« L’avenir de l’humanité, c’est la ville »

Entretien avec YVES LION L’architecte-urbaniste Yves Lion a reçu le Grand prix de l’urbanisme 2007, le 18 décembre, des mains du ministre de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement durableet de l’Aménagement du territoire, Jean-Louis Borloo.

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Dans votre pratique, d’où vient le fait que vous ayez toujours intimement lié architecture et urbanisme ?

S’intéresser à la ville, pour un architecte, c’est une manière de s’intéresser au monde, aux questions sociales, voire aux questions politiques. En mai 1968 – j’étais aux Beaux-Arts –, le slogan qui m’a marqué, c’était : « Non aux bidonvilles, non à la ville bidon. » Dans l’atelier Pingusson, lorsque je voyais les étudiants plus âgés travailler sur la grande échelle – comme le plateau de Saclay, par exemple, sujet toujours d’actualité –, j’étais vraiment très impressionné. Avant d’être étudiant, j’ai eu aussi la chance de travailler deux ans dans une agence qui produisait des grands ensembles. Mais, fondamentalement, ça m’a vraiment toujours intéressé de travailler sur les vides et l’assemblage des parties. Et aujourd’hui, je pourrais dire que je fais de l’urbanisme pour mieux aimer l’architecture, et pas seulement celle estampillée.

Abordez-vous les deux disciplines de façon différente ?

Non, c’est la même posture. La question à laquelle j’aime être confronté dans ce métier, c’est : « Que faire face à telle situation, sur ce site, en fonction de la demande qui m’est faite et des contingences qui s’y appliquent. » Je trouve extraordinaire de devoir répondre à cette question au quotidien. Et ça, c’est valable pour un plan d’urbanisme comme pour un bâtiment. C’est un dénominateur commun qu’on peut appeler la quête de la pertinence. Mais, la production d’un bâtiment n’a bien sûr rien à voir avec la production d’un plan d’urbanisme.

Un courant de pensée aujourd’hui fait l’hypothèse que la ville peut s’organiser toute seule, à partir de quelques objets architecturaux forts. Qu’en pensez-vous ?

C’est une position de dépit vis-à-vis de l’urbanisme : puisqu’on ne peut pas tout maîtriser, puisqu’on ne peut pas réaliser la ville idéale, pourquoi s’en donner la peine ? Il suffirait d’investir dans la qualité architecturale de quelques bâtiments pour dire qu’on a fait œuvre de civilisation sans s’occuper du reste. Personnellement, je n’ai pas perdu espoir dans la question des villes où habite désormais plus de la moitié de la population mondiale. L’avenir de l’humanité, c’est bien la ville, et pas uniquement l’architecture. Mais, je n’empêche pas les architectes de travailler quand j’ai la responsabilité d’un quartier. Par exemple, je ne rédige pas de cahier des charges précis, je ne dis jamais qu’un bâtiment doit faire telle hauteur ou que l’acrotère doit dépasser de 30 cm par rapport au mur. J’essaie plutôt de transmettre un état d’esprit, une philosophie générale, de décrire des ambiances.

Plus précisément, quelle est votre méthode ?

Elle consiste à mettre en avant le projet urbain en tant que tel. J’essaie d’établir une complicité avec les gens, de donner des indications sommaires. Par exemple, dans le quartier en renouvellement urbain du Neuhof, à Strasbourg, on a demandé aux architectes de s’inspirer de la tradition des grosses maisons alsaciennes qui regroupent cinq ou six appartements ou de regarder dans les faubourgs comment les anciennes cours de fermes sont devenues des lieux d’habitation.

Cette méthode est efficace à condition que ce soit nous qui dessinions et réalisions une partie significative des espaces publics et quelques bâtiments stratégiques. Sinon, le projet urbain est plus difficile à tenir, comme à la Plaine-Saint-Denis où on a cru, un peu naïvement, qu’une fois le plan général validé, les choses se mettraient en place toutes seules.

Comment travaillez-vous avec le secteur privé pour lequel vous réalisez des quartiers de plusieurs centaines de logements, notamment à Bordeaux ou Marseille ?

Je n’ai aucun problème pour travailler avec le secteur privé, particulièrement avec Appolonia (groupe Nexity), même si c’est un travail qui m’échappe pour partie parce qu’il est lié à un mode de production spécifique. A Bordeaux, on a réalisé un quartier de 600 logements que j’assume totalement, bien que l’architecture ait été produite avec le promoteur. Le budget consacré à la commercialisation est équivalent aux honoraires d’architectes, ce qui montre la nature de l’exercice. On termine, toujours pour Appolonia, un chantier à Marseille, un autre est en cours à Lyon et on en commence un à Rouen, où il s’agit d’introduire de l’habitat privé dans un ensemble social.

Vous travaillez également beaucoup à l’étranger. Comment avez-vous été retenu pour le projet d’extension de La Mecque ?

On a remporté un concours en deux phases devant de grosses agences internationales. Le commanditaire, un groupe de promotion saoudien, voulait des concepteurs occidentaux qui pouvaient porter un regard assez neutre sur l’islam. On n’a d’ailleurs pas eu accès au site et on a travaillé à partir de photos et de films. Nous avons la responsabilité de deux quartiers, de part et d’autre de la mosquée Al Haram qui focalise tout le dispositif urbain et l’orientation des bâtiments. Il s’agit de construire une centaine d’immeubles, principalement des logements haut de gamme totalisant plus de 4 millions de m2, sur une topographie très accidentée. Nous réaliserons l’espace public, avant tout destiné à accueillir et faciliter le cheminement des pèlerins, mais aussi les infrastructures, ponts, voiries…

En travaillant dans des pays où « l’encadrement » de l’urbanisme est moins fort qu’ici, quel regard portez-vous sur les procédures françaises ?

Bien sûr, les procédures sont plus lentes en France, mais c’est le prix de la démocratie. La réflexion que mène la Ville de Paris, – et dans laquelle je suis engagé – pour étudier la possibilité de faire des tours à proximité du périphérique est un processus exemplaire : on discute avec des gardiens d’immeubles, avec les chargés de la sécurité, avec les présidents de syndics, les techniciens, les usagers… Personnellement, j’ai commencé à travailler sur ce sujet en 2001. C’est long mais je trouve que c’est un progrès de demander l’avis des gens et de prendre le temps de discuter. A l’époque de la tour Montparnasse, on a demandé l’avis de personne !

Pourquoi construire des tours le long du périphérique ?

A Paris, on est confronté à un manque criant de logements et à la nécessité de trouver des terrains à construire. A l’échelle de l’agglomération, c’est de part et d’autre du périphérique et dans la première couronne que l’on va trouver des lieux propices à la construction. Pour des raisons environnementales, il faut construire le plus dense possible et artificialiser le moins possible les sols. C’est assez compliqué, on n’est pas obligé de construire uniquement des tours, mais il faut montrer qu’il existe d’autres solutions que de construire des maisons individuelles à 40 km de Paris.

Historiquement, Paris est la démonstration qu’il est possible de bâtir une ville extraordinaire avec une densité forte, pour peu que l’espace public soit de qualité. Dans le 13e arrondissement, dans le secteur Masséna-Bruneseau, on a montré qu’on pouvait construire 500 000 m2 sur des terrains qui semblaient inconstructibles !

Vous étiez vice-président d’un atelier du Grenelle de l’environnement, et le seul architecte présent. Qu’en avez-vous retiré ?

Dans le groupe « climat », je présidais l’atelier construction et urbanisme et je dois dire que pour moi, les deux sont liés.

Faire des logements économes en énergie nécessite de faire évoluer la formation et la pratique des architectes. Sinon des spécialistes de la construction durable se substitueront petit à petit aux architectes. Mais l’objectif d’atteindre une consommation énergétique limitée à 50 kWh/m2.an dans le bâtiment n’a un sens que si on construit les logements dans les villes et pas à 40 kilomètres des transports en commun. Tout le monde est d’accord pour limiter l’étalement urbain, mais comment inciter les maires à renoncer à leurs projets de lotissements ? La notion clé de l’aménagement dans les années à venir sera le rapport entre le territoire artificialisé et le territoire non artificialisé. Cette question du rapport entre la ville et la campagne, qui semblait saugrenue il y a trente ans, a aujourd’hui une actualité évidente : il faut construire là où c’est déjà construit, et faire venir les transports en commun lorsqu’ils sont absents.

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