Enquête

La dématérialisation s'ancre dans le réel

Le numérique, dont la crise a mis en évidence les avantages, apparaît plus que jamais indispensable aux acheteurs publics comme aux entreprises.

 

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Avec la crise sanitaire, la dématérialisation de la commande publique est enfin apparue comme une opportunité et non plus comme une contrainte.

Avec l'épidémie de Covid-19, les chantiers se sont arrêtés brutalement et les bureaux des entreprises comme des administrations se sont dépeuplés. Les acteurs de la commande publique ont dû alors faire preuve d'adaptation pour maintenir l'activité. Embarqués dans la transition numérique depuis plusieurs années, ils ont su profiter de leurs acquis et appuyer sur l'accélérateur. Ceux qui ont innové, parfois à tâtons, dessinent des process modernisés, qui perdureront à n'en pas douter bien au-delà de la crise.

Visites et jurys virtuels. « La dématérialisation de la commande publique est enfin apparue comme une opportunité et non plus comme une contrainte », se réjouit Julie Massieu, codirigeante de l'agence Déclic, consultante en achat public. Un avis partagé par Arnaud Latrèche, adjoint au directeur de la commande publique et de la valorisation immobilière du conseil départemental de la Côte-d'Or : « Nous pensions que tout tournerait au ralenti, mais dès les premiers jours de confinement, différents services nous ont demandé de lancer des consultations. Nous avons pu maintenir l'activité, car nous étions prêts, et les entreprises aussi. Leurs équipes ont pu étudier les dossiers à domicile, grâce à la dématérialisation. »

Durant les huit semaines de confinement, les acheteurs publics ont eux aussi fait preuve d'audace. C'est le cas de la communauté urbaine de Dunkerque. « Nous devions organiser des visites de sites obligatoires et fondamentales pour permettre aux candidats de faire des offres techniques et financières conformes à nos attentes, raconte Jean-Christophe Caroulle, directeur adjoint en charge de la commande publique. L'entrée en vigueur du confinement ayant rendu cela impossible, nous avons eu l'idée d'organiser une visite virtuelle avec l'assistant à maîtrise d'ouvrage et les entreprises qui avaient retiré des dossiers. Un partage d'écran a permis de projeter une vue aérienne très précise du site, et tous les participants ont pu poser leurs questions. »

La Ville de Dunkerque a également organisé un jury de concours pour un marché de maîtrise d'œuvre dont une partie des membres était en présentiel et l'autre à distance. « Cette technique offre l'avantage d'éviter des problèmes de quorum qui ne serait pas atteint », assure Jean-Christophe Caroulle.

Des déplacements économisés. Partout sur le territoire, le numérique, et en particulier la visioconférence, a pris le relais. A Strasbourg, dans les départements de la Côte-d'Or et des Hauts-de-Seine ou encore en région Bretagne (lire encadré p. 80), les acheteurs publics ont organisé des commissions d'appel d'offres par écrans interposés.

A Blagnac (Haute-Garonne), la Ville a mené à distance - et continue de le faire - des séances de négociation avec les candidats à l'attribution d'une délégation de service public. « Pendant le confinement, nous n'avons pas eu d'autre choix », reconnaît Quentin Dor, directeur des achats. Et aujourd'hui, la collectivité incite les entreprises à venir sur place, du moins une partie de l'équipe qui porte le projet, pendant que les experts métiers restent au siège de la société. « Nous évitons ainsi de renchérir inutilement le coût de présentation des offres qui est déjà élevé dans certains types de projet, et cela répond aussi à une préoccupation environnementale », explique-t-il.

L'acheteur indique par ailleurs ne pas s'opposer à l'idée d'une visite de site à distance. « Au contraire, même : je suis intimement convaincu que, dans beaucoup de cas, ces visites sont un facteur défavorable pour des entreprises éloignées. D'ailleurs, il n'est pas impossible que certains se servent de ces visites pour faire de la préférence locale. Au moins, avec le virtuel, le doute est levé. »

Les entreprises en veulent plus. Toutes ces innovations, les opérateurs économiques y sont favorables. Pour Julie Massieu, « cela n'a pas ou plus de sens aujourd'hui de faire déplacer les candidats, parfois de la France entière, pour une audition de quelques minutes ». Elle a constaté avec regret la suspension d'un nombre important d'analyses de marchés et d'auditions pendant la période de crise.

Souvent plus familiarisée avec les nouvelles technologies, la maîtrise d'œuvre veut aller encore plus loin. Pierre Verzat, président de la fédération Syntec-Ingénierie, explique que « le confinement a poussé des maîtres d'ouvrage à faire un saut en avant qu'ils n'auraient pas nécessairement accepté en temps normal ». L'entreprise qu'il dirige, Systra, a ainsi « pu passer des oraux de présentation en vidéo, alors qu'auparavant ils étaient forcément en présentiel ». Il considère néanmoins que la dématérialisation se limite encore trop à l'échange et à la signature de documents conformément à la réglementation. En outre, souligne-t-il, « les acheteurs de taille modeste n'ont pas forcément l'habitude ou même le matériel adapté pour réaliser des visioconférences avec leurs fournisseurs. Or, avant de signer un marché, il y a un grand nombre de décisions et de réunions. »

Un déclic pour les petites collectivités. Pour Bruno Koebel, directeur adjoint et chef du service des achats et de la commande publique de la Ville et de l'Eurométropole de Strasbourg, cette crise sanitaire va être un accélérateur de la dématérialisation, surtout pour les collectivités en retard. « Sa mise en place implique des changements d'organisation et peut être vécue comme une difficulté, mais elle apparaît aujourd'hui comme un véritable avantage », estime l'acheteur alsacien. Quant à Quentin Dor, il considère que cette évolution dépendra des individus « car c'est avant tout une question d'état d'esprit ». Point positif : « Avec les élections municipales, de nouvelles équipes sont installées, souvent rajeunies, ce qui pourra donner une nouvelle impulsion à la dématérialisation. »

Mais du chemin reste à parcourir pour gagner en efficacité. A commencer par la généralisation de la signature électronique qui apparaît désormais comme indispensable, alors que tous les acteurs ne l'utilisent pas encore. Proactive, la région Bretagne a décidé de l'imposer pour tous les contrats supérieurs à 25 000 euros HT. « Pendant le confinement, nous avons observé le bénéfice de la signature électronique avec des retours très rapides tant sur la partie signature des marchés que pour tous les actes liés à la crise », précise Anne-Charlotte Duclos, cheffe du service politique d'achat.

Lever l'exigence d'un certificat qualifié. Sur le même sujet, la Ville et l'Eurométropole de Strasbourg ont dû faire face à une difficulté particulière. Alors que les marchés sont entièrement dématérialisés, dès le stade de la passation, certaines entreprises n'ont pas pu accéder à leurs signatures électroniques à cause du confinement. Dès lors, « après consultation de la Direction des affaires juridiques de Bercy, nous avons autorisé la signature manuscrite scannée en indiquant aux entreprises que nous récupérerions les documents originaux une fois la période de confinement terminée », explique Bruno Koebel. A ce propos, Jean-Christophe Caroulle, convaincu des avantages de la signature électronique, considère que l'exigence d'un certificat qualifié est un frein qu'il faudrait lever.

Le prochain grand chantier, qui s'annonce et apparaît comme une suite logique, est la dématérialisation de l'exécution des marchés publics. Car, rappelons-le, si la dématérialisation est évoquée depuis 2004 dans les directives européennes relatives aux marchés publics, et impérative depuis le 1er octobre 2018, cette obligation ne concerne en réalité que la phase de passation. Or, pour Quentin Dor, « il sera important de mettre l'accent sur l'exécution électronique des marchés. Cela veut dire recevoir les déclarations de sous-traitance par voie électronique, mais aussi les projets d'avenants, les ordres de service, les PV de chantiers, etc. ». Sans attendre un nouveau confinement pour avancer…

- La semaine prochaine : « Face aux crises, un espace public plus agile ».

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