Thonon-les-Bains (Haute-Savoie) pourrait bénéficier un jour d'un édifice de style savoyard pouvant être aisément transformé en musée, maison de la culture, ou servir à tout autre usage », écrivait en 1959 l'architecte Dominique Denis, fils du peintre nabi Maurice Denis, dans une lettre aux associations locales qui militaient pour la conservation du couvent de la Visitation. Un ensemble érigé à partir du XVIIe siècle, vétuste et alors menacé de démolition pour cause de rénovation urbaine du centre historique. En 1973, après quinze ans de débats, l'édifice abandonné par les religieuses obtenait son inscription à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques. Au même moment, le bâti médiéval qui l'entourait était démoli pour laisser place à une sorte de ville nouvelle composée d'immeubles d'habitation.
L'architecte Maurice Novarina (1907- 2002), enfant du pays, est alors le maître d'œuvre du projet urbain et de la première réhabilitation du couvent en pôle culturel. Quand ce chantier s'arrête, dans les années 1980, une partie du programme est réalisée : la bibliothèque municipale, des locaux associatifs, une salle polyvalente. Mais le reste du bâtiment continuera à se délabrer, jusqu'à ce que s'engage -trente ans plus tard -une nouvelle tranche de travaux menée par l'Atelier Novembre.
Cette seconde rénovation s'étend à tout l'édifice, y compris la partie déjà réhabilitée. Agrandie et restructurée, la bibliothèque devient une médiathèque. Le programme s'enrichit d'une école de musique. Un auditorium est réalisé en extension. La chapelle accueille une galerie d'art et quelques salles abritent les collections de peinture de la Ville.
Tiers-lieu fédérateur. Lors de la première phase de travaux, Maurice Novarina avait créé un lien entre le cloître et la ville, et percé la façade d'entrée de trois grandes baies vitrées, amorce d'une transparence visuelle en profondeur. Aujourd'hui, en ouvrant le hall à l'arrière, l'Atelier Novembre prolonge le geste jusqu'à la cour intérieure, pièce maîtresse de l'opération. « La première intervention avait morcelé le bâtiment en plusieurs entités, sans lien entre elles. Nous avons proposé de retrouver l'unité du cloître en réattribuant à la cour son rôle fédérateur », explique Marc Iseppi, architecte. Pour lui, « le point de départ de toute réhabilitation doit être la compréhension du bâtiment d'origine, par-delà les transformations qui ont pu rendre illisible sa logique interne ». Le patio, avec son péristyle, retrouve sa fonction distributive, permettant à chaque élément du programme d'être relié aux autres. Couvert d'une verrière, il devient un tiers-lieu que les usagers peuvent s'approprier librement. Transparent et fluide, sans portillon ni banque d'accueil, le hall fait office de passage couvert vers la cour. Connectée à la place du Marché qui borde l'édifice, celle-ci retrouve ainsi une dimension urbaine.
Organisme vivant. L'atmosphère intime et apaisante, propre au cloître, est sauvegardée. Comme un tapis, le sol en béton clair ciré est orné d'un motif répétitif reproduisant le profil des voûtes du couvent. L'enduit acoustique absorbant des façades permet d'éviter la cacophonie dans cet espace ouvert, qui accueille parfois des concerts. Mais pour que puisse être ménagé un volume vide de cette ampleur, non prévu au programme, auditorium et grande salle associative ont dû être bâtis en extension, séparés de l'existant par une faille vitrée de circulations. Une démarche inspirée de celle de l'architecte italien Carlo Scarpa (1906- 1978), qui considérait les bâtiments comme des organismes vivants, faits de strates superposées de restaurations et réhabilitations qu'il s'agit de laisser lisibles. Aussi les interventions majeures de la première tranche de travaux restent-elles apparentes, voire sont valorisées. Il en va ainsi de la structure poteaux-poutres qui forme de splendides colonnades. Le chantier a, par ailleurs, mis aujourd'anciennes maximes destinées à rappeler les religieuses à leurs devoirs…






