Le BTP n'a pas attendu la pandémie de coronavirus pour réinterroger la relation entre les compagnons et leur matériel. Industriels, loueurs, entreprises de construction, start-up… Tous travaillent depuis de longues années pour automatiser les process de chantier. Leur objectif : agir simultanément sur la pénibilité, la sécurité et la productivité par le biais de la robotisation. Et les nouvelles mesures sanitaires qui dégradent le rythme d'avancement des travaux ne font que souligner l'importance d'une telle transformation. Pour autant, accélérer l'innovation ne s'improvise pas et impose une approche pragmatique. « Dans notre secteur, les marges sont faibles, et les capacités d'investissement n'ont rien de comparable avec celles des acteurs de la Silicon Valley, rappelle le directeur de la qualité de réalisation et de l'innovation technique chez Spie Batignolles, Alexis Hermet. Il nous faut sélectionner scrupuleusement les projets qui feront l'objet d'un “proof of concept” avant d'envisager un déploiement. » Malgré cette contrainte, à laquelle vient désormais s'ajouter un contexte économique tendu, nombre d'initiatives aboutissent.
La cobotique pour moins de pénibilité. Depuis peu émerge une nouvelle famille de matériels : les robots collaboratifs ou cobots.
« Dans bien des situations, la faculté d'adaptation des compagnons prévaut sur l'automatisation complète », estime le directeur de la transformation numérique du groupe Kiloutou, Vincent Royer. Une conviction qui se traduit dans l'offre du loueur par l'intégration d'une quarantaine d'ergosquelettes, des équipements mécaniques destinés à lutter contre les troubles musculo- squelettiques causés par les interventions prolongées les bras levés.
D'autres acteurs ont également décidé d'emprunter cette voie comme Colas et RB3D avec l'ExoPush. Lancé il y a trois ans, cet exosquelette doté d'un râteau « permet de réduire l'effort des opérateurs lors de la mise en œuvre des enrobés », détaille David Lerouge, directeur innovation du spécialiste des travaux routiers. A ce jour, 86 exemplaires sont déployés, en France et à l'international.
Plus récemment, Eiffage et Bioservo ont quant à eux développé l'Ironhand, un gant bionique, notamment loué au travers du réseau Loxam, qui permet d'amplifier la force de préhension pour réduire les efforts, et ainsi éviter tendinites et autres problèmes de canal carpien. « Chaque fois, l'objectif est le même : limiter ou s'affranchir des tâches les plus pénibles et à faible valeur ajoutée qui constituent de véritables freins au recrutement. Progressivement, nous allons voir arriver d'autres solutions sur le marché, tels les porteurs de charges lourdes grâce auxquels un poids de 15 kg sera ressenti comme 500 g par l'opérateur », assure Alexis Hermet.
Mais le développement de la robotisation ne se résume pas à un compagnon augmenté. Bien souvent, la meilleure solution pour assurer la sécurité d'un collaborateur reste encore de l'éloigner de la zone de danger. D'où le développement des systèmes de pilotage à distance. Le drone est ainsi capable d'ausculter un ouvrage au plus près et d'effectuer des relevés en un temps record.
Le Graal, c'est l'automatisation complète de la machine
« Nous l'utilisons notamment dans les carrières pour identifier et comptabiliser les quantités de matériaux disponibles », illustre Bruno Lerouge. Demain, il embarquera davantage de briques d'intelligence artificielle (IA) pour gagner en indépendance dans ses actions. D'autres engins adoptent ce principe de la commande à distance pour extraire le chauffeur de sa cabine et lui permettre de conduire un bulldozer depuis un poste situé à des milliers de kilomètres du chantier.
A la lisière de la robotique, ces solutions constituent autant de pas supplémentaires vers le Graal : l'automatisation complète de la machine. Un horizon touché du doigt par les médiatiques robots de Boston Dynamics, dont les champs d'application n'englobent pas la construction pour l'instant. Pourtant, ce type de technologie, associée à un scanner, pourrait dans un avenir proche permettre d'effectuer des diagnostics rapides et une comparaison avec le BIM dans des endroits difficilement accessibles ou dangereux. De la science-fiction ? Sûrement pas. Rappelons que l'industrie emploie déjà des automates et qu'il y a de cela cinq ans, Caterpillar dévoilait les réflexions de sa R & D sur le « chantier sans humains » appliqué à l'exploitation de carrières. Depuis, les robots soudeurs, ponceurs, peintres, poseurs de brique… fleurissent partout sous forme de prototypes.
Dynamique. Une émulation encore récemment illustrée par le coréen Hyundai Construction Equipment qui a signé un protocole d'accord avec KT, spécialiste de la 5G et de l'IA. Ce rapprochement doit lui permettre d'améliorer le fonctionnement et la prise de décision de ses chariots autonomes, déjà en fonction dans l'industrie. Dans le BTP, les chantiers les moins soumis aux aléas seront les premiers servis, à savoir les carrières, et probablement les chantiers routiers. Les principaux obstacles sont désormais économique et réglementaire. Une dynamique qui fait dire à Alexis Hermet que « le déploiement de la robotisation sous toutes ses formes prendra deux, cinq ou peut-être même dix ans, mais sûrement pas plus ».
