Le dispositif dit « clause filet », introduit par le , permet de soumettre à évaluation environnementale des projets en deçà des seuils prévus, mais qui, notamment en raison de leur localisation, sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine. Si le décret prévoit des dispositions d'articulation de ce nouveau dispositif - avec les déclarations installations, ouvrages, travaux et activités (IOTA), avec les déclarations en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) ou encore avec les autorisations de défrichement -, le nouveau mécanisme n'est pas sans soulever certaines interrogations quant à l'instruction des autorisations d'urbanisme.
Censure par le Conseil d'État de l'ancien dispositif
Le dispositif existant jusqu'à présent reposait sur l', lequel fait dépendre l'obligation de réaliser une évaluation environnementale des critères et seuils précisés dans le tableau annexé à cet article, pour les catégories de projets relevant des rubriques qu'il comporte, le cas échéant après un examen au cas par cas effectué par l'autorité administrative, selon les modalités précisées à l'article R. 122-3-1 du même code.
Toutefois, ce système de seuils ignore certains aspects du projet, notamment sa localisation.
Or, la jurisprudence communautaire considère que la fixation de seuils à un niveau particulièrement bas, qui laisserait présumer qu'aucun projet inférieur au seuil déterminé et situé dans une zone vulnérable ou à proximité de celle-ci ne peut avoir des incidences notables sur l'environnement, ne suffit pas à respecter la directive, car « un projet de dimension même réduite peut avoir des incidences notables sur l'environnement, notamment en raison de sa nature ou de sa localisation ».1
Suivant cette jurisprudence bien établie de la Cour de justice de l'Union européenne, le Conseil d'État, par sa décision du 15 avril 2021 (nº 425424), a partiellement annulé le modifiant des catégories de projets, plans et programmes relevant de l'évaluation environnementale. Les hauts magistrats ont enjoint au Premier ministre de prendre, dans un délai de neuf mois, les dispositions permettant qu'un projet susceptible d'avoir une incidence notable sur l'environnement ou la santé humaine pour d'autres caractéristiques que sa dimension, notamment sa localisation, puisse être soumis à une évaluation environnementale.
Un dispositif filet pour remédier à l'inconventionnalité
La solution retenue pour remédier à l'inconventionnalité est d'instituer une clause filet prévue au nouvel . Il permet de soumettre, les projets situés sous les seuils, en particulier le seuil de 10 000 mètres carrés de la rubrique 39 pour les projets immobiliers ou ne répondant à aucun des critères du tableau annexé à l', à l'examen au cas par cas prévu par les articles R. 122-3 et R. 122-3-1 du même code, à condition que ces projets soient susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine. Deux voies sont prévues.
L'examen peut être exigé par l'autorité administrative saisie de la première demande d'autorisation ou déclaration requise par le projet. Le décret modifie le contenu des dossiers de demande des permis de construire, permis d'aménager, déclaration préalable et permis de démolir afin qu'il soit désormais précisé « s'il y a lieu, les demandes d'autorisation et les déclarations dont le projet a déjà fait l'objet au titre d'une autre législation que celle du code de l'urbanisme ». Les formulaires Cerfa devraient prochainement être adaptés en conséquence.
Dans ce cas, cette autorité informe le maître d'ouvrage de sa décision motivée 2 de soumettre le projet à examen au cas par cas, au plus tard quinze jours à compter du dépôt du dossier de cette demande ou déclaration. Il appartient alors au maître d'ouvrage de saisir l'autorité en charge de l'examen au cas par cas, dans les conditions existantes, prévues aux articles et du Code de l'environnement.
Pour mémoire, cette saisine se fait par l'envoi d'un formulaire de demande d'examen au cas par cas à l'autorité environnementale - le plus souvent le préfet de région -, qui dispose d'un délai de quinze jours pour demander au maître d'ouvrage de compléter sa demande. L'autorité chargée de l'examen au cas par cas dispose ensuite d'un délai de trente-cinq jours pour se prononcer, étant précisé que l'absence de réponse impose la réalisation d'une étude d'impact.
Le maître d'ouvrage peut également décider de saisir lui-même, de façon spontanée, l'autorité environnementale.
Saisine spontanée de l'autorité environnementale par le maître d'ouvrage pour anticiper
Cette possibilité d'une saisine spontanée est précieuse. Elle permet au maître d'ouvrage de mieux anticiper le calendrier de son projet avant d'entamer les formalités administratives requises ; ce qui n'est pas neutre sur les conditions suspensives des promesses de vente du foncier, par exemple, lorsque son opération bien qu'inférieur à 10 000 mètres carrés est susceptible de porter atteinte à des espèces protégées. Ce dernier est, ainsi, incité à s'interroger très en amont quant aux conséquences de son projet sur l'environnement et, notamment, à s'intéresser à sa localisation, sans se limiter au seul zonage du plan local d'urbanisme (PLU).
Cette démarche pourrait être effectuée en amont du dépôt de la demande d'autorisation, pour « purger » le dispositif filet et anticiper d'éventuelles adaptations nécessaires dans la conception du projet.
Elle apporte, en outre, une certaine sécurité juridique en cas de contentieux ultérieur, le maître d'ouvrage pouvant invoquer une dispense d'évaluation ou la production d'une étude d'impact.
À noter que les dispositions transitoires du décret ne devraient pas faire obstacle à ce que le préfet de région soit saisi de l'examen de projets ayant déjà fait l'objet, avant son entrée en vigueur, d'une première demande d'autorisation.
Clause filet et instruction des demandes de permis de construire : le flou
Le décret du 25 mars 2022 ne comporte aucune disposition précisant les conditions dans lesquelles la durée de l'instruction du permis de construire est adaptée pour tenir compte de la clause filet.
Aucune disposition ne prévoit expressément l'adaptation du délai d'instruction en cas d'activation de la clause filet, pour permettre la production de la pièce requise, c'est-à-dire la dispense d'évaluation environnementale ou l'étude d'impact.
Ce silence du décret est d'autant plus étonnant qu'il prend bien soin de prévoir un mécanisme de suspension du délai d'instruction en cas d'activation de la clause filet à l'occasion de la procédure d'autorisation environnementale ou autorisation de défrichement, notamment.
Une circulaire ministérielle est en cours de préparation. Elle devrait permettre de mieux saisir la volonté du gouvernement sur ce point.
Il semble que l'idée soit que l'autorité compétente interrompe le délai d'instruction de l'autorisation dont elle est saisie du fait de l'incomplétude du dossier. On sait que, en cas de pièces manquantes dans un dossier, l'autorité doit les demander au pétitionnaire par courrier envoyé « dans le délai d'un mois à compter de la réception ou du dépôt du dossier à la mairie », selon l'. À réception, ce dernier dispose de trois mois pour les produire ; à défaut la demande fait l'objet d'une décision tacite de rejet (article R. 423-39 du même code).
Or, la soumission du projet à évaluation environnementale oblige le pétitionnaire à produire une étude d'impact ce qui, dans la plupart des cas, sera impossible à faire dans le délai de trois mois.
L', créé pour coordonner la procédure du permis de construire avec celle de l'enregistrement ICPE, devrait alors prendre le relais.
En effet, lorsqu'il « apparaît que le projet doit faire l'objet d'une évaluation environnementale et que, par conséquent, le dossier doit être complété par une étude d'impact », ce texte prévoit que le délai d'instruction de la demande est « suspendu jusqu'à la date de réception par l'autorité compétente en matière d'urbanisme (…) de la synthèse des observations du public ». Le pétitionnaire peut dès lors compléter le dossier, avant l'évaluation environnementale et la participation du public par voie électronique (PPVE).
Mais cela suppose que ce mécanisme rende inapplicable la sanction couperet de l'article R. 423-39 précité, ce qui exige une lecture croisée des textes.
Si cette solution n'est pas retenue, la demande de permis fera l'objet d'un refus tacite, faute de production de l'étude d'impact dans le délai de trois mois.
Le porteur devra alors redéposer une nouvelle demande de permis de construire une fois l'étude d'impact réalisée, ce qui n'est pas sans conséquence.
En effet, si la légalité du permis de construire s'apprécie à la date à laquelle il est délivré, la date de la demande est prise en compte pour l'application de dispositions transitoires (telles celle de l'article 9 du décret en cause…), mais aussi de réglementations techniques issues du Code de la construction et de l'habitation, telles la RE2020. Le dépôt d'une nouvelle demande peut donc conduire à devoir revoir le projet.
Par ailleurs, la promesse de vente du terrain étant souvent assortie d'une condition suspensive liée à la délivrance du permis de construire, la naissance d'un refus tacite est susceptible de faire obstacle à réitération de la vente, et donc au projet.
Autres modifications du Code de l'urbanisme
Outre des modifications de la composition du dossier de demande qui, comme cela a été évoqué, devra préciser les autres autorisations ou déclarations requises par le projet et comporter la dispense d'évaluation environnementale ou l'étude d'impact lorsque cela est nécessaire, le décret modifie le régime de la déclaration préalable, afin de prendre en compte l'hypothèse, désormais possible, où elle fait l'objet d'une évaluation environnementale et d'une participation du public 3.
À noter, sans que cette modification soit en lien avec le dispositif filet, que le décret prévoit également que le défaut de notification d'une décision expresse dans le délai d'instruction vaut décision implicite de rejet lorsque le projet est soumis à PPVE (modification de l'article R. 424-2 du même code, pour les permis de construire, d'aménager et de démolir, mais pas pour la déclaration préalable).
1 , § 50 et s.
2 A noter que le dispositif a légèrement évolué à l'issue des consultations, le projet initial du gouvernement ne prévoyait pas une obligation de motivation.
3 Modification des articles R. 423-20, R. 423-25 et R.-32 du Code de l'urbanisme.