Un an jour pour jour après le retrait américain de l’accord sur le nucléaire, l’Iran a suspendu le 8 mai 2019 certains de ses engagements en lançant aux autres signataires du traité un ultimatum.
Ils ont désormais deux mois pour sortir réellement les secteurs pétroliers et bancaires de leur isolement, provoqué par le retour des sanctions américaines depuis 2018, sinon la République islamique renoncera à d'autres engagements sur le nucléaire.
En réponse, le président américain, Donald Trump, a annoncé dans la soirée du 8 mai, de nouvelles sanctions visant les secteurs de l’acier, de l’aluminium, du cuivre et du fer.
Donald Trump a tourné le dos à cet accord, le traité de Vienne, conclu après un marathon diplomatique.
Il avait permis le retour de l’Iran dans le concert des nations avec la levée d’une partie des sanctions internationales à son égard en échange d’une restriction drastique de son programme nucléaire.
Un marché énorme pour le BTP
Pour l’Iran, ce traité incarne alors l’espoir d’une ouverture économique. Le pays a des besoins énormes en infrastructures et représente un grand marché pour les professionnels du bâtiment.
Aéroports, routes, logements, hôtels et centres commerciaux : le territoire d’environ 80 millions d’habitants regorge de projets.
A partir de 2015, plusieurs entreprises tentent de tirer parti de l’accord de Vienne pour s’implanter dans le pays. Arep est choisi par le gouvernement iranien pour moderniser le réseau ferroviaire et réaménager trois gares.
En janvier 2016, Bouygues et ADP profitent de la visite du président iranien, Hassan Rohani, à Paris pour conclure un protocole d’accord visant à construire et exploiter un terminal supplémentaire de l'aéroport de Téhéran.
Vinci signe aussi à cette occasion un protocole d’accord pour développer les aéroports de Masshad et d’Ispahan, au centre et au nord-est du pays.
Dans le domaine des énergies renouvelables, des entreprises françaises font également part de leurs ambitions, notamment Hanau Energies, spécialiste des structures photovoltaïques qui « s’intéresse au marché iranien des énergies renouvelables après la levée des sanctions internationales », rappelle la direction du groupe au Moniteur Export.

L'Iran : 81 162 788 habitants (chiffre de la Banque mondiale), 1 628 750 km² (chiffre de l’ONU), et un PIB de 447,7 Mds$ (chiffre de la Banque mondiale pour 2017).
Le fantasme iranien
Il y a eu, entre 2015 et 2018, « un emballement pour l’Iran ». Le pays a été perçu comme un eldorado « avec un environnement spécial pour les affaires », explique Thierry Coville, chercheur à l’IRIS, économiste et spécialiste de l’Iran.
« Les étrangers étaient très bien reçus et ils ont eu le sentiment d’avoir accès à un marché facile alors que l’Iran présentait toutes les difficultés d’un pays émergent avec une bureaucratie lourde et de la corruption » ajoute-t-il.
Olivier Dorgans, avocat chez Hughes Hubbard & Reed et spécialiste des sanctions économiques, indique aussi que l’Iran était « perçu comme un marché ou les entreprises pouvaient négocier des conditions de paiement avantageuses et vendre sans trop de concurrence ».
Il précise que « les entrepreneurs européens étaient très bien reçus car il y avait une vraie attache à la qualité de leurs réalisations ».
Mais plusieurs projets d’infrastructures tournent court et le sujet iranien devient rapidement très sensible. Signe de ce tabou, aucune des entreprises citées précédemment, à l’exception d’Hanau Energies et d’ADP, n’a souhaité répondre aux questions du Moniteur Export.
Si Vinci affirme aujourd’hui ne plus avoir aucune activité dans le pays, seul ADP a consenti à donner quelques explications.
Dès 2017, le groupe aéroportuaire français a renoncé à développer les deux aéroports iraniens et indique que les négociations n’ont pas abouti à cause de problèmes de financement et des tensions géopolitiques, ce malgré les énormes besoins du pays en infrastructures.
Des banques frileuses
Pour beaucoup d’entreprises c’est le financement qui bloque. Malgré l’accord de Vienne, les banques restent frileuses à l’idée de financer des projets en Iran.
L’amende de près de 9 Mds$ infligée à la BNP Paribas par les Etats-Unis en 2014 pour avoir contourné les mesures américaines a marqué les esprits.
Selon Olivier Dorgans, « les accords de Vienne n’ont pas eu les effets escomptés à cause des banques françaises et européennes qui sont restées assez frileuses ». Il assure que « même si les sanctions étaient levées, peu d’établissements bancaires s’aventuraient à soutenir des projets en Iran ».
L’annonce américaine du retrait de l’accord en 2018 porte un dernier coup de massue aux quelques entreprises restées dans le pays. A partir du 5 novembre 2018, les Etats-Unis imposent des sanctions sur le secteur énergétique iranien ainsi qu'à toute société important du pétrole de ce pays.
Les banques sont aussi visées, toutes celles qui engagent des transactions avec les structures iraniennes se voient privées d’accès au marché américain. Depuis quelques jours, les métaux s’ajoutent donc à cette liste.
Une situation qui nuit gravement à l’activité d’Hanau Energies. Le groupe indique rencontrer « des difficultés extrêmement graves auprès de ses partenaires bancaires historiques ».
Des obstacles qui « affectent leurs plans de développement » et les contraignent aujourd’hui à « réorganiser leurs activités ». « Tout cela dans l’indifférence totale des autorités de notre pays et des gouvernements successifs » déplore la direction.
Une nécessaire protection des entreprises
Les Européens se sont montrés jusqu'ici incapables de permettre à l'Iran de bénéficier des avantages économiques qui lui ont été promis en 2015.
En janvier 2019, la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne ont créé un mécanisme de troc, l’INSTEX, assurant des échanges limités entre l’Europe et l’Iran.
Il doit fonctionner comme une chambre de compensation pour que l’Iran continue à vendre du pétrole et importe en contrepartie d'autres produits ou services nécessaires à son économie, en évitant les canaux bancaires traditionnels.
Mais l’INSTEX n’a encore permis aucune transaction et Olivier Dorgans doute de son efficacité : « L’INSTEX a été créé dans un effet d’annonce. Je ne lui prédis pas un grand avenir, c’est davantage un élément qui entre dans des discussions plus globales entre les Etats-Unis et l’Europe, que quelque chose de réellement effectif ».
La seule solution pour percer en Iran serait, selon Thierry Coville, « une protection par les Européens des entreprises qui investissent dans le
pays ».
Sinon c’est la Chine qui risque de prendre possession du marché. Pékin détient 1 170 Mds$ de la dette américaine et a, d’après le chercheur,
« moins d’intérêts aux Etats-Unis que les Européens ».
Les relations sino-iraniennes sont anciennes et les Chinois n’ont pas cessé d’acheter du pétrole iranien malgré les sanctions américaines.
Ils sont devenus les premiers partenaires commerciaux de Téhéran et sur les grands projets d’infrastructure que l’Iran ne pourra pas entreprendre seul, les Chinois, eux, seront certainement au rendez-vous.