Le BTP français sera-t-il une victime collatérale de la guerre en Ukraine ? Difficile de répondre pour l'instant, tant les conséquences du conflit paraissent nombreuses et incertaines. Coïncidence, les troupes russes envahissaient l'Ukraine le 24 février au petit matin, alors que Bouygues, Eiffage et Saint-Gobain présentaient leurs résultats. Les deux majors ont tout de suite rassuré les marchés en indiquant ne pas être exposées dans ces territoires. L'industriel, leader sur le marché russe (qui ne représente toutefois que 0,5 % de son chiffre d'affaires), ne s'est pas non plus montré alarmiste. Son directeur général, Benoît Bazin, a mis en avant « l'organisation multilocale [du groupe qui] fait que le marché russe est alimenté par des produits conçus en Russie. Est-ce que les sanctions vont ralentir voire arrêter l'activité de la construction en Russie ? Je ne pense pas, même s'il est trop tôt pour le dire. Je ne suis en tout cas pas inquiet d'un impact du conflit sur notre activité dans le reste du monde. »
Inquiétude sur l'acier et les ferro-alliages. Conséquence directe des sanctions prises par l'Union européenne contre Alexei Mordachov, Severstal a annoncé début mars mettre fin aux livraisons sur le Vieux Continent. Le sidérurgiste est en effet majoritairement détenu par ce proche de Vladimir Poutine. Severstal exporte environ 2,5 millions de tonnes d'acier chaque année en Europe. Les fabricants d'engins de chantier doivent-ils s'inquiéter ? Rien n'est moins sûr. D'après les statistiques de la World Steel Association, rapportées par l'Alliance des minerais, minéraux et métaux (A3M), la Russie assure environ 4 % de la production mondiale d'acier, l'Ukraine 1 % et l'Europe entre 7 et 8 %.
« S'il est un peu tôt pour analyser l'impact de la guerre sur la consommation européenne et française d'acier, gardons en tête que 20 % des importations d'acier en Europe proviennent de Russie et d'Ukraine. Finalement, elles sont approximativement au même niveau que celles d'acier turc (21 %) », précise Bruno Jacquemin, délégué général d'A3M. Autre élément à prendre en compte : la France, huitième pays importateur d'acier au monde, consomme à peu près l'équivalent de ce qu'elle produit annuellement, soit 14 millions de tonnes.
Pour Bruno Jacquemin, l'inquiétude devrait plutôt se porter sur « les ferro-alliages et les intrants ». Le palladium, le vanadium, le platine, le ferrosilicium ou le nickel sont utilisés par les constructeurs d'engins pour renforcer certaines propriétés chimiques de l'acier. « La Russie contribue à plus de 12 % de la production mondiale de platinium et à 40 % de celle de palladium », rappellent Pierre Schoeffler et Béatrice Guedj, tous deux économistes et senior advisors de l'Institut de l'épargne immobilière et foncière (IEIF), dans une note publiée le 2 mars.
La Russie est aussi le troisième producteur mondial d'aluminium, selon le World Bureau of Metal Statistics. Surtout, elle fournit 80 % de l'alumine destinée aux 450 000 tonnes produites chaque année en France. La consommation d'aluminium hexagonale est de 1,2 million de tonnes, dont un tiers est utilisé dans le bâtiment (menuiseries, façades… ). « Les industriels ont des solutions pour s'approvisionner ailleurs, rassure cependant Cyrille Mounier, délégué général d'Aluminium France. Une usine d'alumine pourrait par exemple rouvrir à Gardanne (Bouches-du-Rhône). » Mais cela ne suffira probablement pas à faire redescendre le cours de ce métal, porté par l'explosion du coût de l'électricité.
Inflation des prix de l'énergie. Parmi les autres marchés sous tension, celui du gaz est au centre des attentions. « Le gaz importé de Russie couvre 40 % des besoins de l'Europe », indiquent les deux économistes de l'IEIF, selon qui l'Hexagone est dépendant de la Russie à hauteur de 20 % de sa consommation d'énergie finale, un taux relativement bas. Mais sans possibilité de remplacement à court terme : les seuls terminaux gaziers disposant de capacités excédentaires se trouvent en Espagne, où les pipelines sont peu connectés avec le reste du continent. « La hausse du prix de l'énergie va s'intensifier et l'inflation pourrait connaître une nouvelle dynamique », concluent Pierre Schoeffler et Béatrice Guedj.