Enquête

La préservation du vivant enfin prise au sérieux

Le respect de la faune et de la flore s'impose à l'agenda du BTP. Pour passer de la parole aux actes, nombre d'entreprises lui réservent désormais une place centrale dans leur stratégie.

 

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Autrefois, cette distinction aurait laissé indifférent, désormais, elle fait à coup sûr des envieux. Parmi les « entreprises engagées pour la nature », l'Office français de la biodiversité (OFB) désigne une poignée d'élues. Pour l'immobilier, il nomme Bouygues Immobilier, Vilogia, Icade et Groupe Action Logement. Côté construction, NGE, Vinci (via ses deux filiales Eurovia et Vinci Construction Terrassement) et Terideal. Enfin, sur le versant extraction, STB Matériaux.

Depuis quelques années, les protagonistes du secteur veulent montrer patte verte sur le sujet pour prouver que leur engagement va au-delà du greenwashing. Il faut dire que la réglementation est de plus en plus contraignante. En 2016, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages avait ouvert la voie et mis en exergue la nécessité de recréer des trames écologiques dans les zones commerciales. Mais hormis les documents d'urbanisme locaux, peu de textes réglementaires encourageaient encore la biodiversité urbaine ordinaire. C'est seulement en 2018 que le Plan biodiversité a changé la donne.

Cette feuille de route nationale portée par le ministère de la Transition écologique et solidaire et l'Agence française pour la biodiversité (AFB) - qui a fusionné en 2020 avec l'Office national de la chasse et de la faune sauvage pour former l'OFB - introduisait alors le concept de « zéro artificialisation nette » qui suppose que toute nouvelle opération d'artificialisation des sols devra être compensée par une action contraire, dite de « renaturation » ou de « désartificialisation ».

Détonateur. Un profond changement de paradigme qui semble avoir agi comme un véritable détonateur auprès des acteurs de la construction. Certains opérateurs ont décidé de détailler leurs stratégies et engagements dans le cadre de l'initiative « Act4nature » lancée en 2019 par le ministère de la Transition écologique et solidaire.

Depuis quelques années, les protagonistes du secteur veulent montrer patte verte sur le sujet

Dire ce que l'on fait donc, mais aussi faire ce que l'on dit. En 2020, le promoteur Icade annonçait ainsi dépasser son objectif de nouvelles constructions en biodiversité positive, tandis que dès 2017, le groupe Vinci annonçait la création, avec AgroParisTech, de la start-up Urbalia, qui a permis la mise au point de Biodi(V)strict, un outil de conception dédié à l'évaluation du potentiel biodiversité d'un projet urbain.

Triptyque à respecter. Evaluer, c'est aussi ce à quoi s'astreint Eiffage. « Ce n'est pas facile de mettre la biodiversité en équation, alors nous définissons des indicateurs en interne en se basant sur des référentiels internationaux », explique Valérie David, directrice du développement durable et de l'innovation transverse du groupe. Comme ses confrères spécialistes des infrastructures routières et ferroviaires, le groupe s'est soumis au fameux triptyque né du Grenelle de l'environnement en 2007 : éviter, réduire, compenser. « A cette époque, nous avons vécu un traumatisme salvateur, explique Valérie David. Le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) avait donné un avis négatif sur notre demande d'autorisation de travaux pour l'autoroute A65 entre Pau (Pyrénées-Atlantiques) et Langon (Gironde) qui prévoyait 65 ha de compensation. Nous avons repris le dossier réalisé en externe pour faire un travail de dentelle et “rembourser” 1 372 ha de “dette environnementale”. Comprenant que c'était le sens de l'Histoire, la direction a alors décidé de réinternaliser entièrement la compétence biodiversité. » C'est pour respecter cette ambition que la plupart des grands groupes ont noué des partenariats pérennes avec des associations environnementales, comme la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), des naturologues et des biologistes pour réaliser des diagnostics biodiversité approfondis dès la conception des projets.

Sur le terrain, le groupe Colas, filiale de Bouygues, a ainsi consolidé au fil des ans un réseau de 70 « correspondants environnement » chargés de mettre en place les mesures réglementaires et/ou volontaires de préservation de la faune et de la flore. Ils font le lien entre le siège, les pouvoirs publics et les partenaires. En 2016, l'entreprise a choisi de créer un conservatoire d'abeilles noires de Provence sur sa carrière à ciel ouvert de Norante (Alpes-de-Haute-Provence). Cette action, menée en partenariat avec le CNRS et le bureau d'études Apilab, permet de sauvegarder une espèce locale plus petite et moins productive que l'abeille ordinaire, notamment grâce à des échanges de reines avec des apiculteurs locaux. Certains carriers ont même appris à récolter le miel. Le groupe veut désormais « étendre la politique mise en place dans nos carrières à d'autres sites fixes, y compris en milieu urbain », explique Anne-Laure Levent, directrice adjointe environnement. Pour évaluer au mieux l'ampleur des actions en faveur de la biodiversité, toutes les dépenses d'exploitation et d'investissement seront passées au crible. « Cela va améliorer le pilotage, nous verrons tout de suite quel territoire déploie des plans d'action ambitieux, solides et innovants », complète-t-elle.

Ces démarches de longue haleine sont accélérées par la demande grandissante de nature en ville

Ces démarches de longue haleine, en partie conséquentes à l'évolution réglementaire, sont désormais accélérées par la demande grandissante de nature en ville. En particulier parce qu'elle devient indispensable pour atténuer les effets du changement climatique, dont ses canicules. « Biodiversité et climat, même urgence, même combat ! » C'est sous ce slogan que le 14 septembre 2021, Bernard Mounier, président de Bouygues Immobilier, lançait la stratégie biodiversité du groupe. « On a longtemps considéré que la bio diversité et la ville étaient opposées, confirme Laure Frémeaux, écologue chez Elan, filiale du groupe Bouygues spécialisée sur la question. On sait aujourd'hui que la nature est nécessaire au maintien d'un environnement viable en milieu urbain. Elle participe à la gestion des eaux pluviales, à la réduction des îlots de chaleur urbains, au maintien de la qualité de l'air et à notre bien-être ; la crise sanitaire liée au Covid-19 l'a largement démontré. »

Du bitume aux toitures. Agriculture urbaine, végétalisation : les interventions s'échelonnent du bitume aux toitures. Des chaussées vertes désimperméabilisées redonnent au sol ses grandes fonctions en termes d'infiltration de l'eau et d'échanges sol-atmosphère, créant un terreau pour la biodiversité spontanée. Tandis que les toitures végétalisées, voire forestières, deviennent un habitat pour la faune et la flore, un réceptacle des eaux et contribuent à créer des îlots de fraîcheur pour abaisser la température localement. « Il est important d'étudier le déplacement des populations, d'intégrer des nichoirs au bâti. Au fond, l'innovation en matière de biodiversité urbaine est polymorphe, à l'image des écosystèmes », indique Pierre Darmet, cofondateur du Conseil international biodiversité et immobilier (CIBI), l'association qui a créé le label BiodiverCity. Chez Nexity, l'ambition est de développer en priorité une dizaine de solutions fondées sur la nature, détaillées dans un guide technique édité en 2020.

Le mouvement semble bien lancé. Tirés par les ambitions des collectivités et de leurs habitants, les professionnels du BTP font entrer la biodiversité dans l'ADN de toutes leurs opérations.

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