Signe extérieur d'une certaine aisance depuis le XVIIIe siècle (balcons rococo du "bel étage"), puis marque de fabrique de l'immeuble haussmannien dont il rythme en continu l'élévation aux second et cinquième étages, le balcon devient avec les années 1950 un enjeu constructif et architectural avant de constituer, au cours de la décennie suivante, le moyen le plus économique et le plus efficace de créer une nouvelle esthétique.
La simplification de l'architecture de l'immeuble imposée par la construction de masse implique un abandon de toutes les figures du pittoresque, dont les HBM (habitations à bon marché) de l'entre-deux-guerres étaient encore parées. Dans son étude de nouveaux types destinés à être diffusés par la Ville de Paris, Michel Roux-Spitz condamnait ainsi en bloc la production de l'OPHLM (Office public d'habitations à loyer modéré) - "windows, balcons, arcs, linteaux, toitures, tout y est vulgaire et triste" - et recommandait d'éviter, "autant que possible, les balcons et terrasses, car ils empêchent les habitants de profiter de la vue directe sur les jardins et les espaces verts, parce qu'ils ne sont utilisables dans nos climats qu'une faible partie de l'année [...] ; parce que leur saillie porte ombre dans des étages déjà peu élevés et qu'elle les obscurcit".
Or, de l'apparat domestique de l'entre-deux-guerres, l'immeuble des années 1950 se débarrassera de tout, sauf du balcon. Bien au contraire : employé avec parcimonie dans les premières opérations d'HLM, il prend une place grandissante à la fin de la décennie, contribuant ainsi à rythmer des façades réduites à leur plus simple expression. Le balcon peut alors être conçu comme une extension sommaire du plancher munie de garde-corps métalliques, comme un cube ouvert sur la rue ou sur ses côtés, ou simplement clos à la façon d'une petite loge. Sa situation à l'angle de l'immeuble, sa forme échancrée, son dessin en biseau constituent autant de variations sur un motif devenu, dans bien des circonstances, l'unique moyen de composer une façade.
Le signe et l'usage
Si la généralisation de l'usage du balcon n'est pas le monopole de l'immeuble économique, il est vrai que sa présence a le plus souvent valeur de signe, tandis que les qualités d'usage ne sont pas partout évidentes. Elles ne sont pas toujours, du moins, le premier des critères, en témoigne cette description par Georges Goldberg d'un groupe de Logéco (Logements économiques et familiaux) à Saint-Cloud (Hauts-de- Seine) : "Pour obtenir une unité de façade sans recourir à la solution coûteuse de grandes baies à double vitrage, on a adopté un parti à balcons."
Le recours systématique et unifié à cette extension de la façade, dont on trouve de multiples exemples et que l'on peut interpréter comme une recherche de discrétion bourgeoise, de retranchement par rapport à la rue, suscite par ailleurs le débat au sein des instances chargées d'assurer une forme de continuité dans l'esthétique de la rue parisienne. Examinant le projet du 66-68, rue d'Assas (6e, Henri Clais, 1957-1960), le préfet de la Seine attire ainsi l'attention "sur l'effet disgracieux des balcons pleins qui sont projetés", et la Commission des sites, perspectives et paysage demandera une modification de leur dessin. D'où une recherche, de la part de nombreux architectes, d'une harmonie géométrique, laquelle peut également s'appuyer sur l'usage des bow-windows. Ces derniers tendent cependant à se raréfier au profit d'un jeu d'alternance entre le balcon et la loggia - un espace qui n'est pas nécessairement plus profond, mais dont la couverture garantit davantage de confort.
Texte extrait du catalogue de l'exposition "Paris 1950, un âge d'or de l'immeuble" (Editions du Pavillon de l'Arsenal, 247 pages, 27 euros), dont la conception scientifique est signée Simon Texier, maître de conférences à l'Université Paris-Sorbonne.