Un fascicule de 70 pages servira d’arme réglementaire, à la prochaine rentrée, pour consolider les droits des arbres. Constitué autour du ministère de la Transition écologique et solidaire après l’adoption de la loi Biodiversité, un groupe de travail de 26 personnes finalise sa rédaction.
Campagne réglementaire
« Après avoir épluché 13 codes, le groupe a identifié 60 articles qui traitent de l’arbre, avant d’émettre des propositions d’amélioration », a résumé Augustin Bonnardot, arboriste grimpeur au Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) de Seine-et-Marne, le 17 juin lors du webinaire réuni sur ce sujet par la fédération nationale des CAUE.
La plupart des références concerne les servitudes d’infrastructures linéaires, avec 26 occurrences éparpillées dans 10 codes. « Il s’agit d’abord de simplifier et d’harmoniser, puis d’identifier des vrais moyens de protection, tant pour les arbres communaux répertoriés que pour les arbres remarquables, classés à l’échelle nationale », poursuit Augustin Bonnardot. Le groupe de travail appelle à la désignation de référents et de conseillers, dans chaque commune.
L’autre cheval de bataille vise le droit de propriété, et sa déclinaison dans l’article 673 du code civil : selon le groupe travail, l’autorisation d’élagage en limite de parcelle ignore la charte de l’environnement annexée à la constitution.
Protéger sans figer
Les nouvelles étapes juridiques espérées par les protecteurs des arbres et des haies prolongent des acquis récents, mais encore fragiles et parfois à double tranchant : « De nombreuses collectivités ont inscrit des mesures de sauvegarde de ce patrimoine dans leur plan local d’urbanisme intercommunal. Mais attention aux protections qui figent ! L’agriculture a besoin d’évoluer, y compris dans ses haies, qui doivent démontrer leur utilité », prévient Catherine Moret, responsable de projets à l’association française arbres champêtres (Afac) et Agroforesterie.
La démonstration utilitaire se joue notamment dans le label haie, lancé en octobre dernier au ministère de la Transition écologique et solidaire pour encadrer la traçabilité de la gestion et de la valorisation dans des filières courtes, pour alimenter des chaufferies communales. La Seine-et-Marne suit une autre voie à l’entrée de ses villages : sur des terre-pleins centraux qui rétrécissent la chaussée, les arbres dissuadent les fous du volant.
Retour d’argumentaire
Le lien positif ainsi établi entre arbre et sécurité vient bousculer les idées reçues auxquelles s’attaquait déjà Georges Pompidou dans sa lettre mélancolique du 17 juillet 1970 à son premier ministre Jacques Chaban-Delmas : « Les arbres n’ont, semble-t-il, pas d’autres défenseurs que moi-même, et il apparaît que cela ne compte pas », constatait-il après la mise en œuvre d’une circulaire du ministère de l’Equipement qui encourageait les abattages au bord des routes.
Déléguée générale de l’association Allées-avenues, allées d’avenir et ingénieure centralienne, Chantal Pradines mesure le chemin parcouru en un demi-siècle, tout autant que les étapes qui restent à franchir : « Depuis cette lettre de Pompidou, la mortalité routière s’est réduite d’un facteur cinq, alors que la circulation a doublé », rappelle-t-elle. La revue générale des routes et de l’aménagement a conforté l’argumentaire sécuritaire des protecteurs des allées plantées, en démontrant le découplage entre le risque et le nombre d’arbres d’alignement.
Freins culturels
« Mais les connaissances scientifiques ne suffisent pas. Au nom de la route qui pardonne, des services techniques continuent à supprimer des obstacles latéraux », constate l’ingénieure. Ce frein culturel complique l’application de l’article L 350-3 du code de l’environnement, arraché de haute lutte dans la loi biodiversité pour interdire les abattages de bord de route.
« Faute d’emprises pour s’éloigner des chaussées, la distance de sécurité bloque souvent les replantations. Et quand bien même on franchit cet obstacle, l'éloignement interdit de restituer l’architecture de l’allée, avec sa voûte qui en constitue un élément majeur en même temps qu’une source d’atténuation des pics de chaleur et une incitation à la prudence », insiste Chantal Pradines.
Crève coeur
Plus encore que le droit, la valorisation économique ou l’argumentation scientifique sur la sécurité routière, la cause des arbres suppose la conquête des cœurs. A propos d’une infraction à l’article L 350-3 du code de l’environnement, commise récemment dans son propre département, Joël Baud-Grasset, président de la FNCAUE et agriculteur en Haute-Savoie, en donne une illustration poignante.
« Alertés par des riverains sur des branches mortes qui tombaient de deux tilleuls magnifiques, les services les ont abattus. Pour quelles raisons, leur ai-je demandé ? « Ils étaient dangereux », m’ont-ils répondu, alors même qu’aucune expertise n’étayait cette affirmation. Le grand-père de mon épouse est mort le même jour. Il venait souvent s’asseoir au pied de ces tilleuls et je me suis dit : « Les anciens s’en vont, et les arbres aussi ».
Les bouleaux du confinement
L’épilogue de l’histoire et du webinaire a ramené la joie dans les champs des Baud-Grasset, et bien au-delà : après la cure de sirop de bouleau qui a aidé la famille à ronger son frein pendant la crise sanitaire, les parents et les enfants ont planté « les bouleaux du confinement », pour fêter la liberté de mouvement retrouvée. « Nous nous en souviendrons longtemps, et ça donnera du sens », confie le président.