Le vent serait-il en train de tourner ? En tout cas, huit ans après le lancement des premiers appels d'offres par l'Etat, les annonces s'enchaînent pour la jeune filière française de l'éolien en mer. Et elles vont dans le sens d'une concrétisation des projets, voire d'une accélération. La nouvelle la plus fraîche date de ce 16 septembre. A Brest, la région Bretagne et le porteur du projet de parc éolien offshore de Saint-Brieuc (Côtes-d'Armor), Ailes marines, ont annoncé l'arrivée prochaine de l'entreprise Navantia. Occupant 11 hectares sur le polder du port spécialement réaménagé pour accueillir des activités liées à cette énergie marine, la société espagnole y réalisera les fondations de type « jacket » des 62 éoliennes du premier parc breton, y unira les composants sur le polder - l'assemblage complet sera cependant effectué en Espagne -, et y stockera les fondations avant de les envoyer sur site, en mer. Le chantier doit mobiliser, entre 2021 et 2023, 250 personnes.
« Produire en France facilite l'adhésion, la compréhension des projets. » Guillaume Sauvé, P-DG d'Eiffage Génie civil et d'Eiffage Métal
Bientôt le premier parc en Loire-Atlantique. A Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) aussi, l'horizon s'est éclairci. Un premier parc a été confirmé en juin, dont la phase travaux commencera « prochainement », promet EDF Renouvelables, qui mène ce projet de 80 machines avec Enbridge. Le chantier comprendra la construction du parc en lui-même, de la sous-station électrique avec les Chantiers de l'Atlantique, du centre d'assemblage, de la base de construction, et, plus tard, du centre de maintenance basé à La Turballe. Côté fondations, un groupement mené par Eiffage Métal a obtenu le marché, de plus de 500 M€.
La production s'étalera sur une année, entre 2020 et 2021, et mobilisera environ 800 personnes au plus fort de l'activité dans les usines de Lauterbourg (Bas-Rhin), de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) et d'Hoboken en Belgique. Les 80 éoliennes de 6 MW seront, quant à elles, fournies par General Electric à partir de deux sites français : les nacelles et les turbines sortiront de l'usine toute proche de Montoir-de-Bretagne, les pales de celle de Cherbourg (Manche).
Au-delà des parcs eux-mêmes, installer l'appareil de production sur le territoire hexagonal présente des atouts non négligeables selon Guillaume Sauvé, P-DG d'Eiffage Génie civil et d'Eiffage Métal : « Produire en France, et même localement, facilite l'adhésion, la compréhension des projets ». Rappelons que Saint-Nazaire vient seulement d'être purgé de tout recours… Hubert Dejean de la Batie, vice-président de la région Normandie, se souvient également que la constitution d'une filière française était une volonté initiale partagée par tous les acteurs, publics comme privés. Ainsi, « dans les six premiers appels d'offres, le gouvernement avait accepté de racheter l'électricité produite par ces parcs à des tarifs majorés, 200 €/MWh, afin d'obliger à installer une industrie en France ».
L'exécutif a, depuis, renégocié ces tarifs en 2018, parvenant à les faire baisser de 30 %, afin de mieux coller aux évolutions technologiques et à la réalité du marché européen qui, lui, s'est développé beaucoup plus vite.
Infrastructures terrestres. La multiplication des recours, pas encore tous purgés sur les parcs de première génération, et cette renégociation ont ralenti les projets. Malgré tout, des investissements ont été lancés. Des usines ont pu sortir de terre, comme celles de General Electric. D'autres ont été retardées et redimensionnées, à l'image du site de fabrication d'éoliennes de Siemens Gamesa au Havre. Des aménagements dans les ports ont été ou doivent être réalisés pour assembler et transporter ces pièces imposantes au large, ainsi que pour accueillir les installations liées à la maintenance. Ces infrastructures terrestres bénéficient souvent d'aides publiques. La région Normandie, qui compte trois des sept parcs d'éolien posé déjà attribués, a par exemple consacré 100 M€ aux travaux déjà livrés dans le port de Cherbourg, auxquels s'ajouteront 90 M€ pour des infrastructures dans le port du Havre. Du côté de Brest, le réaménagement du polder et de son quai « colis lourds » a nécessité 220 M€ de financement de la part des collectivités locales.
La Banque des territoires peut elle aussi cofinancer la construction de bâtiments industriels ou le renforcement d'infrastructures portuaires. Et ce n'est pas son seul levier. En effet, elle intervient comme actionnaire minoritaire dans plusieurs sociétés de projet. Elle est ainsi présente sur les champs d'éoliennes posées de Saint-Brieuc - aux côtés de l'énergéticien espagnol Iberdrola -, de Dieppe-Le Tréport (Seine-Maritime) et d'Yeu-Noir-moutier (Vendée) - avec Engie, EDPR et Sumitomo. « Sans compter son implication sur deux des quatre fermes pilotes d'éoliennes flottantes, Leucate (Aude) et Groix-Belle-Ile (Morbihan) », rappelle Emmanuel Legrand, directeur du département Transition énergétique de la Banque des territoires. Ces investissements en fonds propres ont pu servir de « pompe d'amorçage » à une filière émergente, « dont la technologie est encore peu connue des banquiers et prêteurs traditionnels. Nous participons généralement à hauteur de 10 à 20 %, ce qui représente, en phase de développement, un apport de 100 à 200 M€ sur l'ensemble de ces projets ». L'institution ne s'est pas donné « d'enveloppe dédiée, nous regardons les dossiers au cas par cas ». Ainsi, elle ne s'interdit pas de continuer à investir dans les futurs parcs, notamment dans les fermes commerciales d'éolien flottant.
Les opportunités ne devraient d'ailleurs pas manquer ces prochaines années, à en croire le gouvernement. Le 12 juin, le Premier ministre s'est dit prêt à engager l'équivalent de 1 GW d'appels d'offres par an dans l'éolien en mer jusqu'en 2024. « Nous attendons encore les précisions dans la prochaine version de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), promise pour cet automne, mais nous sommes rassurés, souffle Marion Lettry, déléguée générale adjointe du Syndicat des énergies renouvelables. Car la première version de la PPE présentait un rythme insuffisant [700 MW en moyenne annuelle, NDLR] et irrégulier, notamment pour le flottant. Il n'aurait pas permis de conserver l'avance de la France en la matière (lire l'entretien ci-contre) , ni de bénéficier d'économies d'échelle sur les coûts grâce aux volumes de production importants. » Avant de dévoiler cette nouvelle PPE, le gouvernement a malgré tout avancé quelques pions. Le parc éolien posé de Dunkerque a ainsi été attribué au consortium conduit par EDF Renouvelables, avec Innogy et Enbridge. Ils assureront la conception, la construction et l'exploitation-maintenance de ce champ situé à 10 km des côtes, représentant une capacité de près de 600 MW. Le tout pour un prix de rachat nettement inférieur aux précédents parcs : 50 €/MWh.
Un appel d'offres de 1 GW sur la façade normande, le quatrième projet posé dans la région, sera lancé au premier semestre 2020. Toujours pour du posé, un autre marché sera ouvert au deuxième semestre 2020, pour une installation au large de l'île d'Oléron. Concernant le flottant, ce ne sont plus deux, mais trois parcs commerciaux qui devraient voir le jour : un en Bretagne et deux en Méditerranée (au lieu d'un seul prévu initialement). Autant de projets qui devraient sortir plus rapidement que leurs aînés grâce aux avancées juridiques (lire p. 12) .
C'est en tout cas ce qu'espère la filière. D'autant que l'enjeu est double : énergétique (l'éolien offshore peut jouer un rôle essentiel dans le mix énergétique, alors qu'un parc comme celui de Dunkerque sera capable de couvrir 40 % des besoins du département du Nord), mais aussi économique et social. De ce point de vue, l'Hexagone présente déjà un certain nombre d'atouts, selon Guillaume Boudy, secrétaire général pour l'investissement : outre une façade maritime très étendue, « nous bénéficions d'une tradition industrielle et maritime, et des in-frastructures portuaires nécessaires au développement de cette filière. Par ailleurs, les activités liées à la maintenance - primordiale pour le dynamisme de nos ports - représenteront aussi de nombreux emplois ». Hubert Dejean de la Batie confirme : chaque parc normand « créera, en phase de construction, 750 emplois directs, autant d'indirects. Pour l'exploitation, il faudra en compter une centaine ».
Insertion et sous-traitants locaux. La communauté urbaine de Dunkerque aimerait que le tissu local en profite, et espère convaincre EDF Renouvelables d'intégrer dans les futurs cahiers de charges des heures d'insertion, « idéalement à hauteur de 5 % », et une part de sous-traitance locale. « Nous souhaiterions atteindre 6 % du coût de la construction attribué à des PME, et 3 % du coût d'exploitation », indique ainsi Patrick Lambert, directeur général des services de l'intercommunalité. Sans compter que ces parcs généreront des recettes fiscales difficilement mesurables pour le moment, mais assurément non négligeables.
Un parc éolien comme celui de Dunkerque pourra couvrir 40 % des besoins du département du Nord.
Cette activité servirait directement le territoire, mais pas seulement. « J'espère que les outils industriels que nous développons permettront aussi de construire des parcs ailleurs qu'en France. Notamment outre-Manche, en Cornouailles », évoque le vice-président de la région Normandie. Eiffage, de son côté, regarde déjà vers l'international depuis 2013. Cette année-là, le groupe français rachetait Smulders, et a depuis obtenu plusieurs marchés au Royaume-Uni ou en Allemagne, par exemple, en s'appuyant sur ses usines françaises, belges ou polonaises. L'éolien offshore représente déjà 50 % de l'activité d'Eiffage Métal chaque année, soit environ 400 M€. « Depuis 2013, plus de 1 000 pièces de transition, la partie la plus ouvragée d'une éolienne offshore, ont été ou sont en cours de production », précise Guillaume Sauvé. Le déploiement des parcs français représente un potentiel relais de croissance pour la major, qui compte bien se positionner non seulement sur les fondations métalliques, mais aussi sur les embases béton et sur le flottant.
Du côté de General Electric, une fois le champ de Saint-Nazaire livré, l'industriel procédera à la reconversion de ses usines de Montoir et de Cherbourg pour concentrer sa production sur l'Haliade X, l'éolienne de 12 MW présentée en juillet comme la plus puissante au monde. L'ambition : fournir deux parcs par an, au large des côtes françaises ou ailleurs. De quoi assurer l'avenir et la pérennité de la filière en France. Jérôme Pécresse, P-DG de GE Energie renouvelable, estime même que « le futur de l'éolien en mer se construit depuis la France, pour le monde entier ».
