Si la réception désigne, dans le langage usuel, le fait matériel de recevoir une chose quelconque, elle peut avoir plusieurs sens juridiques. Une réception peut être l'action de recevoir un paiement et d'en donner quittance, l'opération juridique par laquelle une personne donne son agrément à une opération matérielle accomplie pour elle ou encore une théorie selon laquelle le contrat n'est formé que si l'acceptation a été reçue par l'offrant. La réception de marchandise peut en être un exemple. Il s'agit ainsi de désigner l'acte juridique par lequel le destinataire accepte la marchandise qui lui est offerte à la livraison par le transporteur.
L’ définit spécialement la réception comme « l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserve ». Cette définition législative civiliste est reprise, fidèlement, tant par l’article 17.1 de la norme Afnor P. 03-001 que par la jurisprudence administrative et l’article 2 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) des marchés publics de travaux issus de l’arrêté du 30 mars 2021.
La réception, un acte juridique unilatéral destiné à produire des effets de droit
Manifestant la volonté du maître de l'ouvrage, la réception constitue, à ce titre, un acte juridique et, plus précisément, un acte juridique unilatéral - tel que défini à l' -même si elle doit respecter, le cas échéant, les règles contractuelles qui organisent les modalités de sa réalisation1.
Ainsi, loin d'être une convention spécifique malgré son caractère contradictoire, elle constitue une manifestation de volonté unilatérale, et ce, même si elle s'insère dans une opération contractuelle globale dont elle représente, du point de vue de la réalisation technique du bien-construction que constitue l'ouvrage2, la phase ultime.
En tant qu'acte juridique, devant réunir les conditions de fond de celui-ci, la réception ne doit pas être confondue avec d'autres notions juridiques voisines telles que la déclaration d'achèvement des travaux3 ou encore l'achèvement tel que défini, à propos des ventes d'immeubles à construire (VIC), par l' (CCH).
Réception et livraison : deux actes distincts à ne pas confondre
La réception ne doit pas davantage être confondue avec la prise de livraison qui ne constitue, elle, qu'un acte matériel d'entrée en possession marquant le transfert de la garde au regard des règles de responsabilité civile et, dans les VIC, le transfert des risques.
En principe, la livraison implique l'achèvement de l'ouvrage puisque, dans les obligations de livrer, c'est la livraison qui vaut paiement sachant que celui-ci doit être total pour être satisfactoire4.
On trouve là l'un des enjeux de la distinction entre réception et livraison. Après avoir jugé, dans un premier temps, que la réception ne pouvait avoir pour objet que des travaux achevés, la jurisprudence civile a fini par admettre, au rebours des articles 17.2.1.1 et 17.2.7 de la norme Afnor et de l'article 41 du CCAG des marchés publics de travaux, que la réception pouvait bel et bien intervenir avant l'achèvement de l'ouvrage5 .
C'est le cas, notamment dans l'hypothèse d'un abandon de chantier par l'entrepreneur, à condition qu'il n'y ait aucune convention contraire des parties. Il y a alors une volonté particulièrement marquée du maître de l'ouvrage en ce sens, d'où une exigence de preuve renforcée6 .
Force est ainsi de constater que, même si le principe est aujourd'hui clairement admis par la jurisprudence, la réception d'un ouvrage avant son achèvement n'en pose pas moins, en pratique, de nombreuses difficultés. Elles deviennent aiguës, voire inextricables ou presque, lorsqu'une telle réception est ou est supposée être, de surcroît, purement tacite…
Réception tacite : éludée par le législateur mais avec des effets de droit
Une réception tacite constitue une opération juridique qui est éludée, voire ignorée, dans les textes évoquant ou gouvernant la réception même si elle n'en est pas moins une réalité juridique qui est, en jurisprudence, expressément et clairement consacrée avec tous les effets de droit y attachés. Il apparaît que, malgré le silence du législateur et, peut-être, contre sa volonté implicite, tant la jurisprudence civile7 que la jurisprudence administrative8 ont expressément et clairement saisi et consacré la réception tacite.
Le silence du législateur semblait traduire à l'origine une volonté délibérée d'écarter cette forme de réception puisqu'un amendement en ce sens avait été écarté lors des travaux préparatoires.
En effet, les textes, s'ils sont lus et pris au pied de la lettre, ne l'évoquent nulle part, ni pour la consacrer ni pour l'ignorer.
Néanmoins, des textes peuvent être mobilisés. Les actes juridiques unilatéraux obéissent, mutatis mutandis, au régime des contrats. Ainsi, l' dispose, du reste, que les actes juridiques unilatéraux « obéissent, en tant que de raison, pour leur validité et leurs effets, aux règles qui gouvernent les contrats ».
Par ailleurs, l' précise que la manifestation de volonté peut être expresse ou tacite, c'est-à-dire « résulter (…) d'un comportement non équivoque de son auteur ». La manifestation de volonté, pourvu qu'elle soit certaine et sans équivoque, peut alors être tacite et n'a donc pas nécessairement besoin d'être expresse.
Il s'ensuit que, si les textes n'ont pas expressément et littéralement évoqué et visé la réception implicite, il n'en reste pas moins qu'ils n'ont pas non plus souhaité explicitement l'ignorer en refusant de la consacrer.
Si l' fait référence à un acte écrit (exprès donc) à propos de la cessation de garantie de livraison en matière de construction de maisons individuelles, une réception tacite reste possible dans le cadre d'un contrat de construction de maison individuelle comme l'a considéré la Cour de cassation le 20 avril 2017 (nº 16-10486). Notons aussi que l'article 41 du CCAG des marchés publics de travaux, qui vise le « procès-verbal » de réception, n'évoque ainsi que la réception écrite et, donc, expresse.
Le contrôle des conditions de la réception tacite par la Cour de cassation
La jurisprudence civile et administrative a - en essayant d'interpréter, voire de pallier, les vides ou lacunes intra legem laissés dans les textes -reconnu et consacré la réception tacite.
La Cour de cassation s'arroge d'ailleurs le pouvoir d'en contrôler les conditions d'existence9 . Celles-ci ne peuvent pas être prédéterminées dans un contrat de consommation au détriment du consommateur. En effet, le 6 mai 2015, la Cour de cassation a considéré que la « clause, qui, insérée dans un contrat conclu entre un professionnel et un non-professionnel, crée au détriment de ce dernier un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties puisqu'elle impose au maître de l'ouvrage une définition extensive de la réception, contraire à la loi, (…) devait être réputée non écrite » (nº 13-24947).
En raisonnant plus en termes de tendance que de bilan, on constate qu'il ressort de la jurisprudence que les conditions caractéristiques de la réception tacite sont pour l'essentiel de trois ordres : une prise de possession et/ou un paiement du prix manifestant une volonté non équivoque du maître d'accepter l'ouvrage10 ; un ouvrage en état d'être reçu, selon la jurisprudence majoritaire11 ; une absence de réserves trop graves ou trop nombreuses.
Datation de la réception par le juge
Sous les conditions susmentionnées, la réception tacite est une forme de réception amiable pouvant être constatée, s'il y a lieu, par le juge.
Le juge intervient, à l'occasion d'un litige relatif, le plus souvent, aux désordres pouvant affecter l'ouvrage. Il doit alors en déterminer12 , souverainement, la date à ses yeux13 .
C'est ainsi que, dans un arrêt du 18 mai 2017, alors que la cour d'appel de Paris avait cru pouvoir opposer une fin de non-recevoir à toute idée de réception de travaux inachevés, la Cour de cassation avait, elle, conclu à la possibilité juridique de réceptionner un ouvrage inachevé et, qui plus est, de le réceptionner tacitement pour permettre, entre autres effets, la mise en œuvre de la responsabilité décennale des constructeurs et des assurances y attachées.
Il résulte, plus largement, des dispositions des articles , et du Code civil, comme de l'article 17.1 de la norme Afnor et de l'article 2 du CCAG des marchés de travaux publics, que la réception, y compris lorsqu'elle est tacite, constitue le point de départ de tous les délais de garantie et de responsabilité connus en matière de construction immobilière14 .
Même tacite, la réception a, en outre, une conséquence essentiellement exonératoire. L'entrepreneur est, en effet, libéré sur tous les fronts15 concernant les vices et les défauts de conformité16 apparents n'ayant pas fait l'objet de réserves à la réception.
Par ailleurs, sous l'angle de la réalisation technique de l'ouvrage, la réception, même tacite, marque la fin normale des relations contractuelles17 de sorte que le maître de l'ouvrage n'est plus recevable à soulever l'exception d'inexécution.
Il apparaît ainsi, en définitive, que la réception tacite résultant d'un comportement non équivoque de son auteur constitue bel et bien une réception à part entière même si elle est et sera toujours, eu égard à son caractère implicite qui la rend souvent sujette à caution, une réception un peu à part dont on doit la systématisation à la « force vivante du droit »18 qu'est la jurisprudence.
1 Cass. 3e civ., 31 janv. 2007, nº 05-18959, Bull. civ. III, nº 10 ; RDI 2007, p. 280, obs. B. Boubli et H. Périnet-Marquet.
2 Thioye (Moussa), Un bien-construction. L'ouvrage (une chose appropriée au confluent du droit des biens et du droit de la construction), Presses université Toulouse-I, pp.699-714, 2021.
3 Cass. 3e civ., 14 févr. 1990, nº 88-15937, Bull. civ. III, nº 47.
4 B. Boubli et H. Périnet-Marquet, obs. sous Cass. 3e civ., 31 janv. 2007, nº 05-20683, RDI 2007, p. 278.
5 Cass. 3e civ., 12 juillet 1989, nº 88-10037 ; Cass. 3e civ., 9 octobre 1991, nº 90-14739 ; Cass. 3e civ., 15 janvier 1997, nº 95-10549 ; Cass. 3e civ., 11 février 1998, nº 96-13142 ; Cass. 3e civ., 23 septembre 2014, nº 13-18183 ; Cass. 3e civ., 7 juillet 2015, nº 14-17115.
6 Cass. 3e civ., 30 juin 1993 ; Cass. 3e civ., 30 octobre 1991, nº 90-12659 ; Cass. 3e civ., 4 avril 2001, nº 99-17142.
7 Cass. 3e civ., 4 octobre 1989, nº 88-12061 ; Cass. 3e civ., 11 mai 2000, nº 98-21431 ; Cass. 3e civ., 23 mai 2012, nº 11-10502.
8 CE, sect. 7/5, 28 déc. 2001, requête nº 204245, Cie des signaux.
9 Cass. 3e civ., 4 octobre 1989, nº 88-12061 ; Cass. 3e civ., 11 mai 2000, nº 98-21431 ; Cass. 3e civ., 23 mai 2012, nº 11-10502.
10 Cass. 3e civ., 14 janvier 1998, nº 96-13505 ; Cass. 3e civ., 16 janvier 2007, nº 05-19274 ; Cass. 3e civ., 15 janvier 2008, nº 06-15029, et 30 janvier 2008, nº 07-10822 ; CA Paris, 4 mars 2010 ; Cass. 3e civ., 6 juillet 2011, nº 09-69920 ; Cass. 3e civ., 17 février 2015, nº 13-25491 ; Cass. 3e civ., 10 mars 2015, nº 13-19997 ; Cass. 3e civ., 6 mai 2015, nº 13-24947.
11 Cass. 3e civ., 25 janvier 2011, nº 10-30617.
12 Cass. 3e civ., 30 mars 2011, nº 10-30116.
13 Cass. 3e civ., 30 mars 2011, nº 10-30116. À noter que, s'il y a eu une réception tacite puis une réception amiable expresse, les juges peuvent, s'il y a lieu, retenir la date de la réception tacite (CA Rouen, 14 septembre 1993). Cela dit, il a aussi été jugé que, lorsqu'un procès-verbal de réception a été établi, le constructeur n'est plus fondé à invoquer une réception tacite tenant à la prise de possession antérieure.
14 Cass. 3e civ., 18 mai 2017, nº 16-11260.
15 Cass. 3e civ., 28 février 2012, nº 11-13670 et 11-20549.
16 Cass. 3e civ., 26 septembre 2007, nº 06-16207 ; Cass. 3e civ., 27 avril 2011, nº 10-10180.
17 CE, 9 juillet 2010, Commune de Lorry-les-Metz, nº 310032.
18 M. Planiol, cité par J. Maury, « Observations sur la jurisprudence en tant que source de droit », in Etudes offertes à G. Ripert, Le Droit privé français au milieu du XXe siècle, LGDJ, tome I, p. 28.