Logement - La forteresse oubliée

A Paris XIXe, un bâtiment méconnu, conçu par les architectes Claude Parent et André Rémondet, révèle sa puissance à la faveur de sa reconversion en habitat social.

 

 

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
Une architecture de type «bunker», dont Claude Parent fut un spécialiste.

Descendant la colline de Belleville, en aval de la place des Fêtes et de ses barres des années 1960, la découverte de cette forteresse en béton, aujourd'hui dédiée à de l'habitat social, est aussi inattendue que celle de ce coin secret du XIXe arrondissement de Paris, le quartier de la Mouzaïa, où le bâtiment est situé. Un bout de banlieue en plein Paris, où une diversité de pavillons, avec jardinets et toits en tuiles, et de petits immeubles d'habitation faubouriens, se déploie le long de rues désertes, plantées de platanes, et reliées entre elles par des venelles arborées qui dévalent la pente.

Image d'illustration de l'article
PHOTO - 21096_1282405_k3_k1_2988784.jpg PHOTO - 21096_1282405_k3_k1_2988784.jpg

C'est à l'orée de ce secteur, rue de Mouzaïa, qu'a été construit en 1974 ce bâtiment tertiaire totalement méconnu, imaginé par les architectes André Rémondet (1908-1998) et Claude Parent (1923-2016). Le premier était alors l'un des architectes les plus prolifiques en matière de logements à Paris, et le second avait déjà à son actif la réalisation de quelques monuments de l'histoire de l'architecture du XXe siècle (maison de l'Iran de la Cité internationale universitaire de Paris, église Sainte-Bernadette-du-Banlay à Nevers).

Image d'illustration de l'article
PHOTO - 21096_1282405_k4_k1_2988781.jpg PHOTO - 21096_1282405_k4_k1_2988781.jpg

Claude Parent, dans un entretien réalisé en 2015 par l'agence Canal Architecture - en charge de cette réhabilitation, qui concerne également un second bâtiment contigu -, révèle un désaccord avec son associé d'alors, précisant avoir dû protéger le projet de « dérapages, notamment dans le plan de masse [...], et surtout dans la modénature de la façade » à laquelle il attachait une grande importance.

 

Image d'illustration de l'article
PHOTO - 21096_1282405_k5_k1_2988787.jpg PHOTO - 21096_1282405_k5_k1_2988787.jpg

Dents de mammouth. De fait, la « carapace » du bâtiment, selon le mot employé par l'architecte Patrick Rubin, cofondateur de Canal Architecture, porte la signature de Claude Parent, protagoniste majeur du brutalisme qui, avec l'urbaniste Paul Virilio (1932-2018), donna aux bunkers du mur de l'Atlantique leurs lettres de noblesse. L'analogie est ici frappante, par la compacité du bâtiment et l'emploi du seul béton brut comme matériau, en panneaux lourds préfabriqués (2,70 x 2,70 m). En encadrant les baies vitrées, ces derniers dessinent des créneaux semblables à ceux d'un château fort. Cintrés, ils forment aux angles des sortes de tourelles qui rythment les façades. A chaque étage, des pièces tridimensionnelles en béton, de forme triangulaire - appelées « dents de mammouth » par les ouvriers -, avancent chacune leur pointe en avant des façades, comme pour mieux repousser l'ennemi.

Image d'illustration de l'article
PHOTO - 21096_1282405_k6_k1_2988788.jpg PHOTO - 21096_1282405_k6_k1_2988788.jpg

Un bâtiment restructuré, faisant preuve d'une grande capacité de réversibilité.

 

Image d'illustration de l'article
PHOTO - 21096_1282405_k7_k1_2988789.jpg PHOTO - 21096_1282405_k7_k1_2988789.jpg

Le béton, très dégradé (pollution, tags, épaufrures, armatures corrodées, etc. ), a été nettoyé et réparé. Remplacées, les fenêtres sont équipées de châssis en chêne, au lieu de l'aluminium d'origine. Déplacées au nu intérieur de la façade, elles laissent à présent percevoir, depuis l'extérieur, l'épaisseur de la carapace. L'intérieur a été facilement restructuré, le bâtiment faisant preuve d'une grande capacité de réversibilité, pour accueillir 168 logements pour étudiants et jeunes travailleurs dans les étages,14 ateliers-logements pour artistes en rez-de-chaussée, auxquels s'ajoute un grand espace de coworking au niveau - 1, éclairé par une cour anglaise.

Image d'illustration de l'article
PHOTO - 21096_1282405_k8_k1_2988798.jpg PHOTO - 21096_1282405_k8_k1_2988798.jpg

« Lorsqu'on pénètre dans le bâtiment, on se rend compte tout de suite de l'intelligence du plan qui, à mon avis, est l'œuvre de Rémondet, Parent s'occupant de l'enveloppe. Sa limpidité et son économie me font penser aux grands maîtres de cette époque, comme Jean Dubuisson (1914-2011), qui savaient dessiner de tels bâtiments avec très peu de circulations verticales », relève Patrick Rubin. Ce qui s'explique ici par la présence d'un escalier de type « Chambord » qui permet de doubler les unités de passage, passant de deux à quatre, tout en minimisant l'espace occupé pour circuler. Il en résulte une grande fluidité spatiale, perceptible notamment dans les étages où baigne une atmosphère d'hôtel haut de gamme. Au-devant des ascenseurs, un grand palier ouvert fait office de lobby.

Image d'illustration de l'article
PHOTO - 21096_1282405_k9_k1_2988801.jpg PHOTO - 21096_1282405_k9_k1_2988801.jpg

Mobilier sur mesure. Dans les logements (pour une à six personnes en colocation), le sol est en vrai linoléum. Le mobilier sur mesure, dessiné par Canal Architecture, épouse la volumétrie des pièces et donne la sensation d'espaces plus vastes. « Ce bâtiment n'est pas un chef-d'œuvre de l'architecture, et je suis très étonné qu'il ait été conservé et doive être aujourd'hui retrouvé dans sa beauté originelle », déclarait, avec son ironie légendaire, Claude Parent en 2015 à l'agence Canal Architecture. C'est désormais chose faite, et en toute beauté !

Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !