Que faire des friches industrielles ?
On ne doit pas être surpris par l'existence de friches industrielles ou de zones désaffectées. L'histoire de la ville a toujours été faite d'abandons et de nouveaux usages. Dans un processus de sélection cumulative, on a abandonné des bâtiments, des espaces urbains ou des infrastructures, pour ensuite leur affecter un usage différent, dans un nouveau système de significations. Ce processus a modifié plus ou moins radicalement la géographie, le fonctionnement et la symbolique de la ville. Il a parfois été violent, mais il s'est souvent déroulé selon des modalités quasi-imperceptibles. C'est à travers ce processus que s'est produit, selon les mots d'André Corboz, « l'immense palimpseste de la ville et des territoires européens ».
Que contiennent ces morceaux de ville plus ou moins abandonnés ?
Ce qu'on a abandonné depuis trente ans, ce sont les lieux, les infrastructures et les équipements sur lesquels s'appuyait la première modernité : les quais, les ports, les rails, les dépôts, les casernes, les écoles, les hôpitaux... Avec une perte importante de la mémoire de ces lieux où notre société s'est formée.
D'un seul coup, ces zones sont devenues des trous dans les tissus urbains, et la tentation a été de les remplir, de profiter de leur apparente disponibilité pour reconstruire la ville sur elle-même. Mais la dimension des friches industrielles et, plus généralement, des zones désaffectées en Europe est telle qu'on s'aperçoit que ce n'est pas possible : la première modernité, très lourde, a envahi des espaces considérables. En ce cens, elle a correspondu à une véritable révolution, non seulement économique et sociale mais aussi spatiale.
De ce point de vue, la modernité actuelle est-elle différente ?
Notre modernité contemporaine est plus légère et plus malléable. Elle s'insère souvent dans les espaces existants par percolation. Bien qu'agressive, elle n'apparaît pas, du point de vue spatial, avec les traits radicaux d'une révolution. Au contraire, elle devient toujours plus soucieuse de problèmes, comme notamment la notion de développement durable. Il ne s'agit pas de reconstruire la ville sur elle-même, mais plutôt de bâtir une nouvelle forme de ville et d'habitat. Une ville « poreuse », au sens donné par Walter Benjamin. Une ville qui, comme dans le projet que nous avons proposé avec Paola Vigano pour la ZAC de la Courrouze à Rennes, utilise la discontinuité et le fragment comme matériaux fondamentaux de composition urbaine. Des matériaux par lesquels on peut représenter la diversité de nos sociétés et de nos économies.