Signe des temps, certaines infrastructures publiques, comme les installations de recharge pour véhicules électriques, intègrent désormais de nouvelles solutions techniques et/ou une part importante de technologie numérique. Leur exploitation génère des revenus proportionnellement moins importants que celle d'ouvrages plus « gourmands » en besoin de financement, comme les autoroutes. Cependant, leurs coûts restent suffisamment élevés pour que les personnes publiques souhaitant s'en doter soient tentées, lorsque cela est possible, d'en confier le financement à des acteurs privés via des marchés de partenariat ou des concessions.
Déconsolider la dette. Les industriels en mesure de réaliser techniquement le projet n'étant pas toujours enclins à en assurer le financement eux-mêmes ou seuls, ils s'associent souvent à des fonds d'investissement pour réunir l'ensemble des fonds propres ou quasi-fonds propres nécessaires. Ils sollicitent des établissements de crédit (« prêteurs ») pour boucler les montages.
Si ces industriels et/ou fonds d'investissement (ou « sponsors ») souhaitent déconsolider leur dette vis-à-vis des prêteurs, ils peuvent recourir à la technique du financement de projet. Celle-ci repose sur un principe simple : ce sont les revenus tirés de l'exploitation du projet financé - et exclusivement ou quasi exclusivement ces revenus - qui remboursent et rémunèrent les prêteurs.
Divers obstacles. Cependant, certains acteurs, séduits par cette technique de financement, peuvent être rebutés par son utilisation pour les projets à capex (dépenses d’investissement) « modestes », du fait de sa lourdeur et de ses coûts considérés comme relativement incompressibles.
Le coût d'intervention des conseils est le premier obstacle pour accéder au financement de projet, car ce dernier n'est possible qu'après la conduite d'importantes et onéreuses « dues diligences » techniques, juridiques et financières. Il faut en effet que les prêteurs soient assurés de la pérennité des revenus qui les rembourseront. Les coûts de conseils, intégralement supportés par l'emprunteur, freinent les sponsors qui veulent financer ces projets aux investissements plus modiques que ceux traditionnellement couverts par cette technique (infra structures routières ou ferroviaires, bâtiments complexes…).
Les niveaux de taux de rendement internes (TRI) attendus par les sponsors constituent le deuxième obstacle. En matière de financement de projet, les sponsors ont des exigences de TRI plus importantes que les industriels qui autofinanceraient le projet. Or, ajoutées aux coûts intrinsèques de recours à ce financement, ces prétentions peuvent lourdement affecter la compétitivité de l'offre faite aux personnes publiques pour la réalisation de projets qui ne sont généralement attribués par elles qu'à l'issue de procédures extrêmement compétitives.
Recourir au financement de projet pour ces nouveaux types d'infrastructures est-il possible ? Les considérations suivantes, non exhaustives et non exclusivement juridiques, nourries d'échanges avec un leader français de ce type de projets, apportent des éléments de réponse.
Les projets concernés
Types d'infrastructures éligibles. Comme mentionné en introduction, les projets concernés portent sur des équipements et non des bâtiments ou des ouvrages d'art. Ils intègrent de nouvelles solutions techniques ou de nouvelles technologies, ils répondent souvent à l'exigence de la transition écologique. Cela vise par exemple les solutions « smart » - qui peuvent concerner tous les services publics -, les installations de recharge de véhicules électriques, ou encore celles de production ou de stockage d'hydrogène.
Impacts de la nouveauté pour les sponsors et conseils. Le modèle économique d'exploitation de nouvelles infra structures n'étant pas toujours très rodé, cela incite encore plus les personnes publiques à en confier la maîtrise d'ouvrage à des personnes privées, par un marché de partenariat ou une concession.
Ces nouveaux équipements viennent souvent optimiser les équipements plus traditionnels. Il s'agit donc davantage de remplacer ou de compléter l'existant, plutôt que de créer ex nihilo une infrastructure. Dans ce cadre, il peut être politiquement difficile pour la personne publique d'allouer une enveloppe budgétaire à ces projets. Le recours à un financement privé est alors considéré comme la meilleure solution.
La nouveauté de ces projets contraint d'abord les conseils à tâcher d'en appréhender le fonctionnement sans se transformer en ingénieurs. De plus, comme dans tout financement de projet, il est essentiel de comprendre les attentes de la personne publique, des usagers du service et la façon dont sont générés les flux de recettes de l'exploitation de l'infra structure qui rembourseront les prêteurs. Enfin, il convient d'identifier les risques propres à chaque opération.
Il est essentiel de comprendre les attentes de la personne publique et des usagers
Caractère duplicable. Les actifs assurant la transition écologique ou la numérisation de prestations liées à des services publics ont vocation à se généraliser, donc à être reproduits à l'identique ou à plus grande échelle. Cela explique l'appétence des industriels ou des fonds d'infrastructures ou d'autres acteurs à devenir des référents sur ces marchés.
Des projets duplicables inciteront de plus en plus les conseils et les différents experts, du droit notamment, à s'y intéresser en adaptant leurs offres, à la condition qu'ils puissent nouer des relations de longue durée et privilégiées avec les sponsors intéressés par ces projets novateurs.
Les acteurs impliqués
Les porteurs de projet. La fourniture, l'installation et l'exploitation- maintenance peuvent constituer des métiers bien distincts et justifier la réunion de compétences variées et donc potentiellement de différents industriels. Certains acteurs du marché peuvent néanmoins réunir ces compétences et porter seuls ces projets, par exemple dans les secteurs de l'hydrogène ou des équipements de recharge pour véhicules électriques.
Connaissance technique et capacité financière des sponsors. L'hétérogénéité des niveaux de connaissances techniques du financement de projet entre les sponsors d'un même groupement pose un problème pratique qui n'est pas à minimiser. Combler cette différence nécessite toujours du temps… précieux et coûteux.
Par ailleurs, si, au sein d'une même société spécialement constituée, coexistent des sponsors aux ressources financières très disparates, cela ne facilitera pas la mise en place de certains schémas de garanties à octroyer de manière résiduelle par les sponsors.
La distribution des rôles en cas de pluralité de sponsors.
L'industriel de taille importante qui n'est pas concentré sur un seul métier est généralement le mieux armé pour endosser le rôle du coordonnateur. Par exemple, certains marchés de « smart city » ont été rendus possibles grâce à la capacité de grands groupes français du secteur des énergies et des services à fédérer diverses compétences pour intégrer des solutions « smart » à des services publics.
Le conseil ne doit pas hésiter à proposer des organisations et suggérer une distribution des rôles, sans toutefois s'immiscer de manière trop dirigiste.
Une méthode de travail à adapter. S'agissant des autres acteurs que les sponsors, ceux qui se montrent intéressés par les projets nouveaux d'infrastructures sont généralement déjà familiers de la technique de financement de projet. En revanche, leur tendance à vouloir reproduire des standards de travail adaptés aux projets d'infrastructures importants à des opérations de taille modeste est un obstacle au financement de celles-ci.
Il est possible de jouer sur plusieurs paramètres afin qu'un financement de projet soit viable pour une opération de petite taille. Il s'agira ainsi :
- d'alléger le poids des conseils externes, notamment techniques et juridiques, en internalisant au maximum ces prestations, étant cependant précisé que le support juridique ne doit pas être trop sous-dimensionné, car le montage d'un financement de projet requiert que les risques soient alloués entre les parties de façon optimale ;
- de réduire le coût du projet : TRI ou marge sont les déterminants de la compétitivité d'une offre structurée en financement de projet ;
- de faire intervenir les investisseurs et/ou prêteurs seulement au moment de la mise en exploitation de l'équipement, l'industriel portant alors le risque financier du remboursement d'un crédit relais.
Récurrence des prestataires sur plusieurs projets. Faire appel aux mêmes acteurs - banques et conseils - pour plusieurs projets similaires peut favoriser la reprise de dispositifs contractuels déjà éprouvés, ainsi qu'une allocation des différents risques concentrée sur les principaux risques, sans rechercher à tout prix l'exhaustivité des dispositifs contractuels.
Il s'agira notamment d'alléger le poids des conseils externes
Il est nécessaire de discuter avec les prêteurs et de revoir avec eux leurs standards sur l'ensemble de leur documentation. Il convient également de présélectionner des conseils qui accepteront de « jouer le jeu » en arrêtant entre sponsors et prêteurs un certain standard de documentation reproductible, dans la mesure du possible, d'un projet à l'autre. Pour y parvenir, sponsors, conseils et prêteurs devront affecter à cette standardisation leurs équipes les plus expérimentées.
Les outils adaptés
Documentation juridique et financière. S'agissant d'actifs nouveaux et à forte plus-value technologique, les partenaires financiers seront particulièrement attentifs aux conditions de maintien du sponsor industriel dans le projet au-delà de la phase de réalisation, résultant des clauses de stabilité de l'actionnariat imposées par la personne publique ou les prêteurs : d'où l'importance de finaliser le plus tôt possible les principaux termes des statuts et pactes d'associés.
Les commentaires des projets de concession ou de marché de partenariat, tout comme la rédaction des contrats de conception- exploitation-maintenance ou d'interfaces qui en découlent (les « contrats aval »), sont toujours finalisés par les conseils avant la documentation financière, car ils sont indispensables à la remise de l'offre finale des sponsors aux personnes publiques. Pour autant, les principaux termes de la convention de crédit et le périmètre des sûretés doivent être arrêtés le plus tôt possible avec les prêteurs, préalablement à la remise de l'offre.
Les prêteurs sont en effet attentifs à une rédaction très précise des contrats de financement, mais aussi des contrats aval, qui sera leur seule protection pour éviter des dérives de coûts et permettre le remboursement des prêts consentis. Pour ce faire, les contrats aval répondent à une pratique de marché éprouvée qui obéit aux principes de « back-to-back » et d'« if and when ». Ceux-ci consistent à faire supporter par le concepteur-constructeur et l'exploitant-mainteneur les contraintes juridiques, techniques et financières que la personne publique aura pu imposer aux sponsors.
Standardisation de tout ou partie de certains contrats. Il est possible de standardiser une partie de la documentation afin de concentrer l'effort des conseils externes sur les sujets les plus structurants. Il sera surtout nécessaire d'alléger la documentation, par exemple en réduisant la liste des conditions suspensives aux tirages ou en restreignant le nombre de participants et donc des contrats nécessaires au financement du projet. Il conviendra, par exemple, de limiter le plus possible le recours à la sous-traitance en chaîne et d'éviter une trop grande multiplicité d'investisseurs et de prêteurs.
La standardisation est bien entendu facilitée lorsque les sponsors retiennent les mêmes prêteurs et conseils, ce qui suppose, outre une confiance mutuelle entre ces acteurs, qu'ils croient tous à un véritable flux de ces « petits » projets.
En somme, la technique du financement de projet, a priori réservée aux projets de taille substantielle, n'est pas nécessairement à écarter pour des projets aux investissements plus modestes, à la condition d'adapter cette technique, de choisir des prêteurs et conseils déjà familiers de ce mode de financement et en s'accordant précisément avec ces acteurs sur les règles du jeu. Les sponsors devront en outre adapter leurs attentes en matière de TRI, comme ils auront su demander à leurs conseils de le faire avec leurs honoraires.