Avec l’annonce officielle du premier chantier français de ferme hydrolienne, Cherbourg-en-Cotentin (Manche) tire parti du pari porté par ses élus pendant les années de vaches maigres du made in France.
L’hydrolienne fait le printemps
« En gagnant 40 hectares sur la mer, nous sommes redevenus un grand port industriel », rappelle Benoît Arrivé, maire de la ville de 78 000 habitants. Une usine de pales pour éoliennes et un projet de parc éolien Offshore attribué à EDF, pour 3 Mds€, viennent compléter le tableau dressé par l’édile. Avec son actualité fraîche, son témoignage a apporté de l’eau au moulin de Villes de France, qui a choisi l’industrie comme thème de son congrès réuni les 6 et 7 juillet au Creusot.
Chargé par son président Gil Avérous, maire de Châteauroux (Indre-et-Loire), de synthétiser les propositions des villes moyennes pour contribuer à la réindustrialisation de la France, Luc Brouard, maire de La Roche-sur-Yon (Vendée), incarne le vent d’optimisme issu de cette perspective : « Qui aurait cru, voici 10 ans, que l’un des principaux obstacles se situerait dans le manque de main d’œuvre ? » Il voit dans cette question la preuve que la France a tourné la page de son déclin industriel.
Vent d’optimisme
La rapidité de la reconversion des 20 ha abandonnés en 2019 par Michelin alimente l’argumentaire du premier magistrat du chef-lieu de la Vendée. Il a pu s’offrir le luxe de sélectionner les implantations à l’aune du thème choisi : rebaptisée Atinéa, pour Atlantique Technologies et Innovations dans les Nouvelles Energies et Automatismes, la zone délaissée par le fabricant de pneus n’accueille que des entreprises spécialisées dans les mobilités innovantes et les énergies renouvelables.
Partie prenante de cette déclinaison locale de l’industrie verte à travers la société d’économie mixte (Sem) Oryon, la Banque des territoires se tient prête à reproduire le modèle, selon le schéma proposé aux élus par Gabriel Giabicani, directeur de l’innovation et des opérations : « Vous êtes les architectes des écosystèmes que nous vous aidons à amorcer et à accompagner ».
50 vitrines
Porté par une autre Sem, l’exemple de Mytilimer, à Cancale (Cotes-d’Armor) illustre son propos : l’extension en cours de cette usine conchylicole se caractérise par la réduction des consommations énergétiques et la valorisation des coques de moules trop petites pour la consommation humaine, recyclées dans la production d’arômes et d’alimentation animale.
« L’acceptabilité des projets progresse », s’est réjoui le ministre de l’Economie Bruno Le Maire, dans son apparition en visioconférence à l’issue du premier jour du congrès, avant de rappeler quelques-unes des promesses de la loi Industrie Verte : 50 sites et 2000 ha immédiatement disponibles après une dépollution intégrale, neuf mois au lieu de 17 pour instruire les projets, grâce au parallélisme des procédures liées à la construction et à l’exploitation des installations classées pour la protection de l’environnement.
Lenteur française
Sur ce sujet, de nombreuses remontées du terrain montrent les obstacles qui restent à franchir, y compris dans le fleuron du Cotentin : « L’annonce du projet hydrolien fait suite à 15 ans de bagarre. La mise en œuvre du parc éolien offshore va prendre 10 ans, au lieu de 4 à 5 chez nos voisins européens. Ce décalage aboutit à des équipements obsolètes au moment de la mise en service », déplore Benoît Arrivé.
« Nous comptons souvent huit ans de procédures pour deux ans de mise en œuvre », confirme Benjamin Fremaux, président du groupe Idex, producteur d’énergie décarbonée. Enfin, Laurent Vallas, directeur de JLL Lyon, spécialiste de l’immobilier d’entreprises, établit ce bilan cuisant : « Les deux tiers de nos projets avortent, en raison de locaux obsolètes et non financés… ».
Appel aux territoires d’industrie
Ce tableau obscurcit sans doute une réalité plus contrastée, comme en témoigne la réponse du président d’Intercommunalités de France à Laurent Vallas : « Nous vous présenterons nos sites clés en main, qui vous éviteront le détour par la protection des pies grièche et autres vases romains », rétorque Sébastien Martin.
Pour secouer le cocotier procédural, il compte sur les 500 établissements publics de coopération intercommunale engagés dans Territoire d’Industrie, aux côtés de l’Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT). La mise à jour de ce programme pourrait lui donner un nouvel élan, selon le calendrier annoncé aux villes moyennes par le ministre de l’Industrie Roland Lescure : « Vous avez jusqu’au 22 septembre pour présenter vos candidatures, avant l’annonce, en novembre 2023, de la nouvelle carte du volet territorial de notre politique industrielle ».
Le come-back de Rollon Mouchel-Blaisot

Mais face aux freins fonciers et immobiliers, la réponse la plus immédiate viendra du rapport que remettra Rollon Mouchel-Blaisot aux ministres de l’Industrie et de la Transition écologique, autour du 14 juillet. Très apprécié à Villes de France pour le pilotage de la première phase du programme Action Cœur de Ville (ACV) entre 2018 et 2022, le préfet objective les données :
« Dans le pire des cas, l’industrie ne consommera pas plus de 10 % des surfaces artificialisables dans l’actuelle décennie, au lieu de 5 % dans les années 2010, très loin derrière le logement dont la part a représenté 60 % de l’artificialisation ».
Le modèle des Giga-factories
Il n’empêche : « La décarbonation et l’industrie verte nécessiteront plus de foncier qu’on ne le croit », affirme le préfet. Quatre mois après le début de sa mission, son message aux collectivités tient en une phrase : « Je préconise qu’In Fine, ce ne soit pas l’industrie qui perde, face aux autres enjeux, toujours présents ».
L’effort consenti pour les Giga-factories doit inspirer tous les territoires : « 85 % des besoins fonciers concernent des PME, pour du développement endogène. Il n’y a aucune raison de ne pas se mobiliser pour l’entrepreneur du coin, comme on sait le faire pour les très grands projets », insiste Rollon Mouchel-Blaisot.
Renforcer les expropriations
Plusieurs outils préconisés dupliqueraient dans l’industrie des formules développées ailleurs, et notamment dans le programme ACV. Face aux spéculateurs, l’idée d’isoler le foncier permettrait de concentrer les moyens disponibles sur l’outil industriel, selon le modèle des baux réels solidaires appliqués au logement. Mis en œuvre dans les opérations de revitalisation du territoire, le renforcement des préemptions et des expropriations pourrait s’appliquer aux zones industrielles à enjeu.
Pour gagner la bataille de la réindustrialisation sur le front de l’attractivité, les villes moyennes peuvent enfin compter sur la seconde phase d’ACV, doté de 5 Mds€ entre 2023 et 2026. « Persévérons ! », enjoint Frédéric Gibert, responsable de ce programme et du commerce à la Banque des Territoires.
Les nouvelles cibles des cœurs de ville
Tout en confirmant l’envie d’habiter dans les villes moyennes, la troisième édition du sondage Ifop révèle un point faible : la perception de l’offre de soins se dégrade nettement, en 2023, par rapport aux deux éditions précédentes. Maire de Laval (Mayenne), Florian Bercault ajoute un autre point de vigilance : « Un grand nombre de fonctions de services restent trop métropolisées », souligne-t-il.
Sur un terrain qui inclut des domaines aussi divers que l’adaptation des logements au marché, la formation ou l’accès au soin, Albi (Tarn) donne un exemple frappant, ciblé sur les jeunes salariés : prêts à taux zéro dédié à la première acquisition, avec l’aide d’Action logement ; accès facilité aux zones d’activités grâce à une offre de covoiturage, de navettes, de vélos d’entreprises ; construction de crèches…
Croisade albigeoise pour la jeunesse
La ville investit dans l’accueil de jeunes internes et dans la construction de centres de consultation qui mobilisent un collectif de médecins retraités. « Plus on donnera envie, plus les salariés et les entreprises viendront », s’enthousiasme la maire Stéphanie Guiraud-Chaumeil.
Mais l’appétit industriel conjoint de l’Etat et des villes moyennes ne met pas fin aux bras de fer financiers : « Décentraliser ne peut pas signifier se défausser », argumente Jean-François Debat, président délégué de Villes de France et maire de Bourg-en-Bresse. Le chef-lieu de l’Ain illustre l’érosion des capacités d’investissement consécutives à l’inflation : avec les 7,5 M€ programmés en début de mandat pour amener trois écoles au standard des bâtiments basse consommation, la ville ne pourra boucler que deux chantiers, compte tenu d’une augmentation des prix chiffrée à 25 %.
Autofinancement en berne
La dernière étude conjoncturelle de la Banque postale confirme la fragilité spécifique aux villes moyennes : « Dans la tranche de 75 000 à 100 000 habitants, l’autofinancement connait une baisse considérable de 5 %, liés aux investissements très consommateurs d’énergie induits par les fonctions de centralité », diagnostique Serge Bayard, directeur général adjoint de la banque de financement et d’investissement de la filiale de la Caisse des dépôts.
En affirmant son adhésion à l’idée d’une augmentation du fonds Chaleur, la ministre de la Transition énergétique a donné un élément de réponse : « Vous fabriquez des machines à stabiliser le prix de l’électricité », encourage Agnès Panier-Runacher.

Bras de fer pour l’indexation
Mais les congressistes retiendront surtout la pilule amère administrée par la ministre de la Cohésion des territoires et des collectivités locales : elle oppose une fin de non-recevoir à l’idée d’indexer les dotations d’Etat sur la hausse des prix. « Il n’y a pas de raison pour que l’inflation épargne les collectivités, au moment où toutes les administrations doivent participer à l’effort de désendettement », insiste Dominique Faure.
Chacun reste dans son rôle, et nul n’imaginait revenir du Creusot en dissolvant la pierre d’achoppement financier qui cache un autre débat. Gil Avérous en a posé les termes dès le début du congrès : « La confiance, c’est le sujet sur lequel nous avons le plus à travailler avec l’Etat, et la réindustrialisation peut y contribuer »…
22 propositions en trois chapitres
Accompagner, accélérer, former : ces trois verbes résument les 22 propositions des Villes de France pour la réindustrialisation du pays.
Un contrat quinquennal de gel des impôts et taxes stimulerait les implantations. En complément, Villes de France propose une incitation fiscale au verdissement des activités, une éco-conditionnalité des aides et l’exonération de l’Impôt sur les sociétés innovantes.
Des marchés publics plus ouverts aux PME-TPE prendraient en compte le bilan carbone des offres. Dans son nouveau périmètre calé sur les besoins locaux, le programme Territoires d’industrie reformulerait sa gouvernance sur le modèle d'Action cœur de ville : pilotage local confié aux présidents d’intercommunalités, secondés par des chefs de projets financés par l’Etat.
L’accélération résulterait d’une série de mesures sur le financement de la remise en état des friches industrielles, dotée d’un établissement public dédié. Les porteurs de projets bénéficieraient de démarches simplifiées et d’une offre attractive dans l’eau et l’énergie.
Enfin, pour pourvoir aux 75 000 postes demandés par l’industrie, la création de filières de formation répondrait à des décisions locales, auxquelles participeraient les entreprises. Les nouveaux campus connectés des villes moyennes développeraient l’apprentissage, pour les cursus de bac + 3 à bac + 5.