La France n’est plus à la fête en Afrique

Ces quinze dernières années, la France est passée de la 1ère place des constructeurs étrangers en Afrique, en termes de chiffre d’affaires, à la 3e. Explications.

France-Afrique, je t’aime moi non plus
France-Afrique, je t’aime moi non plus, le dossier spécial du Moniteur Export n°1379 ©AdobeStock

En juin 2018, un premier rapport de Coface nous avait interpellé : « La France a enregistré un fort recul de ses parts de marché dans les exportations de machines en Afrique francophone, perdant près de 20 points de pourcentage dans l’ensemble des pays de la région, comme en Algérie, au Maroc, en Côte d’Ivoire ou au Cameroun et même jusqu’à quasiment 25 points au Sénégal », notait l’assureur-crédit.

Début 2019, un sondage réalisé par le Conseil français des investisseurs en Afrique auprès des leaders d’opinion sur le continent confirmait l’impression de départ : placée en 5e position des pays non-africains ayant la meilleure image, et au 7e rang des « partenaires les plus bénéfiques » pour le continent ; la France a donc perdu ces dernières années de son influence en Afrique. Et notamment dans le secteur de la construction.

De la 1ère à la 3e place

D’après les chiffres de la direction des affaires internationales de la Fédération nationale des Travaux Publics, en 2004,

la France était encore au 1er rang des intervenants étrangers avec un chiffres d’affaires construction (bâtiments et travaux publics) de 1,4 Mds€, suivie de la Chine à 1 Md€.

L’année suivante, la Chine a dépassé la France et sa progression en 10 ans a été spectaculaire pour atteindre 22,5 Mds€ de chiffre d’affaires en 2015.

Depuis, à l’abri de l’ogre chinois, des entreprises turques ont également accéléré leur progression - particulièrement en Tanzanie, en Algérie et au Mozambique - pour dépasser les entreprises françaises, avec un CA affiché de 5,5 Mds€ contre 3,59 Mds€. La France est donc passée au 3e rang en Afrique.

« La perte d’influence est réelle mais pas tant en valeur absolue qu’en valeur relative », tempère Richard Touroude, directeur des affaires internationales de la FNTP.

« Il ne s’agit pas d’un phénomène de vases communicants mais plutôt de l’accaparement par les seules entreprises chinoises de toute l’augmentation en volume du marché africain depuis 12 ans. Ce marché est passé de 23 Mds€ pour 2008 à 39,75 Mds€ pour 2017, soit une hausse de presque 17 Mds€ que la Chine a absorbée en totalité, sans compter les 3 Mds€ qu’elle a pris sur ses concurrents. En termes de parts de marché, la Chine est passée en dix ans de 42% à 55%, la France de 14% à 9%, mais sur cette période le marché a crû de 72% », rappelle-t-il.

Faire financer les projets par le privé

Autre élément « à décharge » pour les entreprises françaises : elles ne jouent littéralement pas au même niveau que leurs concurrentes chinoises. En effet, celles-ci sont des entreprises d’Etat, qui dans le cadre de négociations interétatiques, sont capables de proposer des financements concessionnels non soumis aux règles du Consensus qui lient les pays membres de l’OCDE. C’est le cas par exemple des 60 Mds$ d’investissements annoncés en septembre 2018.

Dès lors comment lutter ? Sur le long terme, la réponse passe par une meilleure réglementation des marchés et de nouvelles sources de financement selon Richard Touroude. « Le problème ne réside pas dans la recherche de marchés sur un continent qui va doubler sa population d’ici 2050, mais dans le financement des projets ! », assène-t-il.

« L’Afrique a besoin de 135 Mds€ d’investissements annuels dans les infrastructures et l’on en finance aujourd’hui que 75. Nous soutenons donc le changement de politique des banques multilatérales de développement, qui incitent aujourd’hui le secteur privé à mobiliser les marchés de capitaux pour réaliser ces marchés d’infrastructure. » Une alternative aux prêts chinois créant une dette qui dépasse le seuil de soutenabilité dans de nombreux pays du continent.

Par ailleurs, les entreprises françaises agissent auprès des institutions internationales et des banques multilatérales de développement pour promouvoir des règles contraignantes communes, de nature à préserver les intérêts à long terme des pays africains , notamment en matière environnementale et sociale, en matière de lutte contre la corruption , d’emploi et de formation de la main d’œuvre locale, de choix de mieux-disant contre le moins-disant etc…

« Il est indispensable que la France soutienne au sein de l’OCDE, aux côtés des autres Etats-membres de l’UE, le relèvement du plafond de la part locale, actuellement fixé à 30 % de la part export, dans les contrats financés avec garantie publique », insiste Richard Touroude. « Aujourd’hui il est trop faible pour permettre d’avancer vers les Objectifs de Développement Durable fixés par l’ONU pour 2030 qui impliquent un recours croissant aux ressources locales, tant en matériaux qu’en main d’œuvre. »

Direction le Kenya ?

Des objectifs dont la réalisation devient impérative notamment dans la partie du continent « traditionnellement » moins porteuse pour les entreprises françaises : l’Afrique de l’est. « L’explosion démographique, l’émergence d’une vraie classe moyenne, les importantes réserves des hydrocarbures et minerais, le développement d’industries locales sont autant d’indicateurs qui révèlent le potentiel de cette partie du continent », explique ainsi Business France.

« L’aménagement urbain est soutenu par les grands bailleurs de fonds internationaux tels que la Banque mondiale, la Banque Africaine de Développement, la JICA. Mais aussi certaines organisations internationales comme ONU-Habitat, dont le siège mondial est basé à Nairobi ».

Le Kenya justement est ciblé par l’agence qui soutient les entreprises françaises à l’export : « Avec une population de 47 M d’habitants et un PIB de 69 M$, le Kenya est la « locomotive économique » de l’Afrique de l’Est, rappelle Business France. Or, le pays doit faire face à de nombreux défis liés à une croissance urbaine non-maîtrisée, notamment à Nairobi. « Les secteurs prioritaires identifiés sont l’urbanisme, l’industrie, le tourisme, les nouvelles technologies et les infrastructures », note ainsi Business France qui rappelle que dans le pays « les investissements publics ont largement contribué à la croissance du pays, l’accent étant mis sur développement des infrastructures, afin de renforcer la position de hub régional ».

L’Afrique reste donc bien une zone de relais de croissance pour les entreprises françaises – la 2e derrière l’Asie - confirme Business France. Mais son développement économique porteur cache un enjeu bien plus important que résume Richard Touroude : « L’effort d’investissement en Afrique est d’autant plus nécessaire, que le continent sera très affecté par le changement climatique, et ce alors que l’Afrique émet le moins de CO2, et le changement des températures. Les migrations auxquelles nous assistons ces temps-ci ne sont rien en comparaison des grandes migrations qui auront lieu si la sécurité alimentaire et l’emploi des jeunes ne sont pas assurés. ».

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