Il est (re)venu le temps des utopies et des rêves destinés à ré-enchanter la ville. Du moins l’étude urbaine commanditée par Groupama Immobilier, «Le Chemin», veut y croire, qui mise sur un devenir apaisé du quartier de La Défense au lendemain d’une pandémie qui a rebattu les cartes de l’emploi, des mobilités et de l’immobilier.
Le quartier, boudé en-dehors des heures de bureaux et déserté par les confinements successifs, est-il appelé à devenir une gigantesque friche tertiaire? La tabula rasa s’impose-t-elle? Non, veut croire Eric Donnet, directeur général de Groupama Immobilier qui présente comme «un acte de foi» les «visions» pour les 30 prochaines années proposées par cinq équipes d’architectes - Enia, Chartier-Dalix, Architectures Anne Démians, Maud Caubet Architecture et 2Portzamparc - au terme de six mois de travail, à partir des constats établis par le sociologue Jean Viard et l’anthropologue urbaine Sonia Lavadinho.
Des propositions destinées à «revitaliser» La Défense, ré-ancrer le quartier dans son territoire et changer radicalement le regard porté sur les dizaines de tours, la dalle, les sous-sols et autres délaissés propres au lieu. Objectif : faire de La Défense l’un des hauts lieux du tourisme, de l’économie, de la culture et du plaisir de vivre en Ile-de-France…
Esprit des lieux
Pour l'anthropologue Sonia Lavadinho, il s’agit de «passer de la ville fonctionnelle à la ville relationnelle», d’être «en lien, en mouvement», mais aussi de «faire corps avec la ville, dans la relation avec soi-même, avec la nature, avec les autres, dans les hasards heureux de la sérendipité». Et de métamorphoser le quartier en «une ville de la rencontre, de la surprise ; une ville fertile, commensale et solidaire». Soit.
Avec la force de conviction qu’on lui connaît, le sociologue Jean Viard souligne combien la pandémie nous a conduit à réévaluer nos vies, nos modes de travail, de déplacement, etc. «C’est un mai 68 à la puissance 10! La Défense marque une époque. Elle est là. Il faut désormais l’intégrer dans la nouvelle société qui naît, retrouver un art de vivre, un esprit des lieux».
Psychogéographie
Avec Chartier-Dalix (Frédéric Chartier et Pascale Dalix), il s’agit de «Faire système» : connecter les tours entre elles par des «piles» ponctuelles, «légères et opportunistes», re-naturer le quartier par des «folies végétales» installées le long de l’axe historique, ré-ancrer le tout via des bâtiments multi-usages aux «portes» des territoires limitrophes et d’installer enfin un réseau de passerelles entre les tours, réaménagées en partie, au service d'une «nouvelle psychogéographie».
«La Défense Inside-out» de l’agence Enia (Mathieu Chazelle, Simon Pallubicki et Brice Piechaczyk) interroge «une utopie construite», une expérimentation qu’il s’agit de «prolonger» via une hiérarchie d’ouvrages - anneaux, sentiers, passerelles, places, rooftops - destinés à favoriser connexions et déambulations au sein d’un parcours évolutif et végétalisé dans «un continuum de biodiversité». Quatre «portes majeures» viennent relier La Défense aux communes riveraines de Courbevoie, Neuilly, Nanterre et Puteaux.
Espèces d’espaces
Plus singulier, le «Flying Lane» d’Architectures Anne Démians combine un ouvrage en béton haute performance, passerelle à deux étages, glissée entre les tours, qui se fait l’interprète d’un «système racinaire» dont elles sont à ce jour dépourvues… Manière de faire circuler l’énergie et les flux d’une construction à l’autre, des plus modernes aux plus anciennes tours, dans une coopération bienveillante, à la manière des «rhizomes» que tissent entre eux les plantes et les arbres.
De même avec «Coutures» le bien-nommé, Maud Caubet Architecture s’accroche à l’existant et propose un chemin à l’échelle humaine, tissé entre des lieux délaissés, des «espèces d’espaces» (thanks to Georges Perec) intégrés au paysage urbain, sans débauche de moyens, «poétique et bucolique», qui privilégie les matériaux naturels et biosourcés.
"L'Avenue"
Le projet de Christian de Portzamparc (2Portzamparc) affiche, quant à lui, l’évidence de l’œuf de Christophe Colomb. «L’Avenue» propose tout simplement d’intégrer à l’esplanade existante, vaste, hostile, inappropriée et inhabitée, au statut incertain ; une avenue de 30 mètres de large, bordée d’immeuble résidentiels de 25 à 50 mètres de hauteur. Manière de créer une intimité collective, complétée par la création de deux rues latérales aux tours. Une disposition fertilisée par l’expérience acquise à New York via «la conversation entre des immeubles de 25 m de haut qui parlent aux passants, avec ceux de 150 m et plus qui dialoguent avec le ciel».
Hybridation des usages, immeubles en bois et création d’une promenade continue de toiture à toiture, qui connecte immeubles nouvellement créés et tours existantes. «Le quartier de La Défense est l’œuvre grandiose du modernisme qui, 60 ans après, se révèle inadaptée aux usages actuels. Le réhabiliter est la tâche de notre temps», plaide encore Christian de Portzamparc. Charge à présent aux décideurs publics - et aux citoyens (?) - d’approfondir ces visions pour, peut-être un jour, leur donner corps, force et vigueur.
