En décernant à AIA Life Designer le Grand prix national de l'ingénierie (GPNI), le jury de Syntec Ingénierie a primé un projet remporté par l'agence en 2018, avant la pandémie de Covid-19. Le trafic aérien de l’aéroport de la Réunion Roland Garros était alors en constante augmentation et l’installation existante suffoquait. Il devenait urgent d’agrandir l’équipement en créant une nouvelle aérogare dédiée à l’arrivée des passagers, avec une salle de livraison des bagages et les locaux des douanes. Dans ce cahier des charges, la maîtrise d’ouvrage avait aussi introduit une demande forte : celle d’une architecture bioclimatique ventilée naturellement, dont la construction s’achève.
Un canyon dépressionnaire
« La ventilation naturelle est à l’origine de la géométrie particulière de l’extension, soulignée d’un canyon dépressionnaire », indique Eric Bussolino, directeur ingénierie et environnement chez AIA Ingénierie. Dans ce volume de 100 m de long pour 65 m de large - ni chauffé, ni climatisé, ni même ventilé mécaniquement - l’air entre par les ouvrants en façade ouest, met la façade est en suppression, tandis que cette grande dorsale de 10 m de haut pour 10 m de large constitue la pompe d’extraction du bâtiment. Des lèvres de 2 m de haut en tête de chaque paroi, dites aérodynamique, créent le décollement des flux aérauliques.
En partie basse, c’est une ventilation traversante qui est privilégiée. Par ailleurs, comme l’extension forme un L avec l’existant, avec une dent creuse en bout, la zone nord se trouve enclavée. Pour pallier aux effets de turbulence, un second puit dépressionnaire en façade, perpendiculaire au canyon, irrigue cette autre partie de la halle.
Expérimentations physiques
La mise au point de ces dispositifs a demandé des études extrêmement précises. « Nous sommes revenus aux bases de l’ingénierie et de la science », lance Eric Bussolino. Avant de poursuive : « à cette échelle, les outils numériques sont compliqués à utiliser. Nous avons privilégiés des expérimentations physiques concrètes à partir de maquettes et d’essais à la soufflerie Jules Vernes du CSTB, à Nantes ».
Les premiers tests, menés en soufflerie turbulente sur une maquette au 1/150e, ont permis de valider les principes aérodynamiques et aérauliques, mais également d’optimiser les dispositifs retenus (optimisation des tympans nord et sud, cadrage des cheminements aéraulique, etc.).
Un prototype de façade a échelle 1/1 dotés de lames orientables motorisés a lui été éprouvé dans une veine de 128 m² de la soufflerie, qui peut reconstituer tout type de climats. Ces tests ont permis de déterminer les angles d’ouverture en fonction de l’orientation et des conditions de vents et de pluie. Ainsi, toutes les ventelles des façades possèdent des préréglages saisonniers. Détecteurs de pluie, sondes de températures, anémomètres, qualifient et quantifient les ambiances intérieures et extérieures au superviseur de ventilation naturelle. Celui-ci pilote en temps réel les façades, sur la base de seuils établis, afin d’assurer un taux de renouvellement d’air supérieur à 30 vol/h et donc le confort thermique.
Effets du vent sur la structure
Dans ce contexte climatique insulaire, frappé en février dernier par les houles à 180 km/h du "monstre Freddy", « les effets des vents cycloniques sur la structure ont également été considérés », explique Wiliam Leroux, architectes chez AIA Architectes. La charpente s'organise comme une grande nef à deux versants, évidée en son centre par le canyon suspendu. « Chacun des versants est constitué de poutres en bois lamellé-collé courbes de grande portée, jusqu’à 25 m. Elles s’appuient sur des poteaux positionnés à l’extérieur des façades pour les libérer des contraintes porteuses et maximiser ainsi leur fonction d’admission et d’extraction de l’air. Pour contreventer l’ensemble, des diagonales et des butons sommitaux sont positionnés au niveau du canyon, qui viennent s’appuyer sur un voile en béton armé.
Les essais menés en soufflerie sur la maquette au 1/150e équipée de 401 prises de pressions de vent ont permis l’établissement de cartographies de pression permettant ainsi le dimensionnement des éléments, en complément de l’approche réglementaire par Eurocode. Des études connexes ont enfin été réalisées afin de garantir l’acoustique, le désenfumage et la qualité de l’air.
Reduction des consommations de 60 %
In fine, le recours à la ventilation naturelle, couplée à l’apport de lumière directe, permettra de réduire les consommations énergétiques de l’extension de l’ordre de 60 %, à l’ouverture au public en février 2024, comparé à un bâtiment équivalent qui serait climatisé au même niveau de confort, selon AIA.
Même si ces résultats sont très performants et participent à décarboner le bâtiment, quid de son usage ? A cette question, Eric Bussolino répond : « ce débat, qui consiste à baisser notre empreinte carbone, est très prégnant chez AIA. Mais ici, l’équation est différente, puisqu’il s’agit d’un territoire insulaire qui n’a pas d’autre moyen de se raccorder au continent, et qu’il s’agissait d’améliorer des conditions existantes tout à fait inconfortable ».
Maîtrise d’ouvrage : Aéroport de la Réunion Roland Garros
Maîtrise d’œuvre : AIA Life Designers (AIA Architectes, AIA Ingénierie, AIA Environnement), OBA Architectes, Incom (BET gros-œuvre), Inset (CFO/CFA), Jacques Gandemer Conseil (ventilation naturelle), Tysseyre + Associés (acoustique), Envirotech Ingénierie (environnement), Atea (paysage)
Référentiels locaux : PERformances ENErgétiques des bâtiments à La Réunion (Perene), Programme de recherche et d’expérimentation sur l’énergie dans le bâtiment (Prebat) spécifique à La Réunion de l’Ademe.
Le prix « Adapter l’existant » a été remis à un projet de gestion des eaux pluviales développés par Artelia et baptisé la Method’o. Le prix « Décarboner l’industrie » a été remis à Ekium, qui aide au travers de son projet EuroApi l’industriel pharmaceutique du même nom à réduire leurs consommations d’énergie, d’eau et d’émissions de CO2 sur six de leurs sites européens.
Les membres du jury
Serge Arnaud – Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD)
Anne Bernard-Gely – IGEDD
Laurent Chantron – BG 21
Hervé Charrue – CSTB
Paul Delduc – IGEDD
Emmanuel de Lanversin – direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN)
Nicolas Ledoux – Arcadis
Amélie Luquain – Le Moniteur
Alain Neveü – IGEDD
Grégoire Postel-Vinay – Conseil général de l'économie (CGE)
Pascal Terrasse – Cerema