La biodiversité mondiale patine à Genève

Douche froide pour la diplomatie mondiale de la biodiversité : du 14 au 29 mars, les négociations de Genève se sont heurtées à un manque de moyens et d’ambitions. Mal remis de la pandémie et bousculés par la guerre en Ukraine, les Etats n’ont guère avancé sur la route de Kunming (Chine) où ils devraient signer cette année la convention des Nations-Unies sur la diversité biologique, à l’occasion de la 15ème conférence des parties (Cop 15) : une feuille de route de 10 ans pour enrayer l’érosion de la biodiversité.

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table ronde biodiversité
Sébastien Treyer (Iddri), Basile Van Havre (Nations-Unies), Sylvie Lemmet (ministère des affaires étrangères) et Véronique Andrieux (WWF) ont débriefé les dernières négociations mondiales sur la biodiversité, le 6 avril à Paris.

« Le compte n’y est pas ». Directrice générale du fonds mondial pour la nature (WWF), Véronique Andrieux exprime sa déception en quelques chiffres : « Alors que les besoins atteignent 850 milliards de dollars par an, les moyens publics mondiaux orientés vers la biodiversité se montent à 150 milliards », a-t-elle rappelé le 6 avril, invitée par sciences po Paris, l’office français de la biodiversité et l’institut du développement durable et des relations internationales, pour une table ronde de restitution des négociations qui se sont déroulées du 14 au 29 mars à Genève.

Un trou de 700 milliards de dollars

Le gap de 700 milliards de dollars n’épuise pas la  colère de la directrice générale du WWF : « Chaque année, 500 milliards de dollars de subventions publiques aggravent la situation de la biodiversité, avec un effet multiplicateur de cinq sur le secteur privé », s’alarme Véronique Andrieux. Les défenseurs du vivant ont d’autant plus de raisons de s’inquiéter qu’en 2011 à Aïchi (Japon), la conférence des Nations-Unies pour la diversité biologique (CBD) avait fixé à 2020 « au plus tard » la fin des subventions néfastes…

Représentant la France au marathon genevois qui visait à préparer la conférence des parties numéro 15 programmée fin 2022 à Kunming (Chine) pour fixer l’agenda mondial de la biodiversité dans les 10 prochaines années, l’ambassadrice de l’environnement se méfie des batailles de chiffres qui précèdent les négociations diplomatiques : « Avant la Cop 21, de nombreux rapports additionnaient les trillons de dollars sans faire progresser le consensus », rappelle Sylvie Lemmet avant de reposer la question :

Des ambitions à prouver

« Faut-il vraiment 700 milliards de dollars par an ? On le saura au lendemain de Kunming, quand les pays auront mis en place leur stratégie et développé leur plan de financement ». En fin de négociations à Genève, le coup de froid apporté par l’intervention gabonaise a alimenté sa prise de distance : « En exigeant 100 milliards de dollars annuels de transfert nord sud pour s’aligner sur le chiffre de la conférence de Paris sur le climat, le Gabon a surpris. J’espère que l’instrumentation de l’argent ne cache pas le manque d’ambition de certains pays », glisse la diplomate.

Sylvie Lemmet
Sylvie Lemmet Sylvie Lemmet

Sylvie Lemmet, ambassadrice française de l 'environnement: "L'ambition n'a pas totalement disparu. Mais tout  est entre parenthèses".

Autant que sur la question des moyens, Genève a calé sur celle de la répartition nationale des ambitions : quelle part chaque partie prendra-t-elle à l’objectif mondial de 30 % d’aires protégées qui fait consensus dans la communauté internationale ? Certains pays dépassent déjà ce quota, mais peuvent encore accroître leur effort, tandis que d’autres peineraient à l’atteindre, moins bien dotés par la nature et par le potentiel économique.

Produire et consommer autrement

Mais cet objectif lui-même ne répond de loin pas aux enjeux : « Se contenter des 30 % ne générerait que très peu de progrès », insiste Paul Leadley, professeur d’écologie à Paris-Sud et co-auteur des rapports de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), souvent désigné comme « le Giec de la biodiversité ».

Seule peut payer l’attaque simultanée des trois facteurs de déclin : les espèces, les écosystèmes et la diversité génétique. Les scientifiques résument cette stratégie en trois lettres : GBF, pour Global Biodiversity Framework. En dehors d’une transformation profonde de nos modes de production et de  consommation, ils ne voient pas d’issues positives.

Espoirs locaux

L’espoir vient moins des Etats que de la société civile, des entreprises et des collectivités : « On n’a pas d’idée précise des bénéfices agrégés que l’on peut attendre des initiatives locales et des entreprises, notamment à travers les solutions fondées sur la nature appliquées aux infrastructures. Ces initiatives joueront un rôle essentiel non seulement dans la réponse au défi de la biodiversité, mais aussi pour initier une mise en mouvement, dans la transformation des relations entre  les personnes et la nature », espère Sandra Lavorel, directrice de recherche au laboratoire d’écologie alpine de Grenoble, associée aux travaux de l'IPBES.

Oral de rattrapage à Nairobi

La mobilisation non étatique a d’ailleurs suscité une précieuse source de réconfort, pour Basile Van Havre, co-président du groupe de négociation : « Le secteur financier a beaucoup appris du climat. Il nous tire vers le haut, pour amener les flux vers la biodiversité ». Les témoins des négociations de Genève ont noté la forte présence des entreprises représentées par Business For Nature, et demandeuses d’un cadre volontariste.

Avant le rendez-vous de Kunming, les parties sont convenues d’un nouveau round de négociation, du 21 au 26 juin à Nairobi (Kenya). Basile Van Havre espère y trouver ce qui a manqué à Genève : « Rassurer les hésitants, donner plus de voix  aux ambitieux ».

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