La mise en place de la RE 2020 suscite bien des remous. Comment vous situez-vous par rapport à la future réglementation environnementale ?
Je suis né et j’ai passé les 30 premières années de ma vie en Suisse. Dans les montagnes, les personnes sont naturellement plus sensibles à l’environnement car c’est leur principale ressource. Je fais partie de ceux qui pensent depuis longtemps qu’il faut faire quelque chose pour l’environnement – même si je ne suis pas sûr d’avoir toujours été un bon exemple - parce qu’il y a urgence et que nous n’avons plus rien à y perdre.
Toute nouvelle réglementation est généralement vue comme une contrainte. Dans certains cas, elles n’apportent strictement rien. Mais pour les réglementations qui concernent ou ont concerné nos métiers comme la RT 2005, la RT 2012 et maintenant la RE2020, je trouve qu’elles vont dans le bon sens.
Il ne faut pas cependant chercher à opposer les matériaux et les techniques. J’ai lu qu’il fallait proscrire ou réduire l’usage de l’acier et du béton au profit d’autres matériaux. Mais je crois que si l’on cherche la réduction du CO2 et des GES, c’est à chaque industriel, groupement d’industriels ou entrepreneur de la construction d’améliorer nettement les choses dans son domaine d'expertise.
Sincèrement, si vous voulez construire un pont, je ne le vois pas en bois. Si vous voulez construire un immeuble – et même si la construction bois a connu des évolutions majeures - je pense qu’on peut se dire que la brique, le béton et l’acier restent encore de bonnes solutions.
J’espère - j’en suis persuadé – que l’ensemble des industriels et des entrepreneurs de la construction ont pris conscience ou vont prendre conscience assez rapidement que nous avons quelque chose à faire là-dedans.
En tant que fabricant de membranes bitumineuses, utilisateur de produits issus de la pétrochimie, cette nouvelle réglementation risque de vous impacter. A quel point ?
Jusqu’au début des années 1990, nous n’avions chez Soprema qu’un seul type de membrane d’étanchéité : la membrane d’étanchéité bitumineuse, produit historique. Aujourd’hui, c'est une solution parmi d'autres. Nous avons une offre très large de produits qui touche à la protection du bâti, que ce soit sur les toitures terrasses, les ponts, les tunnels, les bassins...
Les travaux que nous menons depuis 15 ans portent leurs fruits : ainsi, le projet Mutatio lancé en 2007 (plus de 20 M€ d’investissements) a permis de mettre au point une membrane bitumineuse biosourcée. Mais cette membrane est aujourd’hui 4 à 5 fois plus chère qu’une membrane traditionnelle. La R&D a donc retravaillé brique d’innovation par brique d’innovation pour faire baisser ce prix.
Le bitume est la matière issue du pétrole qui subit le moins de transformations mais il n’a qu’une seule caractéristique : il est hydrophobe. Il ne résiste pas aux UV et n’est pas élastique. Or un bâtiment « bouge ». Il faut donc des polymères pour compléter les caractéristiques naturelles du bitume. Dans le cadre de ce travail de recherche, nous avons mis au point un polymère biosourcé à 75%, (à base de colza principalement). Ces membranes baptisées Mammouth Néo ont une durée de vie pratiquement 2 fois supérieure à celle des membranes composées de polymères synthétiques.
La construction d’un bâtiment émet autant de CO2 que le bâtiment sur toute sa durée de vie. Il est donc important de développer des produits de construction à faible impact environnemental. Notre gamme d’isolation thermique à base d’isolants naturels - fibre de bois, ouate de cellulose ; mais aussi nos isolants techniques à base de polystyrène jusqu’à 100% recyclé ; et enfin nos isolants en polyuréthane fabriqués à partir du recyclage de plastiques à usage unique répondent à ce critère.
Comment vos produits s'inscrivent-ils dans une logique d'économie circulaire ? Sont-ils réemployables ?
Ils sont réparables pratiquement à l’infini. Ensuite, il n’y a pas de problème de recyclage avec les isolants biosourcés. Pour ce qui est du bitume, il serait dommage que les produits de déconstruction servent à faire des comburants à différentes industries. Je pense qu’il faut donner une deuxième vie aux produits, quel que soit l’usage. Nous avons monté une unité de production innovante dans notre usine de Val-de-Rueil permettant de recycler les déchets de bitumes. Quant aux autres produits, nous travaillons activement dessus et c’est une gageure. Tout n’est pas réglé et tout n’est pas réglé de manière compétitive. Et ça c’est tout le travail qu’ont à faire les différents secteurs d’activité dans le bâtiment.
Quels investissements prévoyez-vous pour répondre aux exigences environnementales de plus en plus fortes ?
Nous avons la chance d’être une société familiale et nous ne sommes pas dans des contraintes économiques majeures aujourd’hui. Il faut dire également que le bâtiment a été un secteur qui a moins souffert que les autres de la crise. Nous continuons donc d’investir au rythme prévu, autour de 180 M€ par an et cela comprend la R&D.
Nous allons également doubler notre capacité de production d’isolants à base de fibre de bois sur l’usine de Golbey dans les Vosges. Nous sommes également à la recherche d’un terrain dans le sud de la France pour y monter une usine d’isolation thermique à base de polyuréthane. Nous hésitons entre deux villes de la vallée du Rhône dans l’axe Avignon-Marseille. Il faudra ensuite deux ans pour construire l’usine.
L’autre point d’action des industriels est de travailler sur la performance énergétique de leur outil de production. Qu’avez-vous mis en place ?
Pour ce qui est de notre process industriel, nous avons récemment construit en Allemagne, notre première usine alimentée à 60% par des énergies renouvelables (éolien, méthane, photovoltaïque).
L’avantage de nos productions, c’est qu’elles sont, par rapport à d’autres, faiblement consommatrices en énergie. Cela étant, nous n’arriverons pas à améliorer les choses jusqu’à devenir totalement autonomes.
Comme beaucoup d’entreprises, nous avons un programme RSE. La performance énergétique est bien évidemment un des éléments que nous mesurons. Nous nous sommes attaqués à tous les éléments consommateurs pour réduire nos consommations d’énergie. Nous avons notamment lancé un programme de remplacement des moteurs électriques qui étaient un peu vieillots. Nous nous sommes assurés de ne pas avoir de déperdition de chaleur en encapsulant les zones où nous travaillons le bitume… Une somme de petites actions qui font que nous avons réduit notre consommation intrinsèque. Je pense sincèrement que les seuls moyens qui nous manquent pour être totalement autonomes en énergie sont des solutions qui ne sont pas totalement prêtes aujourd’hui, à base d’hydrogène.
Est-ce que vous envisagez l’abandon à terme des produits issus du pétrole ?
Cela dépendra de notre capacité à trouver des substitutions. Le programme Mutatio prévoyait que nous passions au 100% biosourcé. Mais il s’avère que le pétrole restera toujours moins cher. Et je ne trouverai jamais des matériaux de substitution aussi compétitifs. Même avec un baril à 100 $. Et je ne crois pas qu’il faille mettre l’écologie et l’économie en opposition. Il faut réduire les émissions de GES et la production de CO2. C’est fondamental. Mais ça ne veut pas dire qu’on est obligé de s’abstenir de toute consommation de certains produits. C’est plutôt la manière dont on va les travailler qui importe. Il y cette tendance lourde c’est vrai et nous contribuons à la recherche en ce sens. Mais il est illusoire de penser par exemple, que nous serions en mesure de passer au tout électrique pour les véhicules d’un seul coup. Les moteurs hybrides ou faiblement émetteurs sont des solutions de transition qui vont dans le bon sens. Pour l’industrie c’est identique, nous devons évoluer, nous adapter aux circonstances. L’important c’est d’avoir conscience qu’il faut réduire les émissions de CO2 et d’agir dès aujourd’hui. Le jour où vous vous mettez au tennis, vous n’allez pas battre Federer tout de suite.