La mise en œuvre de certains types d’éléments dans l’édification d’un ouvrage, qualifiés d’« éléments pouvant entraîner la responsabilité solidaire » (« Epers »), peut permettre au maître d’ouvrage, en vertu de l’, de bénéficier de la part du fabricant d’une « garantie constructeur », alors même que ce fabricant n’était pas partie au marché de travaux.
Quatre conditions cumulatives.
Théorisée par la circulaire dite d’Ornano de 1981 (1), puis éprouvée par la jurisprudence, la qualification d’Epers mobilise quatre conditions cumulatives : conception partiellement incorporée au produit, prédétermination en vue d’une finalité spécifique d’utilisation, satisfaction en état de service à des exigences précises et déterminées à l’avance, capacité du produit à être mis en œuvre sans modification. D’application stricte et difficiles à appréhender, ces quatre conditions renvoient en pratique à une multitude de cas de figure. Les tribunaux ont ainsi pu qualifier d’Epers des panneaux isolants (2), un plancher chauffant (3), mais également une pompe à chaleur (4).
L’étude de ces conditions ne doit cependant pas faire oublier un autre prérequis consubstantiel à la qualification d’Epers : l’intervention sur le chantier d’un constructeur, ou « locateur d’ouvrage » selon la terminologie du Code civil (celui qui « s’engage à faire quelque chose pour l’autre, moyennant un prix convenu » - ). Un arrêt de la Cour de cassation du 2 juin 2015 (5) a fourni l’occasion de le rappeler : la qualification d’Epers et la mise en jeu par le maître d’ouvrage de la responsabilité solidaire du fabricant supposent l’implication d’un troisième acteur, le constructeur.
Intervention ou non d’un constructeur
Condition préalable à la mise en œuvre des garanties constructeur à l’encontre du fabricant.
Le maître d’ouvrage peut engager, sur le fondement de la garantie décennale () ou de la garantie biennale (), la responsabilité du constructeur qui est intervenu sur le chantier et a mis en œuvre les éléments considérés. Dès lors que les quatre conditions cumulatives sont remplies, le maître d’ouvrage dispose également d’une action directe à l’encontre du fabricant.
Le maître d’ouvrage peut donc engager aussi bien la garantie biennale ou décennale du constructeur que celle due, solidairement, par le fabricant d’Epers. Il bénéficie de cette solidarité, même lorsque c’est le constructeur qui a contracté avec le fabricant d’Epers.
Il en va différemment lorsque le maître d’ouvrage met lui-même en œuvre les éléments considérés. C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans l’arrêt du 2 juin 2015 précité. Un maître d’ouvrage avait commandé à un fabricant des structures métalliques, des menuiseries en aluminium avec des volets roulants, des garde-corps en acier et une ossature de terrasse avec piliers. Il avait pris directement en charge le transport et la pose des éléments considérés. Des dommages étant apparus, le maître d’ouvrage a demandé réparation au fabricant sur le fondement de la responsabilité constructeur étendue au fabricant d’Epers. Sa demande fut rejetée par la cour d’appel.
La Cour de cassation confirme cette décision. Dès lors que le maître d’ouvrage met directement en œuvre les éléments considérés, sans faire appel à un constructeur, le lien entre les parties consiste en une vente simple, et non pas en une vente d’Epers. La nature propre des éléments considérés devient alors secondaire. La responsabilité du fabricant ne peut pas être recherchée au titre des garanties constructeur. C’est uniquement sur le fondement de la vente intervenue que le fabricant peut être poursuivi.
Par ailleurs, dans le cas où, un dommage étant apparu, le maître d’ouvrage recherche la responsabilité du constructeur, se pose ensuite la question des actions récursoires dont dispose le constructeur à l’encontre du fabricant. La Cour de cassation rappelle régulièrement que les constructeurs ne disposent pas eux-mêmes d’une action en responsabilité décennale à l’encontre du fabricant d’Epers (6). Ils ne sont pas non plus subrogés dans les droits du maître d’ouvrage (7).
Incertitude pour le fabricant sur l’étendue de sa responsabilité en cas de vente au maître d’ouvrage.
Si le fabricant vend l’élément au constructeur, celui-ci pourra rechercher la responsabilité du fabricant en invoquant la garantie des vices cachés, un défaut de conformité ou encore un manquement à l’obligation de conseil du vendeur. En revanche, en cas d’achat directement par le maître d’ouvrage, le fabricant d’Epers ne pourra être inquiété par le constructeur que sur le fondement de la responsabilité civile extracontractuelle. Dans une telle configuration, il n’existe en effet aucun lien entre les deux intervenants.
Lorsqu’un fabricant met personnellement en œuvre l’élément qu’il a élaboré, il intervient en qualité de constructeur et engage donc sa responsabilité à ce titre.
En revanche, lorsque le fabricant ne fait que vendre au maître d’ouvrage ses éléments potentiellement Epers, le cas échéant avec une notice de montage (8), sa responsabilité et les garanties dues varient au gré des circonstances postérieures à la vente. Il ne sait pas forcément à quelles garanties légales il est tenu puisque la configuration change en fonction de l’intervention ou non d’un constructeur qui « met en œuvre ». On pourrait d’ailleurs se demander comment l’affaire jugée le 2 juin 2015 aurait été tranchée si le maître d’ouvrage avait finalement fait appel à un tiers pour mettre en œuvre les éléments considérés.
Même si la vente est instantanée, le fabricant aura donc intérêt à garder un œil sur le déroulement du chantier. En effet, qu’il la connaisse ou qu’il l’ignore, l’intervention subséquente d’un constructeur sur les éléments considérés ouvre au maître d’ouvrage la possibilité d’agir directement contre lui sur la base des garanties constructeur.
Conséquences pratiques
Assurances à souscrire par le fabricant d’Epers.
Le fabricant d’Epers étant solidairement responsable du constructeur qui a mis en œuvre l’élément visé, il est également soumis aux garanties constructeur. Par conséquent, il doit souscrire une police d’assurance responsabilité décennale ().
Un défaut de souscription de l’assurance décennale est passible d’une peine d’emprisonnement de six mois et d’une amende de 75 000 euros ().
Il faut de plus noter, comme cela vient d’être rappelé par un arrêt du 10 mars 2016, que le défaut de souscription peut constituer une faute personnelle du dirigeant, détachable de ses fonctions (9). Le dirigeant peut ainsi avoir à répondre sur ses fonds personnels de l’infraction à l’obligation d’assurance.
Un fabricant est donc soumis à cette obligation d’assurance, sous réserve que les quatre conditions cumulatives précitées soient remplies, dès lors que l’élément considéré est mis en œuvre par un constructeur lié au maître d’ouvrage.
On l’a vu, en cas d’achat par le maître d’ouvrage, l’obligation de souscription d’une police d’assurance décennale peut devenir incertaine. Une seconde source d’incertitude résulte de l’étendue de sa responsabilité, car le fabricant ne connaît pas forcément les conditions exactes de mise en œuvre des éléments qu’il a fournis.
Au regard des responsabilités et sanctions encourues, il semble nécessaire pour un fabricant d’éléments potentiellement Epers d’adopter une démarche anticipative, laquelle peut se traduire notamment par l’adaptation de ses conditions générales de vente.
Prise en compte des différents délais d’action.
Deux types de responsabilités découlent des différents cas de figure évoqués ci-dessus : d’une part les garanties attachées à la vente, d’autre part les garanties constructeur. Lorsque l’Epers a été acheté par le maître d’ouvrage et mis en œuvre par un constructeur, le maître d’ouvrage peut choisir l’une ou l’autre des deux garanties.
Apparaissent alors d’autres incertitudes, factuelles et juridiques, relatives aux délais d’action et périodes de responsabilité en jeu.
Les garanties constructeur sont liées à l’exécution du marché de travaux. En principe, elles ne s’appliquent qu’à compter de la réception de l’ouvrage. Dès lors, le fabricant ne connaît pas forcément le point de départ de sa responsabilité solidaire avec le constructeur, ni la date de fin des garanties qui lui incombent à ce titre. La durée de sa garantie est particulièrement indéterminée dans le cas de la garantie biennale. La loi prévoit en effet que les éléments d’équipement couverts par cette garantie « font l’objet d’une garantie de bon fonctionnement d’une durée minimale de deux ans à compter de [la] réception [de l’ouvrage] » (). Le maître d’ouvrage et le constructeur peuvent convenir d’une garantie plus longue.
En cas de vente, la responsabilité du fabricant peut être recherchée sur différents fondements. Suite à la réforme des délais de prescription intervenue en 2008, l’action devra dans la plupart des cas être intentée par l’acquéreur dans le délai de prescription de droit commun de cinq ans. Le point de départ de la prescription est le jour où le titulaire du droit « a connu ou aurait dû connaître les faits ». Pour l’instant, il n’existe que peu de jurisprudence permettant de préciser ce point de départ flottant. S’agira-t-il plutôt de la découverte des faits ou de la conclusion du contrat ? Il semblerait qu’il y ait à distinguer selon la qualité, de professionnel ou non, du titulaire du droit.
Concernant l’action en garantie des vices cachés, la question du « bref délai » et des deux ans suivant la découverte du vice pour agir, n’est pas définitivement tranchée non plus. Ce bref délai est-il enfermé dans le délai de droit commun de cinq ans ou limité par le délai butoir de vingt ans ?
On le voit, face à une notion aussi instable et évolutive, le potentiel fabricant d’Epers doit s’intéresser à la destinée des éléments considérés et prévoir des clauses contractuelles et des polices d’assurance spécifiques.

