Sur 198 réseaux d’eau potable dont le rendement n’atteint pas 50 %, 151 relèvent d’une gestion par des communes isolées. Détail cruel pour ces dernières : les points noirs cartographiés par Intercommunalités de France se concentrent notamment dans les territoires des massifs alpin et pyrénéen qui ont le plus souffert des pénuries d’eau de l’été 2022.
Fin de la récréation
Pour Sébastien Martin, président d’Intercommunalités de France, l’heure de la fin de la récréation a sonné : « Il faut arrêter de jouer avec l’eau, et de jeter par la fenêtre ce bien précieux », martèle-t-il. A ses yeux, les irréductibles partisans de l’option communale – qui couvrent 20 % des Français - s’enferment dans l’attitude qui avait inspiré à Jacques Chirac sa célèbre diatribe de 2002 à Johannesbourg : « La maison brûle et nous regardons ailleurs ».
En convoquant le lancinant dossier des fuites dans les réseaux (voir encadré), Intercommunalités de France remue volontairement le fer dans la plaie : la maintenance du patrimoine hydraulique nécessiterait un surcroît annuel d’investissement chiffré par les industriels de l’eau dans une fourchette de 4 à 5 Mds€. « Pour relever ce défi, les agences de l’eau ont besoin d’avoir en face d’elles des organisations rationnelles, capables de forger des programmations pluriannuelles, dans des sujets de plus en plus techniques », expose Sébastien Martin.

Les digues renforcent les besoins
Depuis le 1er janvier dernier, un autre argument complète sa plaidoirie hydraulique : les intercommunalités ont hérité des digues domaniales. Cette ultime étape du transfert de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations (Gemapi) contribue au changement d’échelle, dans la conception et la mise en oeuvre des politiques publiques locales de l’eau.
« Cette mesure achève de réintroduire le grand cycle de l’eau dans l’aménagement du territoire, ce qui appelle des approches conjointes de plusieurs intercommunalités », commente Christophe Degruelle, président de l’agglomération de Blois. Dans la vallée de la Loire, 13 établissements publics de coopération intercommunale se sont reconnus dans cette analyse. Ils ont conclu une convention de gestion avec l’Etablissement public Loire.
Entre agriculteurs et industriels
« L’entretien des digues met en jeu la vie de dizaines de milliers d’habitants et l’activité de nombreuses entreprises. L’exercice de cette compétence nécessite des moyens financiers et en ingénierie », insiste Christophe Degruelle. Grâce à leur capacité à se coordonner entre elles, les intercommunalités constituent à ses yeux l’outil idéal pour articuler les politiques du grand et du petit cycle. « Les digues remettent le bassin de vie sur le devant de la scène », conclut l’élu.
Dans la vallée de la Seine entre Rouen et Le Havre, les risques de montée des eaux complètent l’argumentation. « Aujourd’hui, nos documents d’urbanisme n’appréhendent pas la perspective de nos industries avec les pieds dans l’eau. La mise en œuvre de la traditionnelle prescription de remblaiement aggraverait le risque », diagnostique Virginie Carolo Lutrot, présidente déléguée d’Intercommunalités de France et présidente de l’agglomération Cau-Seine-Agglo.
Le défi de l’assurabilité
Cette perspective conduit l’élue à se préparer à de longues négociations foncières avec les agriculteurs. Vis-à-vis des industriels, les habitants de la partie aval de la vallée de la Seine ont besoin d’un porte-parole puissant, pour exercer une pression en faveur du recyclage de l’eau. Au nom de la transparence, Virginie Carolo Lutrot interroge : « Combien de millions de m3 les industriels pompent-ils, alors que des infrastructures existantes permettraient de l’éviter » ?
Après les ravages des inondations de la fin 2023 et du début 2024 dans le bassin du Lumbres (Pas-de-Calais), la question de l’échelle communale ne se pose plus dans ce territoire. « Aux intercommunalités de créer du lien avec le monde de l’assurance. Nous réfléchissons à la mise en place d’un panier minimal de risques à assurer », annonce Christian Leroy, président de la communauté de communes du pays de Lumbres.
Prix de l’eau : propositions en juin
Allergique à l’empilement législatif, Intercommunalités de France revendique le simple respect des textes en vigueur. « Nous avons besoin d’une gouvernance limpide, fluide, opérationnelle et efficace », martèle Sébastien Martin. Dans les territoires ruraux peu denses, ce cahier des charges peut inclure des syndicats départementaux regroupant plusieurs intercommunalités, comme le suggérait en janvier dernier le rapport des députés Yannick Haury et Vincent Descoeur.
La démonstration de l’expertise intercommunale dans la gestion de l’eau se poursuivra en juin : Intercommunalités de France finalisera des propositions financières qui incluront la valorisation des économies sur la ressource, comme l’expérimente la métropole européenne de Lille dans sa nouvelle concession avec Veolia. L’association d’élus en espère la traduction dans la loi de finances de 2025.