Les logements étudiants sont-ils encore habitables ?
Au printemps dernier, Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, a annoncé la volonté de l’Etat de doubler le parc de logements étudiants d’ici à 2020 et de créer douze internats d’excellence. Pour bâtir plus vite, moins cher et de façon réversible, le ministère recommande de s’appuyer sur le modulaire et la filière sèche, prenant exemple sur deux commandes emblématiques récemment livrées, l’une au Crous du Havre (100 logements conçus à partir de conteneurs de transport maritime par l’Atelier Cattani architectes), l’autre au Crous d’Angers (158 logements modulaires en bois réalisés par le groupe Beneteau, un projet de l’agence d’architecture Logerais et associés). Le ministère aurait également pu illustrer l’intérêt de la filière sèche avec la réhabilitation de la résidence Diderot livrée au printemps dans le 12e arrondissement (AMC n° 206) et la tour Daviel, en fin de chantier dans le 13e : deux exercices ingénieux d’épaississement de tours foyers des années 60, signés respectivement de l’agence d’architecture Suzel Brout, avec un parti métallique, et le tandem Béguin & Macchini, qui a fait appel au bois. Parmi les points avancés par Valérie Pécresse, il y a aussi la volonté d’expérimenter des projets intergénérationnels, comme celui réalisé par Habitat et Humanisme à Lyon. Les pistes à explorer sont nombreuses. Paris Habitat, bailleur social en quête de terrain dans un contexte foncier tendu, a ainsi fait le choix de densifier deux sites de logements sociaux avec une résidence étudiante.
On assiste par ailleurs à une recherche de diversification dans la typologie des logements. C’était un des objectifs poursuivis par Nasrine Seraji dans la résidence Pierre Avia, à Paris 15e, qui propose trois cellules différentes. Ou de Laurent Niget, qui a installé des studettes en duplex en crête de la résidence récemment livrée pour la Semidep dans le 11e. Les projets phares d’urbanisme proposent généralement des programmes conséquents de logements étudiants (500 sur la ZAC Batignolles) qui se prêtent à cette variété typologique, facteur d’appropriation par les étudiants.
Autre paramètre du bien-être, le mobilier, dont le choix ou la réalisation sont désormais souvent confiés par les Crous aux concepteurs des opérations. Une commande qui conduit les architectes à s’associer à des designers pour mener des réflexions sur l’usage des surfaces contraintes : il faut que l’étudiant se sente chez lui. Il est même parfois question de micro-loft. Au concepteur de proposer alors un mobilier adapté qui multiplie les combinaisons en sachant que les mécanismes de rotation ou de type clic-clac représentent des surcoûts de fabrication. Au thème récurrent d’un mobilier évolutif, plutôt onéreux en général, d’aucuns préfèrent miser sur la légèreté du meuble pour en faciliter le déplacement, tel le mobilier sur roulettes dessiné par l’architecte Brigitte Métra pour l’opération livrée cette année à la Semidep à Paris 11e.
Le retour des étudiants dans la ville
Au milieu des années 1990, les automobilistes parisiens empruntant le boulevard périphérique découvraient dans le 18e arrondissement une résidence universitaire conçue par Architecture Studio : un mur écran de dix étages jouant à la fois un rôle de bouclier et d’espace de distribution… Cette recherche d’un fort impact urbain reste de mise, comme le montrent la petite tour conçue par l’agence KOZ à la Porte d’Ivry et la future Maison de la Région Ile-de-France de la Cité universitaire – avec centrale solaire – signée par l’agence ANMA. Mais la Ville de Paris s’attache également à introduire des petits programmes de logements à destination des étudiants ou des jeunes travailleurs dans l’épaisseur du tissu urbain. Le principe est de profiter des dents creuses disponibles, si possible en constituant un maillage assez serré (tous les 250 m) pour créer un réseau de proximité. Ainsi du côté de la ZAC Pajol, dans le 18e arrondissement, la SIEMP et la RIVP ont livré simultanément deux opérations dans la même rue. Les 32 logements réalisés par l’Atelier Mosca mêlent construction neuve et réhabilitation pour former jusqu’à la rue parallèle un charmant passage de faubourg qui intègre deux locaux d’activités en rez-de-chaussée. L’ensemble de 143 studettes conçu par l’agence LAN bénéficie d’un carreau de cour accueillant qui se tient à distance de la voie publique sans se couper de l’animation urbaine. La SIEMP va construire dans la même rue deux autres programmes, dont un ensemble d’appartements en colocation pouvant évoluer en studettes classiques si la formule ne rencontrait pas le succès escompté (Franck Vialet architecte).
La colocation est autorisée dans le parc public depuis la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion. À la rentrée 2010, les Crous de Grenoble, Paris et Toulouse ont proposé cette formule de logement dans le cadre d’un partenariat avec l’Association de la fondation étudiante pour la ville (Afev), engagée depuis plusieurs années dans le développement de colocations à projets solidaires (Kaps), suivant le modèle de l’expérience initiée à Louvain-la-Neuve en Belgique. En province aussi, les villes cherchent à implanter dans les centres constitués des projets de résidence étudiante au gré de la libération d’emprises foncières. On observe notamment une recomposition de la carte universitaire suivant la réforme de la carte militaire entreprise par le ministère de la Défense (quinze agglomérations déjà identifiées). Ces opportunités impliquent de savoir transformer des casernes avec imagination et créativité. Au niveau des entrées de ville, la résidence étudiante peut aussi faire signal si elle est d’une échelle conséquente. Clément Gillet a ainsi livré à Rennes la résidence Languedoc, un ensemble de 200 logements étudiants dont les espaces communs signalent leur présence par des volumes « extrudés » de la façade.
Sur le gril de la réglementation
L’application de la réglementation PMR (personnes à mobilité réduite) à 100 % a marqué une remise en cause du fonctionnement de la studette. Jusqu’en juillet 2009, dans le cas de logements temporaires (pour étudiants par exemple), la part de logements accessibles aux handicapés était fixée à 5 % minimum. Depuis la levée de la dérogation autorisant ce quota, tous les logements doivent respecter la norme mais les surfaces ne sont guère augmentées pour autant, avec des conséquences aberrantes dans les studettes de 18 m2. « L’espace de vie de l’étudiant, celui dans lequel il pourra installer au moins un placard et un bureau pour travailler, passe de 12 m2 – soit 70 % de la surface de la chambre – à 1,2 m2 – soit 7 % – tandis que la salle de bain double quasiment de surface », dénoncent les architectes Emmanuelle Colboc et Catherine Carpentier dans le Courrier de la Cofhuat. Il faut en effet prévoir un espace libre de 1,5 m devant la kitchenette hors débattement de la porte et de 80 x 130 cm devant la fenêtre pour pouvoir l’ouvrir en fauteuil roulant. « Le fait que la chambre devienne impropre à sa destination – puisqu’on ne peut plus installer aucun mobilier nécessaire à la vie d’un étudiant – passe au second plan. L’architecte n’a plus qu’à obtenir un résultat juste acceptable, mais certainement pas idéal. » D’autre part, les coûts de réhabilitation explosent avec la mise aux normes PMR, imposant parfois la démolition de certaines résidences encore en état satisfaisant. La contraction de l’espace à vivre bouscule les habitudes. Faut-il remettre en commun un sanitaire, une cuisine ou une salle d’eau pour deux ou trois étudiants ? C’est une position défendue par l’atelier d’architecture Canal qui y voit une solution acceptable en termes de confort et permet d’augmenter le nombre de studettes.