Le Cube. Voilà comment l'architecte danois Johann Otto von Spreckelsen a toujours appelé son grand dessein, ce projet qui a surpassé 423 autres lors du concours lancé pour le site de la Tête Défense. Pas l'arche, ni la Grande Arche. D'ailleurs, structurellement, son monument n'est pas un portique mais une mégastructure dont les quatre faces, le socle, le toit et les deux ailes, sont solidaires. Un cube, donc. La différence peut sembler anodine mais elle résume bien les malentendus et les renoncements sur lesquels s'est bâtie l'une des grandes œuvres de l'ère mitterrandienne.

Enigmatique. Tout a débuté sur une surprise. Alors que le jury et l'Elysée ont tranché en faveur de cette forme géométrique élémentaire, l'ouverture des enveloppes, le 25 mai 1983, révèle le nom d'un inconnu, qui plus est, introuvable. Dan Tschernia, alors attaché culturel de l'ambassade du Danemark, se souvient « d'un appel de l'Elysée, d'une dame un peu hystérique parce que Spreckelsen était injoignable. Il était parti en vacances ». Delà est peut-être partie la légende de l'énigmatique Danois qui n'avait quasiment rien bâti, hormis quatre églises et sa maison, et dont Laurence Cossé a fait tout un roman en 2016, intitulé « La Grande Arche ». « Les Français ont toujours vu Spreckelsen comme nordique et distant. Ils n'ont pas perçu que c'était un homme très drôle », poursuit Dan Tschernia, qui vient de publier au Danemark une biographie de l'architecte.
En revanche, tout le monde s'enthousiasme pour le génie de son arche. « Le Monde » raconte comment Spreckelsen décrit alors cet « édifice de la même famille que ses voisins mais qui exprime aussi quelque chose d'extraordinaire. Ce cube est une forme très familière, banale. Légèrement désaxé, le bâtiment devient accueillant, il invite les gens à entrer ». L'Elysée salue ce projet « remarquable par sa pureté, par la force avec laquelle il pose un nouveau jalon sur l'axe historique de Paris et par son ouverture ».
François Mitterrand est en effet très préoccupé par la grande perspective qui traverse le paysage parisien depuis le Louvre. Il était hors de question de la boucher, et Spreckelsen, mieux encore, ouvre une fenêtre. « L'Arche regarde de la même manière Paris et sa banlieue. Elle a peut-être été le premier acte du Grand Paris », estime aujourd'hui l'urbaniste Jean-Louis Subileau, qui avait quitté la mission de coordination des grands travaux (lire p. 62), pour diriger la SEM Tête Défense, le maître d'ouvrage.

« L'Arche a peut-être été le premier acte du Grand Paris. »
Ce dernier évoque la complexité de ce projet : « Paul Andreu, qui, avec Aéroports de Paris, assurait la maîtrise d'œuvre de réalisation, disait que c'était un mélange d'architecture et de travaux publics. » Jean-Louis Subileau cite encore les professionnels appelés sur le chantier par la maîtrise d'œuvre ou par le constructeur, Bouygues : « Les meilleurs de leur catégorie. »

Crédits retirés. Mais il liste aussi les avatars de l'opération. Ce dossier Défense est complexe : un élément phare du programme initial, le Carrefour international de la communication, est incompréhensible, la gouvernance bizarrement ficelée et, en 1986, le gouvernement de cohabitation retire ses crédits tout en demandant la poursuite des travaux.
« Comment Spreckelsen pouvait-il comprendre tout cela ? », admet Jean-Louis Subileau. D'autant que l'architecte voit ses rêves de pureté entravés. Il n'a pas obtenu le marbre qu'il voulait pour les façades, et le nuage de verre qu'il a imaginé dans le vide du cube est structurellement irréalisable dans ce lieu venteux. Il a alors l'idée d'un auvent en toile, qui sera mis au point par Andreu et l'ingénieur Peter Rice. Car, en juillet 1986, Johann Otto von Spreckelsen jette l'éponge. Malade, il décède le 16 mars 1987.
La Grande Arche, qui entre définitivement dans l'histoire le 14 juillet 1989 en accueillant un sommet du G 7, adonc été achevée par Paul Andreu, décédé, lui, en 2018. « Il s'est vraiment mis au service de l'œuvre de Spreckelsen », juge Jean-Louis Subileau. Dan Tschernia ne dit pas autre chose : « Spreck était confiant du résultat. L'Arche est conforme à ce qu'il avait imaginé. »
