La décarbonation à l’œuvre chez les artisans du bâtiment

Pour beaucoup de professionnels et d’artisans, la décarbonation se résume à l’amélioration de l’efficacité énergétique du bâtiment, et, dans une moindre mesure, à l’utilisation de matériaux de construction bas carbone. Pourtant, la démarche est bien plus vaste, intégrant des mesures de réduction de l’empreinte carbone de son activité. Voici quelques exemples d’artisans pionniers dans ce domaine.

Ze Plombier
Ze Plombier, à vélo à Nantes

Les petites entreprises du bâtiment peuvent sembler à des années-lumière du protocole Greenhouse Gas (GHG) dont l’objectif consiste à mesurer et à gérer les émissions de gaz à effet de serre issues de son activité. Si réglementairement, ces structures artisanales ne sont pas encore concernées par l’obligation de dresser leur bilan carbone (article L 229-25 du code de l’Environnement), certaines n’ont pas attendu pour se retrousser les manches et réduire leur empreinte de CO2. Bien que l’origine et les motivations de leur démarche varient, ces professionnels ont conscience d’être engagés dans un processus irréversible.

Des démarches de « bon sens »

Avant de s’implanter en 2007 en région Occitanie, et de s’investir entièrement dans une activité de restauration en terre crue et à la pierre, Christian Baur, 64 ans, a vécu vingt ans en plein cœur de la forêt guyanaise, dans le village de Saül, uniquement accessible par avion, où vivent 150 habitants d’origine créole, métropolitaine, hmong et brésilienne. Guide dans cette partie de l’Amazonie française, il est revenu en métropole à 47 ans et a définitivement posé ses valises dans le village de Sinzos dans les Hautes-Pyrénées : « J’ai acheté une maison en terre crue et j’ai pris goût à cette technique où il n’y a pas trace de maçonnerie à base de ciment, explique-t-il. Je me retrouve ici en résonance avec ma position personnelle qui consiste à privilégier les techniques simples à base de produits prélevés dans l’environnement, non industrialisés et écologiques. »

Christian Baur, maçonnerie en terre crue, galets et techniques traditionnelles
Christian Baur, maçonnerie en terre crue, galets et techniques traditionnelles Christian Baur, maçonnerie en terre crue, galets et techniques traditionnelles

De son côté, en Vendée, à Aubigny-les-Clouzeaux, Pascale Bourdet avait racheté en 2010 la menuiserie Gendreau avec 5 salariés et vient de la céder en avril 2024 avec 20 salariés et un CA de 2,6 M€. C’est à la fois l’observation de son cadre professionnel et son engagement personnel « militant » qui l’avaient décidée à entreprendre diverses actions de réduction des déchets dans l’entreprise spécialisée en ossature bois, charpente, ouvertures et fermetures. « Entre la fabrication, les chantiers et les emballages de nos fournisseurs, la quantité de déchets était incroyablement importante ! C’est à partir de là que j’ai décidé d’entreprendre un certain nombre de mesures qui relèvent du bon sens. » Pour quelques temps encore, elle reste dans les murs de l’entreprise pour accompagner le repreneur dans cette démarche.

Pascale Bourdet, ancienne gérante de la menuiserie Gendreau
Pascale Bourdet, ancienne gérante de la menuiserie Gendreau Pascale Bourdet, ancienne gérante de la menuiserie Gendreau

Le « bon sens », c’est aussi l’expression utilisée par Loïc Botella, cogérant de l’entreprise de 4 salariés Trema Rénovation, créée en septembre 2022, implantée à Montpellier, dans l’Hérault, et pour qui le réemploi est indissociable des chantiers : « En intégrant le réemploi dans les projets de rénovation à notre petit niveau, nous avons le sentiment de participer à une démarche plus globale, souligne le professionnel. Bien sûr, cela nous demande des efforts complémentaires ; oui, cette démarche a un coût et nous n’identifions que peu à peu les acteurs de la filière, mais la demande commence à s’exprimer, notamment de la part d’architectes intérieurs sensibles au réemploi ».

Loïc Botella, entreprise Trema Rénovation
Loïc Botella, entreprise Trema Rénovation Loïc Botella, entreprise Trema Rénovation

Une question d’opportunité

Parfois, l’opportunité rejoint la sobriété, comme le démontre l’aventure de Ze Plombier, entreprise de plomberie à vélo créée à Nantes en 2010 par Sonia Boury Bouabdela et Pierre-Olivier Clerc : « A l’époque, nous sommes partis d’un constat. J’étais au chômage et nous traversions un mouvement social d’ampleur, marqué par le blocage des raffineries et une pénurie d’essence », se souvient Pierre-Olivier Clerc, alors plombier-chauffagiste de 21 ans. Pour contourner ces journées d’actions nationales contre la réforme des retraites organisées de septembre à novembre 2010, les deux fondateurs ont l’idée de proposer le dépannage, la réparation ou l’installation de sanitaire-chauffage à l’aide de vélos triporteurs : « Au début, c’était connoté décroissant, zadiste, et certains disaient que cela faisait publicité ambulante », explique la co-gérante qui rappelle que le regard a changé dès lors que l’entreprise a cumulé les récompenses : prix envol Moovjee, prix Médicis, Fondation Ernst & Young, etc.

Sonia Boury Bouabdela et Pierre-Olivier Clerc, Ze Plombier
Sonia Boury Bouabdela et Pierre-Olivier Clerc, Ze Plombier Sonia Boury Bouabdela et Pierre-Olivier Clerc, Ze Plombier

La SARL, forte aujourd’hui de 7 compagnons et d’un CA de 700 000 €, s’est intéressée assez rapidement à la mesure de son empreinte carbone. « Nous l’avons calculée dès les premières interventions et nous économisions, par rapport à un véhicule thermique, quelques centaines de grammes équivalents CO2, mais nous n’avons pas systématisé cette comptabilité », regrette Pierre-Olivier Clerc. Son associée complète en écartant le risque de greenwashing : « Nous pourrions désormais automatiser le calcul, mais il est vrai que nous n’en n’avons pas encore fait un argument auprès de nos clients. »

Un océan d’indifférence

Peu ou prou, les artisans constatent leur isolement au milieu d’un océan d’indifférence ou d’une complexité sans nom. C’est le cas dans le domaine de la formation. Christian Baur, autodidacte dans son domaine et qui a dû suivre une qualification « d’artisan pavillonneur » pour s’installer, s’en émeut : « La plupart des artisans ont suivi un cursus standard et les formations des CFAn’abordent jamais le volet de la terre crue ou de la construction de murs en galets. Est-il normal d’accueillir des stagiaires de l’AFPA dans une région où la moitié du bâti ancien est en terre crue et l’autre en galet et de constater qu’ils n’en n’ont jamais entendu parler ? Il y a un vide particulièrement inquiétant ! »

C’est aussi vrai en matière de logistique. Louant le développement de la cyclologistique - qui a fait l’objet d’un plan national lancé en 2021 par le Gouvernement - Ze Plombier constate pour autant qu’il est « embryonnaire » dans le secteur du bâtiment : « Même s’il y a consensus sur la logistique des fournisseurs sur le dernier kilomètre et que de nombreuses filières l’ont adopté, celui-ci reste coûteux et si l’on calculait notre empreinte carbone, c’est là que nous serions encore pénalisés », estime Pierre-Olivier Clerc.

Pour Pascale Bourdet, c’est bien du côté des fournisseurs que le bât blesse : « Nos fournisseurs sont assez insensibles à la réduction de l’empreinte carbone. Trop d’emballages sont entourés de plastiques non recyclables ou de cornières en polystyrène. S’ils mettaient des cordes ou des sangles, nous pourrions les défaire et les renvoyer, nous pourrions créer une filière de retour des emballages. Hélas, les fournisseurs préfèrent le one shot ». Et de se montrer critique sur les sites de vente en lignes de fournisseurs parfois distants d’à peine une dizaine de kilomètres : « Tout les quincailliers se sont mis en mode "Amazon Prime" alors qu’il y a rarement urgence. Plutôt que de créer des services groupés, chaque fournisseur livre qui une boite de vis, qui de la quincaillerie dans un grand carton avec chips polystyrène et plastiques à longueur de journée. Ce phénomène est pervers. » Même pour ces pionniers, le chemin de la décarbonation semble encore long.

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