovation ou à rénover d'ici à la fin d'année. Une goutte d'eau comparée aux 506 735 copropriétés immatriculées. « Il faut en moyenne deux à trois ans pour voter les travaux puis un à deux ans pour les réaliser, indique Olivier Safar. Nous sommes dans l'analyse à long terme. Le rythme imposé par le gouvernement est trop rapide. » Pour sortir un logement de sa classification passoire, le propriétaire d'un studio doit dépenser entre 15 000 et 18 000 €, selon l'Unis. Le propriétaire d'un T4, entre 35 000 et 40 000 €. « Cela peut refroidir, concède Olivier Safar. Surtout que la valeur verte de l'immeuble n'est pas encore entrée dans la tête des gens, en particulier les propriétaires occupants. »

Le gouvernement a déployé toute une panoplie d'aides financières pour accompagner les ménages (MaPrimeRenov', Certificats d'économie d'énergie…). Mais selon la fondation Abbé Pierre, le reste à charge reste important : 39 % pour un ménage très modeste (1) et 56 % pour un ménage modeste (2). Les aides sont donc insuffisantes pour massifier la rénovation de logements du parc privé. En témoignent les mises en vente des biens étiquetés F ou G qui ont décollé de 52 % de fin juin à fin décembre 2021, selon la Fnaim. Le bataillon de vendeurs, peu stimulés par les aides, est principalement composé de « propriétaires qui souhaitent se débarrasser de leur bien énergivore car ils refusent de dépenser 20 000 € de travaux pour le louer 50 € plus cher », observe Théo Guyvarc'h.

Premiers contacts. De son côté, la Capeb note une croissance modérée des travaux de rénovation énergétique des logements : + 4,5 % au quatrième trimestre 2021 par rapport au quatrième trimestre 2020, + 14 % en 2021 par rapport à 2020 et + 3,5 % par rapport à 2019. « Comme les organismes HLM, les bailleurs particuliers sont très attentifs à la loi Climat et résilience et réfléchissent aux solutions pour engager des rénovations globales qui feront remonter l'étiquette du DPE. Ils réalisent un audit énergétique, contactent les entreprises de rénovation… Mais il n'y a pas d'accélération des travaux », confirme Jean-Christophe Repon.

Premier élément de la chaîne, les diagnostiqueurs ne sont pas submergés. « Depuis cet été, les prises de décision mûrissent chez les propriétaires et les agents immobiliers qui les représentent mais nous ne réalisons pas plus de DPE », commente Lionel Janot, président de la Fédération interprofessionnelle du diagnostic immobilier (Fidi). Et tant mieux, car sur les 86 807 DPE F ou G effectués entre juillet et octobre 2021, c'est-à-dire avant la retouche du mode de calcul, il en reste 75 % à rééditer. Faute de montée en puissance des travaux globaux (lire ci-dessus), l'activité des entreprises d'amélioration-entretien devrait croître cette année de seulement 2,7 % par rapport à 2021, anticipe la Fédération française du bâtiment (FFB), sur fond d'inflation qui fragilise les ménages. Reste une inconnue qui peut gripper la machine : l'élection présidentielle.

« Il faut laisser la chaîne sous tension »

 

Repousser les dates butoirs d'interdiction de hausse des loyers et de mise en location des passoires énergétiques, c'est repousser le problème, pas le régler. Nous risquerions de faire reculer les processus. Il faut au contraire laisser la chaîne sous tension, nous obliger à avancer. En parallèle, nous devons réfléchir à des solutions sur deux freins que les pouvoirs publics ont cernés : la qualification de la main-d'œuvre et l'approvisionnement en matériaux, qui retarde près d'un chantier sur deux.

 

Jean-Christophe Repon, président de la Capeb.

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Le bouquet global, ce n'est pas automatique

 

Peut mieux faire. Sur les 700 000 financements de rénovation actés en 2021, l'Agence nationale de l'habitat (Anah) a compté près de 60 000 opérations globales, en ligne avec la stratégie nationale bas carbone. Pour 2022, ni l'Anah, ni Emmanuelle Wargon n'avancent d'objectifs chiffrés. « Il ne faut pas opposer le geste simple, qui serait jugé inutile, et la rénovation globale, qui serait le Graal, expliquait la ministre du Logement en janvier dernier. (…) Des Français commencent par un geste, avant d'en enclencher d'autres, en fonction de leur capacité de financer ces travaux. » Sur le terrain, des experts s'inscrivent en faux : en réalisant un premier geste simple (changement de fenêtres par exemple), un ménage aura du mal à se relancer plus tard dans les travaux. Pire : cette première opération menace l'équilibre économique des gestes suivants, comme le changement de système de chauffage, plus coûteux. « Plutôt que les gestes uniques, nous devrons privilégier à terme les rénovations globales, dont l'efficacité énergétique est plus grande », déclarait Bruno Le Maire, ministre de l'Economie et des Finances en juillet dernier. Deux mois plus tard, la Cour des comptes pointait la part trop importante de mono-travaux (86 %) financés par l'Anah via MaPrimeRénov'.

 

Ce dispositif « ne favorise pas le bouquet de travaux complémentaires » permettant d'éliminer les F et G, concluait la Cour. Il y a donc urgence à modifier le dispositif, car « pour atteindre l'objectif de classer le parc de logements français en “B” d'ici à 2050 [fixé par la loi Climat et résilience, NDLR], il faut amener 20 % des logements en classe A, 60 % en classe B, et les 20 % restants en classe C », rappelait en février dernier Sébastien Delpont, directeur développement conseil du cabinet de conseil environnemental GreenFlex et directeur d'EnergieSprong France.

 

Barbara Kiraly avec C.P.

(1) Avec des revenus inférieurs à 37 232 € pour un foyer de trois personnes en Ile-de-France. (2) Avec des revenus inférieurs à 45 326 € pour un foyer de trois personnes en Ile-de-France.
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