La biodiversité donne des ailes au bâti végétalisé

L’association des toitures et façades végétalisées (Adivet) a réussi sa démonstration : les bénéfices écosystémiques dégagés par les ouvrages que construisent ses membres ne font plus de doute, pour les 150 professionnels du bâtiment et du paysage qu’elle a rassemblés le 21 octobre à Paris.

Réservé aux abonnés
Colloque Adivet
Le colloque "Bati végétalisé et biodiversité urbaine" ouvre une série de rencontres annuelles des promoteurs de toitures et façades vertes.

« Les professionnels du bâtiment végétalisé ont franchi un pas ». Extraite de sa conclusion du colloque « Bâti végétalisé et biodiversité urbaine », le 21 octobre à la Société nationale d’horticulture de France, cette appréciation de Philippe Clergeau, professeur au museum national d’histoire naturelle (MNHN), prend toute son poids au regard du chemin parcouru : « Lors de nos premiers échanges il y a une quinzaine d’années, j’étais celui qui battait vos sedum en brèche », se souvient le consultant en écologie urbaine, soulagé de voir enfin arriver l’écologie dans les toitures et façades, avec la fin des plantations monospécifiques.

Le spontané s’invite sur les toits

Du végétal à l’écologique et à la biodiversité, la mutation détaillée le 21 octobre s’est opérée comme par accident : la colonisation spontanée est venue enrichir les plantations. Dans leur sillage, les végétaux non programmés ont amené des cortèges d’invertébrés appréciés par les oiseaux. Les micro et macroorganismes dissimulés dans les composts ont accéléré l’enrichissement des sols. Tous ces êtres vivants ont interagi entre eux.

Ainsi sont nés des écosystèmes, comme le montrent deux études de référence présentées au cours du colloque dans les domaines de la flore et de la faune. La plus récente, Grooves, publié en 2021, détaille les enseignements de 36 toitures franciliennes auscultées entre 2017 et 2019 grâce aux protocoles de science participative Vigie Flore – 400 espèces détectées, dont 73 % de spontanées - et SPI Poll, qui a fait émerger 611 invertébrés terrestres. « Prédateurs et décomposeurs forment une chaîne globalement fonctionnelle », constate Hemminski Johan, écologue à l’Agence régionale de la biodiversité d’Ile-de-France.

Trésors cachés dans les substrats

Les observations collectées par Plante & Cité dans le cadre de son programme Florilège Toiture convergent avec les résultats de Grooves : « Parmi les 602 taxons observés de 2011 à 2019 sur 86 toits de toute taille et bien répartis dans l’hexagone, nous avons identifié 57 % de plantes spontanées », révèle Romain Dagois, chargé de mission.

La récolte scientifique s’enrichit sur la partie la moins visible de la vie des toitures végétales : « les sols urbains, qui restent des oiseaux rares dans la recherche académique », reconnaît Sophie Boulanger-Joimel, maître de conférences à AgroParisTech, encore toute étonnée de la densité de collemboles détectés dans les toitures végétalisées, qu’il s’agisse de cultures intensives (plus de 30 cm d’épaisseur de sol),  extensives (moins de 12) ou intermédiaires.

Les exploitants jouent le jeu

Après les botanistes, les biologistes ou les agronomes, la biodiversité des toitures et façades inspire les fournisseurs et les exploitants des bâtiments végétalisés, à commencer par Sopranature : accompagné par Flor’insect, la filiale de Soprema - major mondial de l’étanchéité du bâtiment – a engagé le suivi botanique des 1500 m2 de toiture du collège de la Paix, à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), aussitôt après sa livraison en 2020.

« Près des points d’irrigation, les spontanées sont déjà venues compléter notre gamme de graminées Pampa », constate Lionel Sindt, responsable technique de Sopranature. Mieux : « les insectes attirés par les vesces et les trèfles renforcent la dynamique fonctionnelle engendrée par Pampa, dans un écosystème qui communique avec les espaces verts alentour », se réjouit l’ingénieur.

Biodivercity, un label stimulant

Les exploitants se prennent au jeu au point d’encourager la  dynamique du vivant, en s’appuyant sur les préconisations du programme Nature en ville de la ligue pour la protection des oiseaux : « Varier les profondeurs du sol, créer des bosquets vivriers, privilégier le végétal local, implanter des souches de bois mort et des tas de pierre », énumère Maëva Felten, chargée du programme Nature en ville dans cette association.

Conçu par Bassinet Turquin Paysage, le jardin de toiture de la Seine Musicale récompense ce type d’aménagements, sur l’Ile Seguin de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) : les ornithologues y ont identifié le chardonneret élégant, la bergeronnette grise et le serin cini. Dessiné par Shigeru Ban, cet ouvrage livré en 2017 a contribué au lancement du label Biodivercity, de plus en plus prisé : « 276 projets engagés, 109 labellisés par 112 écologues professionnels », recense Martin Sénéchal, responsable commercial Biodiversité au bureau d’études Elan (groupe Bouygues).

Flamme architecturale

A l’amont de la filière, « le vivant nous conduit à réviser les fondamentaux du métier d’architecte », s’enthousiasme Pascale Dalix, directrice de l’agence Chartier Dalix, soucieuse de partager sa flamme, comme le montre l’école récemment livrée à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) : « Du dedans au dehors comme sur les pentes engazonnées qui relient le toit à la cour, il s’agit de sensibiliser les jeunes, mais aussi de faire en sorte que de partout, le voisinage puisse se connecter au sol vivant ». Un an après la plantation des 70 espèces initiales, l’école en recense 144.

Non contente d’avoir renouvelé l’expression du béton dans les parois de cet ouvrage qui cumulent les fonctions de structure, d’isolation et d’accueil du vivant en tenant compte du chemin de l’eau, Chartier Dalix récidive au nouveau siège de l’Assistance publique Hôpitaux de Paris, en chantier dans le XIIème arrondissement : le mur troué de la façade fait l’objet d’un brevet déposé avec Vinci, sur le thème de la connexion écologique entre sol et toiture. Avec le MNHN, l’agence emploie une thésarde qui compare trois types de matériaux au regard de leur capacité à accueillir le végétal : béton, brique traditionnelle et monomur.

Gisement d’innovations 

Ces recherchées dévoilées au colloque précèdent un foisonnement d’innovations prévisibles dans les années à venir dans toutes les composantes de la filière, selon la logique des trois R chère à Yannick Beix, président de l’Association des toiture et façades  végétalisées (Adivet), organisatrice du colloque : réemploi, réduction de matières et matériaux, recyclage. De beaux jours se profilent pour les substrats issus des déchets du BTP, pressentis pour aider les toitures végétales à sortir de leur dépendance au pouzzolane, issu des roches volcaniques.

Dans le registre urbain, un nouveau champ conceptuel et réglementaire s’ouvre également, stimulé depuis l’an dernier par le Plan urbanisme, construction et architecture à travers son programme Biodiversité, aménagement urbain et morphologie (Baum) : la verticalisation des trames vertes urbaines, sous forme de pas japonais dessinés par les toitures végétales, figure au cœur des recherches conduites par les sept lauréats de l’appel à projets jusqu’en 2024. « Outre les arguments anthropocentrés comme le cadre de vie et l’esthétique, des analyses écocentrées plaident dans ce sens, comme la connectivité des habitats ou le rafraîchissement urbain », souligne Morgane Flégeau, maître de conférences en géographie et aménagement à l’université de Lorraine.

Avancées règlementaires

Les métropoles commencent à encourager la dynamique : depuis août dernier, le coefficient de biotope est devenu opposable, dans le plan local d’urbanisme intercommunal de l’Eurométropole de Strasbourg. Dans la foulée, cette collectivité s’est également distinguée par l’orientation d’aménagement et de programmation thématique consacrée aux toitures végétales.

Vice-présidente de la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire à l’Assemblée nationale, Marjolaine Meynier-Millefert situe le foisonnement dans un tournant historique : « Le bâti végétalisé est passé de l’ère du pourquoi à celle du comment ». Mais tout en saluant sa capacité à donner aux urbains le sentiment de nature auxquels ils aspirent, la députée invite la filière à ne pas s’emballer : « Vous avez le vent dans le dos, mais qu’allez-vous en faire ? », interroge-t-elle, alertée par les contre-références qui, souvent, ont enrayé l’essor de filières prometteuses.

Consolidation scientifique 

Consciente du risque à l’issue d’une rencontre sans précédent depuis le congrès mondial de la filière en 2013 à Nantes, l'Adivet inclut cet événement dans une séquence de consolidation scientifique et technique : « Outre la biodiversité, le référentiel que nous publierons avant la fin de cette année qualifiera et quantifiera les services rendus dans la gestion de l’eau, la santé et le rafraîchissement urbain », annonce Yannik Beix. Chacun de ces thèmes devrait occasionner de prochains colloques, à un rythme annuel.

La validation technique s’inscrit aussi dans un agenda politique et règlementaire : après la loi climat qui devrait ouvrir les vannes de la végétalisation des toitures à la faveur de l’abaissement à 500 m2 des seuils obligatoires pour la couverture végétale ou photovoltaïque des entrepôts et bâtiments commerciaux, l’Adivet accompagne la gestation du label qui constituera le second temps de la règlementation environnementale 2020.

La bataille du label

Défavorisée par les bilans carbones en raison des surcharges occasionnées par ses ouvrages, la filière fourbit ses armes pour rouvrir la porte réglementaire par le biais des services environnementaux, climatiques et sociétaux. La bataille se joue également à l’échelle européenne, comme en témoigne le courrier envoyé début octobre à Bruxelles par l’Adivet et par l’association mondiale World Green Infrastructure Network : « Nous avons voulu sensibiliser la commission au biosolaire, à partir de la démonstration du gain de rendement apporté par le végétal aux panneaux photovoltaïques », annonce Yannik Beix. Une piste de plus pour un secteur qui, décidément, pousse toutes les composantes de la construction et de l’aménagement à se repenser avec le vivant.

Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires