Fiche pratique

Intégrer la question du réemploi dès la programmation d'un marché public

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Matériaux triés pour le réemploi

Cette fiche est la première d'une série de quatre dédiées au réemploi dans les marchés publics qui seront prochainement publiées dans « Le Moniteur » :

- fiche n° 2 : « Comment prescrire le réemploi dans les marchés de maîtrise d'œuvre ? (« Le Moniteur » du 10 mai 2024, p.51)

- fiche n° 3 : « Comment prescrire le réemploi des matériaux dans les marchés de travaux de déconstruction ? » (« Le Moniteur » du 5 juillet, p. 69).

- fiche n° 4 : « Comment prescrire le réemploi des matériaux dans les marchés de travaux de construction neuve » (« Le Moniteur » du 5 juillet, p. 69).

 

Le réemploi des matériaux est désormais une obligation pour les maîtrises d'ouvrage publiques. D'une part, elles doivent privilégier cette démarche par rapport à la production de déchets de chantier dans le cadre de la déconstruction ou de la réhabilitation (art. et du Code de l'environnement - C. env.) ; d'autre part, elles doivent veiller au recours à des matériaux issus du réemploi dans les constructions neuves et les rénovations depuis la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite Agec, de 2020 ().

Clés du succès. Si l'obligation est claire, sa mise en œuvre en termes de prescriptions dans les marchés est plus complexe. Les opérations qui parviennent à atteindre des taux de réemploi importants sont généralement celles portées par une volonté ferme de la maîtrise d'ouvrage (MOA) de placer la démarche de réemploi au cœur du projet. Elles se caractérisent aussi par l'attribution d'un budget dédié. En d'autres termes, la recette du succès repose sur l'intégration du réemploi dans le programme et l'enveloppe financière prévisionnelle. C'est effectivement lors de la programmation qu'il pourra être pris en compte dans les besoins à satisfaire, les objectifs poursuivis, les contraintes et les exigences du projet, afin d'anticiper tous les freins susceptibles de surgir.

Voici une liste des étapes que la MOA doit suivre pour intégrer au mieux le réemploi dans l'opération.

Etape 1 : acter politiquement l'orientation vers le réemploi

Il est indispensable que cette démarche ne constitue pas seulement une initiative et un souhait des opérationnels mais qu'elle soit soutenue par les décideurs.

Le réemploi implique en effet des efforts supplémentaires par rapport au statu quo, puisqu'il nécessite de changer les habitudes, les méthodes de travail, d'introduire parfois plus de coopération et de nouveaux acteurs. Il peut rencontrer des freins qui doivent être levés au cours du projet (techniques, assurantiels, juridiques, économiques…), et à ce titre, seule une volonté politique forte de la MOA peut permettre à l'opération de ne pas être abandonnée ou bradée en cours de route.

Etape 2 : identifier les opportunités en lien avec la filière sur le territoire

Les équipes de la MOA doivent réaliser une première analyse de la filière de réemploi sur le territoire : quel est son niveau de développement ? Quels sont les principaux acteurs et gisements ?

Il s'agit alors de fixer une ambition et une orientation cohérentes avec le terrain même si un travail de sourcing plus précis est parfois réalisé ultérieurement par un AMO réemploi.

Etape 3 : vérifier si un diagnostic PEMD est obligatoire

Le maître d'ouvrage est tenu de réaliser un diagnostic, dit PEMD, relatif à la gestion des produits, matériaux et déchets issus de ces travaux ( - CCH).

Celui-ci est obligatoire pour les opérations de démolition ou de rénovation significative de bâtiments dont la surface cumulée de plancher est supérieure à 1 000 m2 , ou qui concernent au moins un bâtiment ayant accueilli une activité agricole, industrielle ou commerciale et ayant été le siège d'une utilisation, d'un stockage, d'une fabrication ou d'une distribution d'une ou plusieurs substances classées comme dangereuses en application de l' ().

Ce diagnostic fournit les informations relatives aux produits et matériaux en vue, en priorité, de leur réemploi, - ou à défaut, de leur valorisation.

Rappelons que, même s'il n'est pas obligatoire pour une opération donnée, il est conseillé de prescrire ce diagnostic, qui constitue une étape nécessaire pour mener à bien une démarche de réemploi.

Etape 4 : définir le besoin d'un AMO réemploi et lancer la consultation

La consultation visant à recruter un AMO réemploi peut inclure :

• la réalisation du diagnostic PEMD et/ou ressources. Le diagnostic ressources prend la forme d'un catalogue des matériaux réemployables, classés et caractérisés. C'est un document non réglementaire mais très utile au niveau opérationnel pour définir la stratégie de réemploi ;

• la définition de la stratégie de réemploi : il ne s'agit pas d'imposer des solutions techniques - c'est le rôle du concepteur - mais bien de fixer des objectifs pour l'opération (1) ;

• l'appui à l'élaboration des consultations (maîtrise d'œuvre et travaux) ;

• la supervision de la démarche tout au long du projet (suivi notamment sur le chantier).

A noter qu'il est possible de passer un accord-cadre ou un marché à bons de commande pour privilégier une consultation multi-opérations en vue de sélectionner un AMO réemploi.

Garantie décennale. Un point de vigilance important porte sur la responsabilité de l'AMO réemploi : il est fréquent que les missions qui lui sont confiées, soit contractuellement, soit dans les faits, relèvent de la garantie décennale des constructeurs. Dans ce cas, la souscription d'une police d'assurance adaptée est indispensable et doit être contrôlée au stade de la passation du marché.

En effet, l'AMO réemploi est souvent amené à réaliser des prescriptions relatives aux matériaux ou aux méthodes de pose à utiliser, appliquées à l'ouvrage. La jurisprudence rappelle à ce titre que :

• toute personne chargée de prestations de conception appliquées à l'ouvrage lui-même peut voir sa responsabilité engagée comme concepteur de l'ouvrage, tenu de la garantie décennale () ;

• le prestataire qui donne des instructions techniques précises au poseur participe activement à la construction, en assume la maîtrise d'œuvre et est débiteur à ce titre de la garantie décennale (, Bull.).

C'est ainsi parfois l'AMO réemploi qui se charge de la requalification technique des matériaux (c'est-à-dire d'établir leur performance à l'usage), et il participe le plus souvent activement à la conception de l'ouvrage en lien avec la maîtrise d'œuvre. Dans ce cadre, peu importe l'intitulé du marché et de sa mission initiale : en cas de sinistre, le juge requalifiera sa mission en mission de conception, et le risque d'insolvabilité ou de faillite est élevé s'il n'était pas couvert par une assurance décennale.

On rappellera aussi que ses missions de coordination et de suivi du chantier peuvent également induire une responsabilité décennale. La jurisprudence souligne à ce sujet que :

• un assistant à maîtrise d'ouvrage a été qualifié de constructeur « eu égard à la mission de coordination et de suivi du chantier qui était prévue par le contrat d'AMO » () ;

• un marché public de prestations intellectuelles intitulé « convention d'assistance administrative, financière et de conduite d'opération » a été qualifié de contrat de louage d'ouvrage portant sur un « contrôle des travaux dans le cadre d'une conduite d'opération » (, Tables).

Etape 5 : faire réaliser le diagnostic PEMD et, le cas échéant, un diagnostic ressources pour approfondir la caractérisation des matériaux et la stratégie de réemploi

A titre liminaire, précisons que le maître d'ouvrage public peut :

• inclure le diagnostic PEMD dans les missions de la maîtrise d'œuvre démolition, lorsque le projet s'y prête. Dans ce cadre, attention à bien distinguer techniquement et financièrement cette mission de celles de diagnostic relevant classiquement de la mission du maître d'œuvre ;

• ou passer un marché ou accord-cadre à bons de commande pour la mission diagnostic PEMD.

Critères et contenu. Dans tous les cas, il est conseillé de :

• prévoir un critère technique et de pondérer suffisamment. Ce type de prestation est devenu très concurrentiel. De nombreux nouveaux acteurs interviennent sur le marché après une formation d'une semaine, n'ont pas les compétences suffisantes mais proposent des prix très bas… Moult MOA se plaignent de la mauvaise qualité des diagnostics qui sont peu exploitables par la suite, et conduisent à repayer une nouvelle prestation ;

• solliciter des références pour des prestations similaires sur les trois dernières années. Le diagnostic PEMD n'est en vigueur que depuis le 1er juillet 2023 mais la plupart des acteurs réalisaient ce type de prestations bien avant ;

• contrôler que le candidat respecte la condition d'impartialité et d'indépendance prévue par le CCH (art. L. 126-34) ;

• ajouter, parmi les spécifications, l'évaluation de la valeur de marché des matériaux de réemploi. La réglementation impose uniquement au diagnostic de fournir « des indications sur […] les conditions techniques et économiques prévues pour permettre [le réemploi des matériaux] » (). La notice du formulaire de diagnostic PEMD diffusée par le ministère de la Transition écologique précise cette notion de « conditions économiques » pour permettre le réemploi des produits, équipements et matériaux, mais l'indication de la valeur de marché n'est pas expressément prévue. Elle est néanmoins indispensable pour les collectivités, groupements de collectivités ou établissements publics locaux en vue de céder des matériaux par la suite, au regard des règles du Code général de la propriété des personnes publiques pour la cession des biens mobiliers. Il convient donc d'exiger la transmission de cette donnée dans la commande du diagnostic PEMD ;

• rappeler qu'une bonne connaissance des filières locales de réemploi est attendue pour que le diagnostic préconise des conditions techniques et économiques de réemploi conformes au principe de proximité (art. et C. env.).

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