La vision enchante le regard. Façonnée par la pelle du terrassier, la parcelle agricole épouse la topographie. L’effet graphique découle d’une stratégie de ralentissement de la circulation de l’eau : « Privilégier le capillaire sur le gravitaire », énonce l’agricultrice aveyronnaise Marlène Vissac, auteure du livre « Hydronomie, cultiver l’eau verte pour restaurer l’eau bleue », à paraître aux éditions Aux bords de l’eau.
Entre génies civil et écologique
Elle y détaille cette technique baptisée Key Line, qui convoite le marché de la gestion durable de l’eau avec un handicap : « Il n’y a aucun document technique unifié ou équivalent », remarque l’auteure. Conséquence de cette carence : « Je vois beaucoup d’interprétations issues de personnes qui ont très peu expérimenté par elles-mêmes », déplore Marlène Vissac.
Au carrefour du génie civil et du génie écologique, elle définit Key Line comme la première étape d’un itinéraire technique vertueux. La suite découle de pratiques culturales qui contribuent à la régénération des sols, en évitant les labours profonds. « Beaucoup de maraîchers s’étonnent, quand l’ouverture des vannes ne suffit pas à faire pousser leurs légumes. Mais les volumes d’eau ne servent à rien, si la morphologie du parcellaire et la profondeur des sols ne freinent pas les écoulements », développe l’agricultrice.
Formation certifiante
Depuis 10 ans, son expérience de paysanne l’a conduite au Maroc et au Portugal, avant l’atterrissage en 2022 dans l’Aveyron pour une activité multiple : exploitation agricole en polyculture élevage, bureau d’études et centre de recherche en agroécologie, organisme de formation. La diffusion de Keyline repose sur ce dernier volet. Une demande d’agrément en instance au répertoire national des qualifications professionnelles porte sur un certificat, à l’issue d’un parcours de 70 heures. Les techniciens forestiers et ceux des agences de bassin figurent parmi les cibles privilégiées.
Au-delà des parcelles pionnières, l’économie d’eau qui résulterait de la généralisation du keyline s’inscrit dans une vision du monde : « On ne devrait pas séparer l’urbanisme de l’agriculture », insiste l’agricultrice et chercheuse, membre du collectif des Paysages de l’après-pétrole. Comme cette association, elle considère que la séparation des deux domaines conduit à des solutions coûteuses et non durables. Elle cite la tentation de voir le salut de l’Aude et des Pyrénées Orientales dans des canalisations en provenance du Rhône, alors même que la fonte des glaciers menace le débit du fleuve.
Freins institutionnels
Sur la voie tracée par l’hydronomie, les freins institutionnels et sociologiques ne manquent pas. « J’ai longtemps espéré un partenariat avec l’Institut national de recherche en agriculture et environnement. Mais mes travaux s’éloignent trop du modèle du syndicat majoritaire », analyse l’agricultrice, membre de la commission Eau de la confédération paysanne. Au sein même de ce syndicat, son audience se heurte, selon elle, à la persistance des préjugés de genre.
« J’appartiens à la race des saumons qui remontent le courant », sourit la militante de l’hydronomie. Son goût pour la métaphore s’exprime aussi dans Phacelia, qui donne son nom à sa ferme, à son école et au site web où elle plante les germes d’un monde résilient. « Cette plante mellifère produit beaucoup de biomasse. Elle structure, décompacte et dépollue les sols. C’est une bonne à tout faire ».