« Avec 24,9 milliards en 2020, les sommes engagées dans l’Hexagone ont chuté de 34 % par rapport à la performance record de 2019, mais sont tout de même légèrement supérieures de 7 % à la moyenne décennale », annonce Matthieu Garreaud, co-directeur du département Investissement chez Knight Frank France.
Les locaux industriels et logistiques ont tiré leur épingle du jeu. Les volumes investis ont diminué de 35 % sur un an, à 3,5 milliards. Mais, eut égard au choc représenté par la crise sanitaire, le résultat de 2020 est "plus qu’honorable", juge-t-on chez Knight Frank. La logistique est un actif très recherché. Les volumes ont davantage baissé par manque d'offres que par manque de demandes.
Comparé à la moyenne décennale, le volume d'investissement est d'ailleurs en hausse de 116 %. Les grandes opérations de 2020 ont exclusivement porté sur des actifs logistiques, majoritairement cédés à des fonds nord-américains, britanniques ou allemands.
« Nul doute que ce marché conservera sa très bonne dynamique en 2021 compte-tenu de l’appétit important d’un nombre croissant d’investisseurs et d’un contexte favorable lié au boom du e-commerce", indique Antoine Grignon, co-Directeur du département Investissement chez Knight Frank France.
Bureaux : des investissements en baisse...
La crise a en revanche plombé les investissements dans le bureau. Ce secteur a capté 17,3 Mds €, soit 35% de moins sur un an. L’Ile-de-France a concentré 72% des volumes investis, et Lyon s’est placée en seconde position, attirant 1,7 Md€, soit 24% des volumes.
« Les investisseurs sont de plus en plus sélectifs, prévient Renaud Boëssé, directeur bureaux Paris chez Knight Frank France. Les projets doivent répondre aux critères ISR (investissement socialement responsable) et les labélisations sont absolument primordiales, tout comme les dessertes en transport en commun. Enfin, les investisseurs porteront une plus grande attention sur la capacité des locataires pressentis à honorer les loyers. »
Par ailleurs, la décision d’Engie de réduire à 94 000 m² (au lieu de 135 000 m²) la superficie occupée dans son futur siège social à la Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine) aura des conséquences. « Dans le cadre de projets de Vefa, il y a toujours de gros débats pour savoir si le locataire pressenti prendra bien les clés, il y a fort à parier qu’à l’avenir, les discussions seront encore plus musclées », juge Renaud Boëssé.
Pour 2021, les investissements sur les bureaux seront limités au 1er semestre. « Il y aura peu de nouvelles opportunités car la fin d’année 2020 a été relativement calme, poursuit-il. Toutefois, les 15 premiers jours de janvier ont été plus actifs que les trois semaines de décembre… ». Knight Frank table tout de même sur 15 à 20 Mds € investis l’an prochain sur le secteur.
... mais des livraisons soutenues jusqu’en 2023 en Ile-de-France
Côté prise à bail de bureaux, « les volumes placés ont fondu de 42 % en 2020 avec à peine 1,38 million de m² de bureaux loués ou vendus aux utilisateurs en Ile-de-France », évalue Renaud Boëssé. Faute de visibilité, certains projets de déménagement ont été reportés et les entreprises qui ont passé le pas avait l’objectif d’optimiser les surfaces occupées.
Le volume de l’offre immédiate en Île-de-France totalise un peu plus de 3,57 millions de m² à la fin du 4e trimestre 2020. A l’avenir, « certaines entreprises renégocieront leurs baux, diminueront la taille de leurs bureaux ou redimensionneront leur projet de déménagement, comme l’a récemment fait Engie ; d’autres auront une approche résolument opportuniste, choisissant de regrouper leurs effectifs ou de les relocaliser pour tirer le meilleur parti du rééquilibrage des relations bailleurs – locataires », explique Renaud Boëssé.
« Alors que l’activité locative ne reprendra que très progressivement et que les libérations pourraient s’accélérer, la hausse de l’offre s’annonce d’autant plus durable qu’un pic de livraisons est attendu entre 2021 et 2023 », fait savoir Knight Frank.
Ainsi, plus de 130 opérations supérieures à 5 000 m² sont actuellement en chantier en Ile-de-France, représentant un total de 2,5 millions de m² neufs-restructurés, dont 63 % sont encore disponibles.
Ensuite, l’offre de bureaux devrait stagner, car « nous nous attendons à une baisse des nouveaux projets de bureaux, à l’exception des programmes situés dans les hubs du Grand Paris, fait valoir Renaud Boëssé. La stagnation du parc pourrait même être amplifiée par la transformation de bureaux en logement. »
Baisse historique d'ouvertures de nouvelles surface commerciales
La crise sanitaire a en revanche plombé les investissements dans le commerce. Celui-ci est marqué par une diminution des investissements (4,2 milliards d’euros investis en 2020, soit une baisse de 31 % sur un an et de 15 % par rapport à la moyenne décennale), une hausse de la vacance et une baisse historique des livraisons de nouveaux projets.
Tous formats confondus (centres commerciaux, retail parks, polarités de centre-ville, centres de marques, etc.), 420 000 m² ont été inaugurés l’an passé en France métropolitaine, soit une forte chute de 42 % par rapport à 2019.
« Alors que les ouvertures de retail parks oscillaient en moyenne entre 350 000 m² et 600 000 m² chaque année depuis 2010, seuls 230 000 m² ont été inaugurés en 2020. Il faut remonter au début des années 2000 pour trouver un volume plus faible encore, mais l’époque correspondait alors aux prémices de ces nouveaux formats d’ensembles commerciaux à ciel ouvert", explique Antoine Grignon, directeur du département Commerces chez Knight Frank France.
Le spécialiste explique ce coup d'arrêt par une conjonction de plusieurs facteurs : arrivée à maturité du marché, difficultés accrues de commercialisation, retards de travaux liés au premier confinement, contexte politique et législatif moins favorable au lancement de nouveaux programmes en périphérie....
Aucun segment de marché n’est épargné par les fermetures, ce qui donnera lieu à une augmentation de la vacance commerciale. « Sur 4 200 points de vente d’enseignes ayant fait l’objet d’une reprise depuis le déclenchement de la crise, 73 % devraient, selon les annonces, rester ouverts. Mais quelque 1140 emplacements ne seront pas repris et vont être vacants sur le marché", note Antoine Grignon.
Optimisation du parc de magasins et changement d'usages
Ces derniers mois, plusieurs rachats d’enseignes ont effet placé le marché français aux mains d’un nombre toujours plus réduit d’acteurs, ce qui incitera les enseignes à réduire le nombre de doublons au profit des meilleurs emplacements.
La tendance à l’optimisation des parcs de magasins est aussi accentuée par les arbitrages liés à l’essor des ventes en ligne et par le nombre croissant d’associations entre enseignes, qu’elles appartiennent ou non au même groupe. En 2020, le nombre de « shop-in-shops » (Décathlon chez Franprix, Truffaut au BHV, etc.) ou de « bi-stores » (Rouge Gorge et Dim, Eram et Grain de Malice, etc.) a en effet nettement augmenté. «
"Face à la hausse de la vacance, certains locaux changent plus ou moins radicalement de nature, et l’on voit ainsi se multiplier, en centre-ville notamment, centres médicaux, drives piétons, dark kitchen (cuisines professionnelles uniquement destinées à la livraison de repas à domicile ou au bureau) et autres points de retrait ou de préparation de commandes, aux côtés de locaux conservant une fonction commerciale plus traditionnelle", anticipe Antoigne Grignon.
Cette tendance s’accentuera dans les mois et années à venir. « La révolution digitale et l’augmentation de la vacance ne sont pas les seuls moteurs de transformation du commerce. Prise en compte de l’urgence écologique, volonté de repenser la conception des grandes villes autour des notions de proximité et de vie de quartier, nouvelles pratiques de mobilité, essor des loisirs, etc. : le commerce est aujourd’hui face à un véritable bouleversement des usages, qui laissera certainement des traces après la crise sanitaire », conclut Antoine Grignon.