Dédiée au chauffage et accessoirement aux litières et au paillage, la quatrième production de la ferme de Quentin Gougeon consolide l’exploitation dont il a hérité de ses parents à Vaiges (Mayenne). Après les semailles du blé d’automne, la taille des haies l’occupe 15 à 20 jours par an, principalement en janvier, dans l’exploitation qui associe par ailleurs la volaille, la vache allaitante et les céréales bio. Cette activité lui permet de commercialiser 150 à 180 m3 de bois déchiqueté par an, un chiffre qui descendra autour de 120 m3 quand il aura fini de rattraper 25 ans d’abandon de ses 14 km de haies, faute d’usage.
Une filière, trois maillons
Quentin Gougeon fait partie des 140 agriculteurs actionnaires de la société coopérative d’intérêt collectif (Scic) Mayenne Energie Bois, qui fournit 5000 t de bois déchiquetés par an à une clientèle principalement issue des collectivités, ainsi qu’à quelques laiteries. Entre l’agriculteur et le distributeur, la filière énergétique mayennaise repose sur un maillon central : la Coopérative d’utilisation de matériel agricole (Cuma) Cepvil, acronyme de « Etude, promotion et valorisation des initiatives locales ».
Agriculteur et P-DG de la Scic créée en 2008 et forte de cinq équivalent temps plein, Emmanuel Lelièvre en illustre l’esprit, à mi-chemin entre militantisme de la ruralité et réalisme économique : « On achète le plus cher possible, tout en cherchant à rester compétitif ». La valeur de solidarité s’exprime dans la répartition des achats : « 80 agriculteurs suffiraient. Nous limitons parfois leur livraison à un camion au lieu de deux, pour en engager un maximum dans une gestion pérenne », poursuit le P-DG.
Empreinte réduite
En 12 ans, les sociétaires ont vendu deux millions d’euros de bois issu de leurs haies. Active sur tout le département, Mayenne Bois Energie densifie son réseau au fur et à mesure de son expansion géographique, pour rester conforme au bilan carbone stipulé par son cahier des charges : le combustible ne doit pas parcourir plus de 20 km, jusqu’à la chaufferie.
Les techniques associées à cette approche ne sont pas nées en un seul jour : « J’ai commencé avec des têtes d’abattage de sécateur, avant de passer au taille-haie et à la tronçonneuse pour favoriser un bon redémarrage des arbres. Le label Haie m’a aidé à améliorer mes pratiques », évoque Quentin Gougeon.
Techniques durables
Lancé en 2019 par les ministères de l’Agriculture et de l’Ecologie qui en ont confié la gestion à l’association Afac Agroforesterie, le label Haie définit les critères d’une gestion durable. Tout commence par la maîtrise des quantités : la pérennité des haies interdit d’en prélever plus d’1/1000 par an. Ce qui n’empêche pas l’agriculteur de Vaiges d’accroître son potentiel, à raison de 8 à 900 m de nouvelles plantations tous les deux à trois ans.
L’évolution technique a surtout impacté la Cuma, née en 1995 et aujourd’hui forte de trois salariés : « Au début des années 2000, nous avons initié en Mayenne l’utilisation des lamiers. Le bocage n’était plus entretenu. Il faillait couper les grosses branches », se souvient le PDG de Cepvil Philippe Gruau, lui aussi agriculteur. Les cicatrisations difficiles proscrivent désormais cette technique.
Un agrément en vue
Fournisseur de la Scic, la Cuma fabrique quatre classes de plaquettes, entre G20 pour les plus petites chaudières et G 80 pour les plus importantes. Fruit d’un investissement total de plus de 800 000 euros, les deux tracteurs et les deux déchiqueteuses lui permettent de produire 20 000 t de combustible par an. Son modèle économique repose beaucoup sur l’optimisation des trajectoires de ses chauffeurs, élaborées chaque semaine à partir des réservations en ligne, et sur la rationalisation de la disposition des andains, pour limiter le déplacement des déchiqueteuses.
Avec la fédération nationale des Cuma et l’Afac Agroforesterie, la Cepvil contribue à la rédaction d’une plaquette qui définira l’itinéraire technique des chantiers durables de gestion des haies. Cette démarche découle du programme dit « Inter Onvar », lancé en septembre 2022 pour 30 mois au bénéfice des organismes nationaux de valorisation agricole et rurale (Onvar).
Agriculteurs ambassadeurs
Le respect des prescriptions ouvrira la voie à la délivrance d’un agrément, « pour que les agriculteurs puissent s’appuyer sur des prestataires fiables », explique Emma Houplin, chargée du Label Haie à l’Afac Agroforesterie, qui fait partie des Onvar. Un référentiel des coûts de gestion complétera la définition de l’itinéraire technique.
Plus encore que sur la technique, le développement de la nouvelle filière repose sur l’engagement des fournisseurs et sur le volontarisme de leurs clients finaux. La Scic Mayenne Bois Energie se déploie sur ces deux fronts : pendant des formations dites « pieds de haie », les agriculteurs apprennent les uns des autres. « Ils prennent peu à peu conscience de détenir un outil de profit et de reconnaissance, avant de devenir les meilleurs ambassadeurs du label Haie », se réjouit Emmanuel Lelièvre. En 2026, ce processus doit aboutir à l’engagement de la totalité des agriculteurs sociétaires dans la labellisation.
Nouveaux débouchés
Vers l’aval, Emmanuel Lelièvre, épaulé par l’Afac Agroforesterie, contribue à inspirer les plans climat air énergie territorial des communautés de communes. Les arguments ne manquent pas, de la qualité des paysages à la préservation de la biodiversité en passant par l’économie circulaire décarbonée ou la réduction des intrants grâce au nourrissage des auxiliaires de culture (oiseaux et insectes), sans oublier l’adaptation au changement climatique grâce à l’atténuation du vent et des pics caniculaires…
Parallèlement, la Scic explore de nouveaux débouchés : les plus beaux sujets des haies bocagères pourraient justifier la mise en place d’une filière départementale, dédiée au bois d’œuvre.
Parfum de haies dans le Morbihan
En transition entre plaquette forestière et plaquette bocagère, Yves Rocher programme 70 % de combustible titulaire du label Haie pour alimenter ses sites de La Gacilly (Morbihan) d’ici à 2030. Cette perspective s’inscrit dans son plan « Gacilly bas carbone ».
Les premières livraisons ont démarré le 8 mars, sur l’une des deux chaudières. Le parfumeur étudie la construction d’une troisième. Pour s’assurer de prestations compatibles avec le label, il s’appuie sur le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) élaboré par l’association Afac Agroforesterie pour les marchés publics.
« Ce document nous a aidés à structurer notre demande, qui stipule des plans de gestion durable des haies, des prix d’achat indexés sur les prix de revient et un approvisionnement local », détaille Violaine Canevet, responsable du projet.
Dans l’étude confiée à Coat Nerzh Breizh (fédération bretonne des filières bois-énergie territoriales), l’industriel s’est assuré que le prélèvement d’environ 4000 t/an n’affectera pas plus de 15 % du gisement, dans un rayon de 50 km autour de La Gacilly.