L'évidence, puis la méfiance

Bibliothèque nationale de France -

Le projet de Perrault a enthousiasmé le jury et le Président, avant de susciter la controverse.

 

Réservé aux abonnés

Il y a trente ans, le 16 août 1989, François Mitterrand, alors président de la République, signait de sa main une lettre dactylographiée désignant « M. Dominique Perrault comme architecte chargé du projet de la Bibliothèque de France ». Son choix avait suivi et, dit-on, devancé celui du jury du concours international d'idées qui s'était réuni fin juillet à Paris. Vingt architectes avaient été retenus sur 244 candidatures. D'emblée, le projet de Perrault a fait l'unanimité. « Dix-neuf voix sur 19 votants au premier tour : une élection à la soviétique ! », plaisante aujourd'hui l'architecte et critique d'architecture François Chaslin, alors membre du jury. A l'issue des délibérations, quatre projets avaient été soumis au chef de l'Etat, sans ordre de préférence. Mais lui aussi préféra Dominique Perrault à Jan Kaplický, James Stirling et Chaix & Morel.

Image d'illustration de l'article
PHOTO - 18888_1151890_k4_k1_2706521.jpg PHOTO - 18888_1151890_k4_k1_2706521.jpg

Panache. La parcelle se trouvait le long de la Seine, à Paris (XIIIe), non loin du nouveau ministère des Finances (lire « Le Moniteur » du 9 août 2019, p. 22). Elle était occupée par une friche industrielle de 7 hectares. Le lauréat avait projeté d'y bâtir des « tours d'angles, comme quatre livres ouverts se faisant face et qui délimitent un lieu symbolique, la Bibliothèque de France ». Pour François Chaslin, ce fut une « évidence ». « Alors que certains architectes, comme Stirling, Botta ou Meier, proposaient d'énormes masses unitaires, explique-t-il, lui érigeait un objet qui était gigantesque, certes, mais étendu dans l'espace. » C'est justement ce qui manquait à l'institution. « L'histoire multiséculaire de la Bibliothèque nationale de France (BNF) est celle d'une extension immobilière permanente pour accueillir les ouvrages et les chercheurs, explique son actuelle présidente, Laurence Engel. François Mitterrand a répondu avec panache au besoin d'un nouveau bâtiment en lançant l'idée, le 14 juillet 1988, de la construction d'une bibliothèque “d'un genre nouveau”, qu'il conçoit alors comme la plus grande et la plus moderne du monde. » Environ 200 000 plans ont été nécessaires à la réalisation de cet édifice de 365 178 m² SP. « On a tout, tout, tout, mais tout dessiné, souligne et surligne Dominique Perrault. François Mitterrand voulait qu'on aille jusqu'au bout du travail de conception. » Gaëlle Lauriot-Prévost, collaboratrice devenue ensuite associée et directrice artistique de son agence, se souvient notamment de « grands plans coloriés à la main par une dizaine de personnes ». En parallèle, les architectes maniaient aussi le dessin assisté par ordinateur (DAO). « C'était l'époque charnière du passage au numérique », rappelle Dominique Perrault.

Image d'illustration de l'article
PHOTO - 18888_1151890_k6_k1_2706518.jpg PHOTO - 18888_1151890_k6_k1_2706518.jpg

François Mitterrand lance l'idée de la plus grande et la plus moderne bibliothèque du monde.

D'ailleurs, « certains pensaient -et parmi eux le conseiller du président, Jacques Attali - qu'il y aurait de moins en moins de livres avec le développement du numérique, remarque la présidente de la BNF. On se trompait. Des livres édités, il y en a de plus en plus chaque année ».

Image d'illustration de l'article
PHOTO - 18888_1151890_k7_k1_2706522.jpg PHOTO - 18888_1151890_k7_k1_2706522.jpg

Polémique. L'architecte désirait mettre en valeur ces livres dans quatre tours en verre, selon « un mode d'occupation aléatoire […], comme une accumulation du savoir, d'une connaissance jamais achevée, d'une sédimentation lente mais permanente ». Mais ce concept poétique a engendré une vive polémique sur la conservation des ouvrages à la lumière du jour. « Ceux qui ont débattu sur la transparence des tours n'ont jamais voulu comprendre le projet, estime François Chaslin, qui a décortiqué la presse. Perrault n'a jamais dit qu'on verrait les livres. Il voulait les conserver dans des conteneurs opaques mais visibles, pour montrer le développement croissant des collections. Le verre remplissait uniquement la mission d'écrin, un mot très courant en architecture à l'époque. »

Finalement, les ouvrages ont été encoffrés dans la structure en béton, derrière les façades vitrées. Seuls les chercheurs peuvent les libérer en demandant à les consulter dans des salles de lecture dédiées. Celles-ci sont implantées autour d'une forêt bien réelle, qui fait écho à celle peinte en 1864 par Alexandre Desgoffe dans la salle Labrouste, ancien site parisien de la BNF. Dans le texte rédigé pour le concours, Dominique Perrault souhaitait offrir « un lieu de calme, à l'abri des nuisances de la ville. Tel un cloître, cet espace serein favorisera la méditation et l'épanouissement du travail intellectuel ». Souhait exaucé. Le 30 mars 1995, peu avant la fin de son second septennat, François Mitterrand a inauguré la bibliothèque qui porte désormais son nom. Mais il ne l'aura jamais vue en fonctionnement. Il décédera le 8 janvier 1996, onze mois avant l'arrivée des premiers lecteurs. La BNF aura été le dernier de ses grands travaux.

 

Image d'illustration de l'article
PHOTO - 18888_1151890_k11_k1_2706527.jpg PHOTO - 18888_1151890_k11_k1_2706527.jpg

 

Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires