La DAJ de Bercy veut saisir le Conseil d’Etat sur la modification des prix en cours d’exécution d’un marché

La crise s’installant, les débats autour de la possibilité de procéder à une modification sèche du prix d’un marché public en raison de circonstances exceptionnelles s’intensifient. Cela englobe par exemple l’hypothèse d’introduction ou de modification après coup d’une clause de révision de prix. La Haute juridiction pourrait être invitée à éclairer l’administration et les opérateurs sur l’interprétation des règles juridiques.

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Conseil d'Etat
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Entre Bercy et sa position prudente, et les praticiens appelant à une lecture moins restrictive des textes, à qui le Conseil d’Etat donnera-t-il raison ? Réponse - peut-être - dans les prochaines semaines.

Laure Bédier, directrice des affaires juridiques du ministère de l’Economie, a en effet annoncé le 2 juin lors d’une conférence organisée par l'Association française pour le droit de la construction et de l'immobilier (AFDCI) et Juridim (1) réfléchir à saisir le Conseil d’Etat pour avis, afin « qu’il puisse nous éclairer sur la portée de l’article R. 2194-5 du Code de la commande publique et sur sa conciliation avec la théorie de l’imprévision ». Explications.

Circonstances exceptionnelles

Le débat, nourri par les difficultés actuelles d’approvisionnement et d’explosion du coût des matériaux et de l’énergie, porte sur l’interprétation de cet article R. 2194-5 du CCP. Celui-ci énonce que « Le marché peut être modifié lorsque la modification est rendue nécessaire par des circonstances qu'un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir ».

Selon la circulaire de Matignon du 30 mars 2022 relative à l’exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix des matières premières, « l’acheteur ne doit pas utiliser ces dispositions pour modifier par voie d’avenant les clauses fixant les prix lorsque cette modification du prix n’est pas liée à une modification du périmètre, des spécifications [substitution d’un matériau par un autre, par exemple, NDLR] ou des conditions d’exécution du contrat ».

C’est une « position prudente », explique Laure Bédier, qui déconseille donc de mettre en œuvre cet article pour des modifications sèches du prix. Elle justifie cette « interprétation restrictive » par le fait que l’article R. 2194-5 du CCP permet des modifications très importantes du prix (jusqu’à 50 % du montant initial du marché par modification) ; et que, résultant de la transposition des directives marchés publics de 2014, il n’a pas encore fait l’objet de jurisprudence éclairant son application.

"Pas de restriction" quant aux clauses modifiables

Cependant, la DAJ a pris note « des nombreuses discussions dans la presse », des « voix qui se sont élevées pour dire que la théorie de l’imprévision [permettant sous certaines conditions à l’entreprise titulaire d’obtenir l’indemnisation partielle des surcoûts, NDLR] n’était pas aisée à mettre en œuvre et constituait une solution extérieure au contrat » et qui appellent à une lecture plus souple de l’article R. 2194-5 du code. Lequel « n’exclut pas formellement la modification sèche du prix », admet la directrice.

Ainsi, Arnaud Latrèche, vice-président de l’Association des acheteurs publics, considérait dans nos colonnes le 5 avril que les dispositions du CCP « n’apportent aucune restriction quant à la nature des clauses initiales du contrat susceptibles d’être modifiées à ce titre », visant notamment les clauses de variation de prix.

Questions pratiques

Jusqu’alors intangible sur son interprétation stricte, la DAJ de Bercy ouvre donc une porte en envisageant de saisir le Conseil d’Etat pour avis. Pour Laure Bédier, l’inflexion suggérée par les praticiens soulève en effet de nombreuses questions auxquelles il faudra répondre : « Si on admet l’utilisation de l’article R. 2194-5 du code pour modifier le prix d’un marché face à des circonstances exceptionnelles, doit-on l’appliquer dès le premier euro de perte pour l’entreprise, ou faut-il imaginer un seuil de déclenchement comme en matière d’imprévision [autour de 1/15e du montant initial du marché, selon la circulaire précitée, NDLR] ? Et peut-on alors négocier librement les prix, voire couvrir intégralement les pertes [là où l’indemnité d’imprévision ne peut absorber plus de 75 à 95 % des pertes, selon la circulaire, NDLR] » ? Au Conseil d’Etat de jouer…

(1)sur le thème "Les contrats de construction et de Vefa face au bouleversement des circonstances économiques".

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