L'immobilier au défi du décret tertiaire

Rénovation énergétique -

Depuis octobre, les propriétaires privés et publics ont obligation de réduire la consommation d'énergie de leurs grands bâtiments. Un long chemin reste à parcourir pour atteindre les objectifs.

 

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Mille mètres carrés. C'est la surface de plancher qui oblige à réduire la consommation d'énergie de 40 % en 2030 (50 % en 2040 et 60 % en 2050) dans les bâtiments à usage tertiaire (bureaux, commerces, entrepôts, etc. ). Certains d'entre eux en sont exclus ou pourront l'être sur la foi d'un dossier technique et financier démontrant l'impossibilité d'atteindre ces seuils. Le décret, publié le 23 juillet 2019, s'applique depuis le 1er octobre, et sera complété, d'ici à la fin de l'année, par un arrêté.

Face à ces nouvelles obligations, les entreprises se partagent en deux groupes : celles qui n'ont pas attendu, et les autres. Chez Prologis, spécialiste de l'immobilier logistique, Olivier Farge, directeur innovation, rappelle que « les objectifs de réduction des consommations d'énergie sont liés à notre certification , démarche commencée il y a dix ans ». Pour juger de la réalité de la réduction des consommations, propriétaires et locataires transmettront, à partir de 2021, leurs données à l'Observatoire de la performance énergétique de la rénovation et des actions du tertiaire (Operat), piloté par l'Ademe. A chaque échéance, celles-ci seront comparées à la consommation de référence - la consommation annuelle en énergie finale de n'importe quelle année à partir de 2010, année charnière après les et 2 de 2009 et 2010 - et à l'objectif. Des sanctions pourront intervenir. « Prologis a commencé un travail d'analyse pour bien cerner ces obligations et construire un outil adapté », indique Olivier Farge.

Gisements d'économies. Le décret promeut les travaux sur le bâti, notamment l'isolation, comme mode d'amélioration de la performance énergétique, mais valide aussi des actions moins visibles, comme l'installation d'équipements performants (éclairage à leds, ventilation double flux, chaudière à condensation, ballon thermodynamique, pompe à chaleur… ) et de dispositifs de contrôle et de gestion active de ces équipements (sous- comptage, logiciel de supervision… ) ainsi que l'adaptation des modalités d'exploitation des équipements. Globalement, un meilleur pilotage des installations réduit la consommation jusqu'à 30 %, et le remplacement des systèmes énergétiques peut conduire à un gain jusqu'à 45 %. Sans rupture d'exploitation, ces solutions nécessitent en outre un budget faible ou modéré, avec un temps de retour sur investissement rapide, entre trois et sept ans. A l'opposé, les travaux lourds, qui, malgré des économies d'énergie de 70 à 80 %, présentent un retour sur investissement de moyen à long terme. Admises par le décret, les actions portant sur le comportement de l'usager sont extrêmement efficaces et peu coûteuses.

Globalement, un meilleur pilotage des installations réduit la consommation jusqu'à 30 %.

Le Concours usages et bâtiment efficace (Cube), dont la 5e édition débutera le 1er janvier prochain, en fournit la preuve. Lors de l'édition 2019, les 20 bâtiments classés en tête de peloton, appartenant à Orange, Poste Immo, l'Ademe ou la RATP, affichent des économies d'énergie avérées de 19 à 37 %.

Les gains ne sont d'ailleurs pas réservés aux gros maîtres d'ouvrage ; les petits propriétaires peuvent facilement optimiser l'existant, par exemple grâce à un energy manager, en interne ou en externe, chargé de prévenir les dérives par un simple suivi de consommation et une maintenance prédictive des équipements.

« Enjeux de valeur ». La démarche est donc positive. Selon une étude d'impact de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) de juillet 2018, le bénéfice espéré à l'horizon 2050 tous secteurs confondus est de 250 milliards d'euros d'économies d'énergie pour un investissement de 150 milliards d'euros, calculé sur la base de 180 euros TTC investis par mètre carré. Mais il n'y a pas que ça. Philippe Pelletier, président du Plan bâtiment durable, insiste sur les « enjeux de valeur » ; il identifie le respect des obligations réglementaires comme « un nouvel élément dans les critères d'évaluation des actifs immobiliers privés ». Au titre de la valeur verte, les analystes se pencheront sur les plans d'actions et de travaux, le niveau des dépenses engagées et leur provisionnement dans les comptes. Ce que corrobore Jean-Eric Fournier, chargé du développement durable et de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) à la foncière Covivio, classée en 2019 première du secteur « services financiers-immobilier Europe » par l'agence de notation extrafinancière Vigéo-Eiris pour sa contribution à la durabilité. Après le succès d'une première émission obligataire verte (green bond) de 500 millions d'euros en 2016 pour financer le développement de 185 000 m2 de bureaux verts en France, leur deuxième green bond de même montant, lancé en septembre dernier et destiné à des projets de bureaux de niveau de certification élevé à Paris, Châtillon, Lyon et Milan, a trouvé ses investisseurs. L'engagement RSE des locataires ouvre aussi une voie de progrès : « Nos baux ont tous des annexes environnementales, et nous menons une politique de partenariat renforcé avec les preneurs », précise Jean-Eric Fournier.

Selon le Syndicat des entreprises de la transition énergétique et numérique (Serce), l'augmentation du taux de rénovation dans le tertiaire d'un point (de 1,5 à 2,5 %) représente un potentiel de 40 000 emplois. Un chiffre qui laisse Philippe Pelletier circonspect. Ce dernier préfère s'appuyer sur les six ans d'application de la Charte pour l'efficacité énergétique et environnementale des bâtiments tertiaires publics et privés : « Il n'y a pas forcément eu beaucoup de recrutement mais plutôt un redéploiement des compétences de la maintenance et de la régulation vers des emplois liés à l'environnement. » De petites entreprises se sont développées autour des grands propriétaires dans le conseil et l'accompagnement à la performance énergétique. « En autorisant le reporting et l'audit en interne, le décret va renforcer les compétences des entreprises », estime Philippe Pelletier.

Ce texte est un premier pas vers la sobriété énergétique économiquement assumée, mais les stratégies immobilières devront inclure la trajectoire carbone pour être à la hauteur des enjeux climatiques.

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