La question de lever l'interdiction de stationnement se pose sans a priori, dans le secteur Halluard-Gautier de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Parmi les neuf territoires associés à 65 maîtres d'œuvre retenus le 15 février au concours du ministère de la Transition écologique destiné à mieux aménager les territoires en mutation exposés aux risques naturels (Amiter), cette entrée de ville présente pourtant un cocktail explosif : l'hypothèse de submersions marines dues à la rupture des digues s'ajoute au risque de ruissellements pluviaux. Les modélisations produites par le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) induisent une contrainte sans appel : les 18 candidats ont intégré le scénario d'un engloutissement du quartier en moins de 24 h, dans les projets qu'ils ont rendus. Les noms des lauréats seront connus en décembre.
Prolongements opérationnels. Mais l'obstacle ne décourage pas les acteurs locaux : « Une forte volonté de prolongements opérationnels se manifeste tant dans la collectivité que parmi les maîtres d'œuvre. Ces derniers associent presque toujours des architectes à des hydrauliciens, et souvent des paysagistes », note Chloé Tran Duc Minh, directrice d'études en aménagement au Cerema, bras droit du plan urbanisme, construction et architecture (Puca), pilote d'Amiter. La détermination locale répond à l'ambition nationale : « Constituer un réseau d'architectes urbanistes spécialisés et créatifs », résume Hélène Peskine, directrice du Puca. Le concours de 2021 creuse le sillon tracé par les grands prix d'aménagement en terrain inondable constructible (GP a tic) orchestrés en 2015 et 2016, mais avec une nouvelle exigence née de la lutte contre l'artificialisation des sols : Amiter n'inclut que des sites déjà urbanisés.
Issus des retours d'expérience passés au crible de la géomatique par les ingénieurs du Cerema, des garde-fous solides légitiment l'audace que s'autorisent l'Etat, les collectivités et les maîtres d'œuvre. « Pour finaliser le guide méthodologique cosigné en 2019 avec le Conseil général de l'environnement et du développement durable, nous avons peaufiné son élaboration par l'analyse des inondations de 2010 et 2014, dans le Var, puis celles d'octobre 2015 dans les Alpes-Maritimes », témoigne Anne Chanal, cheffe de groupe risques et territoires au Cerema Méditerranée. A la fin de cet été, une nouvelle édition du document intégrera les leçons à tirer de la tempête Alex en octobre 2020.
Expert en urbanisme à l'Association des maires de France et ancien maire de Salbris (Loir-et-Cher) jusqu'en 2020, Olivier Pavy identifie la tempête Xynthia de février 2010 comme un « point de bascule » : « Longtemps, les plans de prévention des risques d'inondation (PPRI) s'appuyaient sur des événements constatés, en décalage par rapport à des crues inédites comme celles qui ont ravagé les lotissements de Salbris à l'été 2016. Désormais, l'Etat anticipe l'accélération des phénomènes. »
Désurbanisation préventive à Blois
Dans le quartier de la Bouillie à Blois (Loir-et-Cher), le risque d’inondation a déterminé un choix radical et sans équivalent connu à ce jour en France : la démolition préventive de 150 logements répartis sur 60 ha, décidée en 2003, puis mise en œuvre à la fin des années 2000 pendant la première mandature de Christophe Degruelle, toujours président de la communauté d’agglomération Agglopolys. Dès 2013, cette dernière pose, dans son plan paysage, les jalons d’une nouvelle vocation de l’emprise inondable : le parc agricole, naturel et urbain (Panu) s’étendrait sur 350 ha coincés entre routes, fleuve et ancienne ligne de tramway. « Rien à voir avec un parc d’attractions ! » promet le paysagiste Grégory Morisseau, maître d’œuvre du projet. Pendant les concertations du printemps 2021, il a défendu l’idée de « ménager le territoire » en hybridant les fonctions récréatives et productives, compatibles avec le plan de prévention des risques d’inondation. Le maître d’ouvrage s’attend à des négociations serrées sur l’interprétation des textes : « Les services de l’Etat ont tendance à ouvrir leur parapluie », estime Christophe Degruelle. Mais il n’entend « rien lâcher » sur sa ligne portée par une vision à long terme : « Le paysage permet de construire la politique autour d’un récit. »
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« Croiser le référentiel national avec les données locales. » La même année 2010, une autre impulsion est venue de la transposition de la directive européenne inondation de 2007, qui a poussé la France à définir les territoires à risques importants d'inondation (TRI), pièces maîtresses de la stratégie nationale de gestion, formalisée en 2014 par la direction générale de la prévention des risques. Mais la démarche descendante ne suffit pas, comme le montre le partenariat noué en 2019 entre le Cerema et le Grand Poitiers, sous-ensemble du TRI de Châtellerault-Poitiers (Vienne) : « Fin 2021, notre étude conjointe croisera le référentiel national avec les données locales, pour mesurer les impacts des crues du Clain et la vulnérabilité de l'agglomération aux ruissellements », annonce Didier Felts, chef de groupe eau, risque, résilience au Cerema Sud-Ouest. A charge ensuite pour les acteurs locaux de réguler la constructibilité à l'échelle des quartiers jusqu'à celle du bassin versant de la Vienne aval. Et peut-être de transformer les contraintes en opportunités.