Quelle est la place de l’architecture contemporaine dans un tissu urbain patrimonial ? A cette question récurrente, chaque époque a apporté son lot de polémiques, de controverses, entre Anciens et Modernes. Les courants de pensée, tour à tour, ont ouvert ou fermé la mise en œuvre d’une architecture contemporaine. Mais le temps fait son œuvre et la ville historique n’est plus qu’un collage de différentes époques, de styles et de techniques constructives que seul un œil exercé peut décrypter. Ce qui, pour le moins, devrait générer modestie et prudence dans les jugements. La valeur symbolique de l’acceptation culturelle d’un mode de penser la ville ou l’architecture, en dehors des compromis ambiants, est révélatrice de la capacité d’ouverture d’une société.
Ce débat n’est pas purement franco-française puisque l’UNESCO s’est saisi du sujet en adoptant "la Déclaration sur la conservation des paysages urbains historiques" en octobre 2005, sur la base du mémorandum de Vienne de la même année. On peut citer son Article 21 :
"La planification urbaine, l’architecture contemporaine et la préservation du paysage urbain historique devraient éviter toutes les formes de conception pseudo-historique dans la mesure où elles constituent un refus des aspects historiques et contemporains. La vision historique ne devrait pas supplanter les autres, car l’histoire doit rester lisible, tandis que la continuité de la culture par des interventions de qualité est l’objectif suprême".
On peut également ajouter que récemment, en mai 2007, lors de l’élaboration de la charte de Leipzig sur la ville européenne durable, les Ministres de l’Union Européenne ont insisté sur la cohérence globale de l’aménagement urbain, les villes représentant des centres de connaissance et des sources de croissance et d’innovation.
Nous le voyons, sacraliser les centres historiques est un contresens culturel et relève d’un rapport faussé à l’histoire. Incidemment, il faut ajouter que cette approche dogmatique d'une ville devenue musée, voire parc d’attractions, rejoint également certains intérêts économiques.
On pourrait imaginer que la conscience culturelle l’emporte sur le terrain. Or, c’est précisément l’inverse qui est arrivé à Troyes, ville qui a reçu pourtant l’Equerre d’argent -prix attribué par le groupe Moniteur, destiné à diffuser l’architecture contemporaine- pour sa bibliothèque à vocation régionale.
Lauréat, en 2003, du concours pour l’extension de l’Hôtel du Département de l’Aube situé dans le cœur historique, nous nous sommes vu récemment annuler le permis de construire de cet édifice par le tribunal administratif, alors même que le projet avait suivi avec succès toute la procédure réglementaire: une concertation s'est déroulé pendant plus de deux ans avec les différents services compétents à savoir le service d’urbanisme de la ville de Troyes, le Service Départemental de l'Architecture et l’Architecte en chef des bâtiments de France en charge du secteur sauvegardé, le service instructeur de la DDE, ainsi que l’Association de sauvegarde du Vieux Troyes. Nous avons également répondu à une inspection générale du Ministère de la Culture. Pour finir, nous avons obtenu du Préfet de l’Aube un permis de construire sans réserve.
Cependant, une association constituée entre-temps, militant contre le projet, a bataillé jusqu’à obtenir la suspension, puis l’annulation du permis de construire par le tribunal administratif, non pas sur quelques points de droit administratif, formels ou précis, mais sur l’article USS11 ou UAA11, héritier du R 111 21 du Code de l’Urbanisme, invoquant "le contraste excessif avec l’environnement bâti et la non reprise des matériaux et des couleurs avoisinants".
Même si l’architecture n’est peut-être ici qu’un alibi, c’est la compétence du juge administratif en matière d’architecture et d’urbanisme, qui est en question, ainsi que la liberté d’expression. Car, sur le plan réglementaire, le projet est conforme en tous points. Ce qui fait débat, c’est l’écriture architecturale et le contraste jugé excessif avec les maisons à pans de bois des XVIè et XVIIè siècles. Mais confondre ainsi architecture publique et domestique n’est-il pas de l’ordre de l’amalgame réducteur ? Ou bien relève-t-il de la négation des valeurs collectives et de la représentation des institutions ?
Le droit de l’urbanisme établit dans certains domaines un statu quo sur les territoires et une forme d’équilibre entre les pouvoirs. Or, l’histoire de la ville et des territoires ne peut se contenter de cette situation. Le développement durable signifie l’anticipation des problématiques environnementales et urbaines, c’est-à-dire que le droit de l’urbanisme doit relever d’une volonté farouche d’anticipation et non pas seulement entériner des situations d’équilibre. Ce qui signifie, à mon sens, que le fameux article R 111 21 doit être toiletté pour permettre sans équivoque à l’architecture contemporaine d’exister en faisant confiance aux différents experts de l’Etat ou des communes, invités à se prononcer pour l’occasion.
Enfin, ne peut-on imaginer que ces points de droit ou d’appréciation qui font annuler hors délais un permis de construire, nonobstant le coût global que cette procédure représente pour l’ensemble de la société, ne puissent être amendés par le pétitionnaire en personne, dans un ultime dialogue ?
Jean-Michel Jacquet est architecte-urbaniste à Troyes. Il a été lauréat en 2003 du concours pour l'extension de l'Hôtel du département de l'Aube, dont le permis de construire vient d'être annulé par le tribunal administratif.