Interview

« L'artificialisation est la première cause d'érosion de la biodiversité », Pierre Dubreuil, directeur général de l’Office français de la biodiversité (OFB)

Créé début 2020, l'OFB vise à préserver le vivant via des missions d'expertise, de police et d'accompagnement de l'Etat et des entreprises.

 

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
Pierre Dubreuil, directeur général de l’Office français de la biodiversité (OFB)

A la sortie de son premier conseil des ministres, Elisabeth Borne s'est rendue au Muséum national d'histoire naturelle à Paris. Faut-il y voir le signe que la biodiversité commence à s'imposer dans l'agenda politique ?

La Première ministre a effectivement envoyé un signal positif avec ce déplacement sur le thème de la biodiversité, en compagnie de ses ministres en charge de la Transition écologique et de la Transition énergétique. Ce faisant, elle a mis en exergue le fait que l'architecture gouvernementale a vocation à lier le climat et le vivant pour traiter ces deux sujets au plus haut niveau. C'est fondamental car ce sont les mêmes pressions qui s'exercent sur l'un comme sur l'autre avec pour conséquences l'érosion de la biodiversité d'un côté et le dérèglement climatique de l'autre.

Quel regard portez-vous sur les travaux de l'IPBES (1) et sur sa doctrine qui va au-delà de la seule préservation des espèces pour appréhender la biodiversité et ses enjeux ?

J'adhère totalement au constat d'érosion établi en 2019 par l'IPBES et récemment réactualisé en collaboration avec le Giec (2). Nous faisons face à une surexploitation des ressources, à une prolifération d'espèces exotiques, au changement climatique, à des évolutions d'usages et à l'artificialisation des terres. Ces phénomènes, de par leur variété, démontrent que la biodiversité ne peut être analysée par le seul prisme de la disparition des espèces. Pour éviter l'effondrement, il nous faut penser en termes de dynamique et d'interdépendance entre espèces, habitats et écosystèmes. C'est ce continuum qui fonde la biodiversité.

L'éolien en mer fait partie des infrastructures susceptibles d'impacter le vivant. Quelle place doit tenir l'OFB dans le développement de ces projets ?

Le président de la République a annoncé sa volonté de construire 50 parcs en mer, sachant qu'un parc est constitué de 10 éoliennes. Ici, notre rôle consiste à copiloter l'Observatoire de l'éolien en mer, doté de 50 millions d'euros. Pour ce faire, nous concentrons notre expertise sur la modélisation de l'impact sur le marin, en coordination avec l'Ifremer, et sur l'aérien avec notamment la question des couloirs de migration des oiseaux. Au final, notre intervention doit permettre à l'Etat de choisir les futures zones d'implantation en préservant la biodiversité.

La gestion de nos forêts fait également débat, alors que la France entend développer une filière bois vertueuse, notamment à destination de la construction.

Dans ce domaine, nous sommes souvent tributaires de réglementations, parfois très contraignantes, que nous sommes tenus de faire appliquer. Il est parfois difficile pour des exploitants forestiers de concilier leur activité et la préservation des espèces. Faute de solution simple, nous tentons de les aider à travers des protocoles afin qu'ils puissent exploiter la forêt dans le respect de la biodiversité et du cadre légal. Notre rôle est aussi de les accompagner pour dessiner les actions qui les sécurisent juridiquement.

D'un point de vue plus général, doit-on faire évoluer notre approche de l'aménagement du territoire ?

Evidemment. N'oublions pas qu'en France, l'artificialisation est la première cause d'érosion de la biodiversité. L'équivalent du département de la Seine-et-Marne a été artificialisé ces dix dernières années. Il est donc essentiel de préserver les milieux naturels en appliquant la loi et en faisant respecter le code de l'Environnement. De même que la continuité écologique des cours d'eau doit être restaurée par l'effacement des seuils qui perturbent espèces, milieux et écosystèmes aquatiques. Les modifications artificielles des cours d'eau peuvent avoir des conséquences dramatiques, notamment lors de phénomènes climatiques extrêmes comme l'a tristement rappelée la tempête Alex en octobre 2020.

En plus de votre rôle de contrôle et d'expertise, vous accompagnez les entreprises…

A ce jour, elles sont plus de 150 à avoir adhéré à notre initiative « Entreprises engagées pour la nature » (EEN). Toutes ont signé une charte et une cinquantaine d'entre elles ont défini un plan d'actions que nous évaluons.

Parmi elles, plusieurs appartiennent au monde du bâtiment et de l'aménagement : Eiffage, Bouygues Immobilier, Vinci Construction… Nous travaillons à l'accompagnement vertueux des entreprises pour les aider à progresser.

« Il nous faut penser en termes de dynamique et d'interdépendance entre espèces, habitats et écosystèmes. »

L'OFB porte-t-il des travaux de recherche et développement ?

Sans être un acteur direct de la R&D, nous y contribuons largement en produisant des données et en coordonnant tous les systèmes d'information. Cette démarche prend corps sur le portail Nature France alimenté par les scientifiques qui concourent à l'Observatoire national de la biodiversité (ONB). Ce travail de documentation réalisé en coordination avec tous les acteurs associatifs, institutionnels, publics et privés crée un socle pour la recherche. Au niveau européen, nous sommes également engagés dans le pilotage des programmes Life qui visent à industrialiser et massifier le recours aux solutions fondées sur la nature pour répondre à des enjeux liés au réchauffement climatique et à l'érosion de la biodiversité. Ces solutions peuvent reposer sur le traitement des îlots de chaleur urbain, la renaturation des zones humides, la désimperméabilisation de sols via des matériaux filtrants, etc.

Passer de la parole aux actes, c'est aussi mettre en œuvre la stratégie nationale biodiversité 2030 (SNB). Est-elle suffisamment ambitieuse à vos yeux ?

Rappelons-nous que la SNB n'est pas encore totalement finalisée. Bérangère Abba, alors secrétaire d'Etat à la Biodiversité, l'avait bien présentée en mars 2022 comme un premier pilier sur lequel bâtir, pilier qui appelait à être consolidé, étoffé et financé. La mise en place d'un secrétariat général à la planification écologique, dirigé par Antoine Pellion, sous l'égide de Matignon, témoigne de cette recherche de transversalité, d'une dimension interministérielle qui couvrirait l'industrie, l'agriculture, le logement, l'aménagement du territoire…

Comment l'OFB y prend-il part ?

D'abord en qualité d'établissement public opérateur auprès du ministère, nous sommes chargés d'animer les réflexions pour contribuer à sa rédaction et de mobiliser les citoyens pour les associer à cette démarche. Ensuite, nous participons à la mise en œuvre de cette stratégie. L'OFB est un organisme public opérationnel dont les deux pieds sont ancrés dans le terrain puisque les deux tiers de nos agents sont déployés dans les territoires.

Qu'attendez-vous de la COP 15 Biodiversité qui se tiendra au mois de décembre au Canada ?

Mon sentiment personnel est que les échanges qui s'y tiendront seront très compliqués. Ce type d'événement est toujours le théâtre de négociations multilatérales intenses et peut-être plus encore aujourd'hui en pleine crise agricole mondiale née de la guerre en Ukraine.

Evidemment, la France tiendra son rôle d'aiguillon, pour que la biodiversité soit placée au même niveau d'urgence que le climat dans les politiques nationales.

Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !