Quelle est l’histoire de Kingspan en France ?
Cédric Bruge : Kingspan est entré sur le marché français en 2009, a monté une équipe commerciale et décidé de "se muscler" un peu à partir de 2012 avec de premières acquisitions dont celle du groupe ThyssenKrupp bâtiment et de sa marque Isocab (solutions de panneaux isolants) avec deux usines de fabrication, l’une à Dunkerque et l’une à Perpignan. J’ai été chargé en 2013 de la gestion commerciale de ces sites et j’en ai pris la direction générale en 2017.
Raoul Roth : Pour ma part je suis arrivé chez Kingspan en 2016 avec l’acquisition de la société Ecodis, spécialisée dans les lanterneaux et le désenfumage. Les acquisitions ont bien entendu continué par la suite.
C.B : En 2019 nous avons fait l'acquisition du groupe Bacacier un des leaders du marché avec 24 sites opérationnels en France pour trois branches : Bacacier Profilage, Maison de l'étancheur et Dome Solar spécialisée dans les systèmes d'intégration de panneaux solaire dont nous avons fait l’acquisition à 100% en 2021.
R. R. : En 2020, ma division a acquis la filiale française de Colt International, spécialiste du désenfumage et de la ventilation naturelle pour compléter l'activité Light + Air en France et en 2021 avons acquis auprès du groupe Smac les sociétés Skydôme et Essemes Services.
Et toutes ces entreprises gardent leur identité de départ ?
R. R. : Nous avons une stratégie globalement multicanale et multisegments. Là où il y a lieu de transformer une marque en marque Kingspan nous le faisons. C'est par exemple ainsi que la société Ecodis est devenue Kingspan Light + Air. Bien sûr si les marques sont extrêmement bien implantées et qu’il y a un intérêt à les conserver par rapport à une segmentation clientèle ou par rapport à un marché particulier, elles sont conservées telles quelles tout en étant intégrées au groupe Kingspan.
Comment est-ce que Kingspan a traversé la crise ?
R. R. : Globalement bien. Comme l'ensemble du marché de la construction en France, nous avons tiré notre épingle du jeu jusqu'en fin d'année 2020, en France mais également au niveau mondial. L'activité est restée très légèrement en retrait en termes de revenus pour l'ensemble du groupe dans le monde par rapport à 2019. Nous anticipons une très forte croissance de notre activité pour 2021 avec une progression extrêmement significative de nos facturations et de nos profits sur le premier semestre de cette année. En 2020 Kingspan a réalisé 4,6 Mds € de chiffre d'affaires et un peu plus de 500 M€ de profits. La France est devenue en 2021 le pays où le groupe Kingspan - 166 sites de fabrication dans le monde -est le plus représenté et le premier pays en termes de chiffre d’affaires.
Est-ce que la mise en place de la RE 2020 et la relance par la rénovation vont changer les choses pour vous en termes d'acquisitions et d'investissements ?
R. R. : L'enveloppe du bâtiment durable est au cœur de la stratégie de Kingspan. Effectivement aujourd'hui c'est un sujet très "trendy". Au-delà des différentes réglementations qui tirent notre activité, le public prend conscience que plutôt que de parler d'abord d'énergie verte, c'est déjà bien de ne pas trop consommer d’énergie. Donc nous proposons des produits à haute performance mais aussi à haute qualité environnementale. Nous faisons en sorte d’être le moins impactant possible pour l'environnement.
C. B. : À partir du moment où l’on est leader dans l’enveloppe du bâtiment, on est obligé de travailler sur les transformations et sur les bâtiments du futur et donc d'avoir des équipes d'ingénieurs qui travaillent sur le positionnement du bâtiment, l’inclinaison de sa toiture, le bardage, l’éclairement, la sécurité du lieu de travail, le désenfumage etc… Ca ce sont les choix qui ont déjà été faits. Pour le futur, nous utilisons des isolants 2e ou 3e génération, notamment le Quadcore fabriqué en partie avec des bouteilles en plastique recyclées. C'est l'un des objectifs clairs fixés par le groupe avec sa démarche Planet Passionate (voir encadré) . Et bien sûr nous sommes en première ligne sur la REP.
Dans quelle mesure ?
C. B. : Avec Saint-Gobain, d'autres fabricants de laine ou de mousse et des installateurs nous travaillons au montage de notre filière de de recyclage. L'échéance est assez courte : le "go" est attendu le 1er janvier 2022. J'ai des personnes qui travaillent uniquement là-dessus. En ce qui concerne l'éco-conception de nos produits et leur recyclage, nous fournissons déjà beaucoup d'efforts. Ainsi, pour l’acier qui rentre dans la composition de panneaux sandwich à mousse polyuréthane, nous avons investi dans le programme H2 Green Steel en Suède, un haut-fourneau qui permettra la production d’un acier décarboné. Nous avons travaillé avec nos fournisseurs pour leur faire baisser leur empreinte carbone et nous nous avançons de notre côté pour fabriquer des aciers à base d'hydrogène et arrêter d'utiliser le coke et le charbon. Pour les polyols nous utilisons le plastique des bouteilles. Et nous achetons le MDI. Reste le recyclage. Les déchets de déconstruction de bâtiments d’il y a 20 ou 25 ans représentent un problème pour un réemploi en matière première : il y a des matières qui viennent de partout, les anciennes mousses n'avaient pas les mêmes composants, les agents d'expansion étaient différents. C'est compliqué. En ce qui concerne nos matériaux en revanche nous travaillons à pouvoir recycler notre propre mousse, à réutiliser nos déchets d'usines.
Donc le marché est porteur, vous avez fait les acquisitions qu'il fallait...Quel est l'objectif d'après ?
R. R. : Aujourd'hui et pour les 2 prochaines années ce sera bien sûr la croissance organique : développer les marques, les implantations et s'il se présente des possibilités d'acquisitions complémentaires nous regarderons ce qu'il y a lieu de faire. Mais je dirais que le principal c’est vraiment la croissance organique de nos métiers.
Comment est pilotée l’innovation au sein de Kingspan et de ses marques ?
R. R. : Il y a une R&D centralisée au niveau du groupe avec un "flagship", un centre de recherches en Irlande, qui a vocation à développer des choses fondamentalement nouvelles. Mais l'adaptation aux marchés de nos produits est faite localement. Aujourd'hui, les marchés français ne sont pas les marchés allemands, qui ne sont pas les marchés hollandais et cetera. Et malgré toutes les directives européennes, les normes européennes etc..., chaque pays conserve ses spécificités en termes de classe performancielle choisie avec éventuellement des certifications par des tierces parties. Il y a donc une nécessité d'avoir un focus client par client, marché par marché. C'est ce sur quoi nous nous engageons.
C. B. : Par ailleurs, notre CEO est très facile d’accès. J'ai un patron de division « monde », pour la partie panneaux et Raoul, un patron « monde » pour sa division Light + Air et au-dessus, c'est directement le CEO. Chez Kingspan les décisions pour des investissements qu’ils soient de 200 000, d’un million ou de plus de 10 M€ ne nécessitent pas 2 ans de réflexion et 300 réunions. Appuyer sur le bouton "Go" va très très vite chez Kingspan.
Quels sont les grands événements marquants dans vos divisions respectives d'ici la fin 2021 ?
C. B. : Lors de l'acquisition du groupe Bacacier, nous avons acheté un grand site industriel, le site de Riom, au nord de Clermont-Ferrand, une ancienne usine de la Seita. Un bâtiment de 80 000 m² couverts sur 200 000 m² de terrain. Ce site on est en train de l'équiper, de le mettre à jour, de le désamianter, de refaire les dalles, de refaire les poteaux pour supporter les ponts roulants et on a démarré les transferts de certaines usines. Nous avons 4 usines autour de Clermont-Ferrand que nous allons réunir sur ce site dans un seul centre qu'on appelle le "Village Bacacier". Il y a 100 camions qui vont sortir tous les jours de ce village, donc c'est beaucoup d'investissement. Ce sont beaucoup de transferts et ce sont également à beaucoup d'achats de nouvelles machines. Si on doit citer un trou dans la raquette que nous avons comblé : nous avons investi des millions d’euros dans nos lignes de pannes pour fabriquer des pannes Z, C, Sigma, Renforts ou non renforts et des plieuses de 12 m. Dans une partie de ces 80 000 m². Et nous avons également transféré les machines pour tout ce qui concerne Bacacier industrie et Yousteel. Avant l'été, nous avons levé les capex, les investissements, pour monter nos lignes de panneaux sandwich. Aujourd’hui, Kingspan estime que l'épicentre européen doit clairement être Clermont. Et donc nous avons investi sur des lignes de panneaux qui arriveront en fin d'année prochaine. Les lignes de pannes elles, arriveront à la fin de cette année. Enfin, tous les bureaux ont été déménagés et nous avons une zone de stockage de produits finis qui va avoisiner les 50 000 m². Le montant de l’investissement dépassera les 60 M€ à échéance. Nous en avons déjà dépensé plus d’un tiers.
R. R. : Le groupe Kingspan croit en l'industrie et en l'industrie durable efficace. On croit en l'industrie française même si ce n’était pas gagné il y a quatre cinq ans. On n'est pas là pour simplement réaliser des coups. D'ailleurs Kingspan ne fait pas appel à subventions, quelles qu'elles soient. Par exemple l'année dernière nous avons décidé de rembourser l'intégralité des aides Covid reçues. Ca représente plusieurs centaines de milliers d'euros de subventions qui, soit n'ont pas été réclamées, soit ont été remboursées à l'État. Dans le monde, ça représente une dizaine de millions d’euros.
Est-ce que vous souffrez de la crise des matières premières ? En termes de prix et d’approvisionnement ?
R. R. : Chez Light + Air, les délais de livraison sont allongés de 15 jours à 3 semaines pour les composants électroniques. Il y a également des tensions sur les matières premières qui allongent les délais d’une semaine ou 15 jours. Mais ça reste acceptable.
C. B. : En 2020, nous avons fait des progressions en volume de plus de 2 chiffres en production et en livraisons par rapport à 2019. Et en 2021, nous sommes encore en progression à plus de 2 chiffres par rapport à 2020. Effectivement, il faut que nos fournisseurs suivent ! Mais si nous avons nos besoins français, nous avons d'autres besoins en Belgique, en Espagne, en Suisse, en Italie... Et Kingspan a une réflexion européenne, voire mondiale. Donc, s’il y a des marchés plus impactés que d'autres, nous allons "dévier” les matières premières pour les envoyer sur les sites qui ont des besoins. On peut frôler des zones de turbulences mais nous sommes suffisamment prévenus en amont, nous savons ce que nous pouvons avoir comme matière. Ainsi, nous n’avons pour l’instant pas perdu de commandes, nous n'avons pas eu à rappeler des clients pour leur dire « désolé, je ne pourrai pas vous livrer ». Nous savons trouver les fournisseurs qui savent répondre à nos besoins. Et eux savent que Kingspan continuera à progresser dans les années à venir avec tous les investissements qui sont lancés. Bref, nous avons subi cette crise, mais bien moins que les autres je pense.
Planet Passionate
A l’occasion de l’ouverture de la COP25, l'industriel irlandais Kingspan, avait annoncé le lancement de sa nouvelle stratégie environnementale baptisée Planet Passionate : 12 objectifs sur quatre domaines (l'énergie, le carbone, la circularité et l'eau,) avec des engagements jusqu’en 2030 devant permettre au groupe de réduire le carbone et l’énergie dans ses processus de fabrication et, à terme, d’ouvrir la voie à des bâtiments à faible émissions de carbone.
Elle prévoit tout d’abord d’alimenter 60% des opérations de Kingspan à partir d’énergies renouvelables. L’entreprise s’engage aussi à atteindre une production zéro carbone nette.
"D’ici à 2025, le groupe n’aura plus de nouvel achat de véhicule à moteur thermique. Et en 2025, la flotte sera entièrement composée de véhicules zéro émission", confirme Raoul Roth. "Nos bâtiments seront auto-suffisants d’un point de vue énergétique grâce au photovoltaïque et à l’amélioration de leur performance énergétique. Cela demande beaucoup d’investissements."
Kingspan s’est engagé à surcycler (c’est-à-dire donner une nouvelle vie haut de gamme) 1 milliard de bouteilles plastiques par an en produits d’isolation d’ici 2025 (256 millions de bouteilles "surcyclées" en 2018). Enfin, dernier engagement : récolter à partir d’eau de pluie 100 millions de litres destinés à l’activité de l’entreprise. Par ailleurs, Kingspan a atteint son objectif de faire correspondre 100 % de sa consommation d'énergie opérationnelle avec les énergies renouvelables.