Le 14 juin, vous avez présenté le rapport d'activité 2022 de l'Afit France à l'Assemblée nationale. Quels en sont les principaux enseignements ?
C'était d'abord l'occasion d'insister sur le niveau record atteint par notre budget en 2022 : 3,3 Mds €. Il faut garder à l'esprit qu'il s'établissait en 2016 à 2,1 Mds €. Or, les annonces du gouvernement intervenues au premier semestre confirment cette volonté d'accroître les moyens alloués qui devraient atteindre 3,78 Mds € en 2023. Ces sommes répondent à un véritable besoin en matière d'investissement dans nos infrastructures de transport. Pour preuve, 99 % du budget 2022 a été consommé. Des crédits consacrés aux deux tiers au rail, aux mobilités douces et au portuaire, contre un tiers à la route. C'est notre rôle que de rediriger l'argent prélevé sur les mobilités carbonées pour financer celles qui ne le sont pas.
Cette politique d'investissement ne se fait-elle pas au détriment de la qualité des infrastructures routières ?
Je tiens à rappeler que notre réseau ferré nécessite une rénovation colossale et qu'il n'a toujours pas réalisé sa révolution numérique ! En outre, consacrer un tiers du budget à la route constitue un niveau d'investissement suffisant, sachant qu'il n'existe pas de volonté d'étendre le domaine routier, sauf de manière marginale. Pas question pour autant d'opposer les modes. Il faut, au contraire, les articuler dans une logique multimodale. Une personne qui vit en zone périurbaine et travaille à 50 km de son domicile devra toujours réaliser les premiers kilomètres en voiture.
Le but est qu'elle bascule ensuite sur des transports collectifs ou des mobilités douces pour rejoindre son lieu de travail. Le plus dur est de convaincre les citoyens de ne pas effectuer leurs trajets avec un seul mode.
Comment garantir à l'Afit France un budget qui lui permette d'accompagner les ambitions du scénario de planification écologique présenté par le Conseil d'orientation des infrastructures (COI) et retenu par le gouvernement en février dernier ?
Il n'y a pas de débat sur l'état des besoins exposés dans ce scénario médian du COI. Reste à savoir où trouver l'argent pour financer ces infrastructures, et en particulier la rénovation et le développement de notre patrimoine ferroviaire qui suppose des investissements élevés et constants sur quinze, voire vingt ans. Pour s'inscrire dans cette temporalité, il faudrait qu'au moins 80 % des recettes de l'Afit France soient sécurisées. Je ne remets pas en cause le principe d'annualité budgétaire, auquel on ne peut pas déroger, mais il n'offre pas la visibilité nécessaire à la poursuite de tels projets. C'est pourquoi je plaide pour construire un consensus, une culture politique qui permette de sanctuariser des moyens et de garantir une stabilité budgétaire sur le temps long.

Avez-vous identifié des pistes de financement pérennes ?
C'est bien sûr le rôle du gouvernement et du Parlement de trouver des solutions. Sans vouloir faire renaître le spectre des Bonnets rouges [mouvement apparu en 2013 en réaction à la taxe poids lourds, NDLR], je constate néanmoins que nous sommes l'un des rares pays européens où les poids lourds peuvent circuler sur nos routes sans rien payer !
Il ne faut pas non plus oublier de regarder du côté des sociétés concessionnaires d'autoroutes qui doivent mettre la main à la poche pour financer la décarbonation des infrastructures de transport. Or, malgré leur taux de rentabilité, cela fait deux ans qu'elles ne se sont pas acquittées de leur contribution volontaire exceptionnelle à l'Afit. Nous sommes d'ailleurs en contentieux avec elles sur ce point.
Votre agence participe au développement des RER métropolitains. Comment envisagez-vous leur configuration ?
Il y a deux manières de voir le RER métropolitain. La première se base sur le modèle francilien qui favorise les dessertes rapprochées. Cette approche a pour principales vertus d'améliorer le cadencement ainsi que les liaisons entre la banlieue et le cœur de la métropole. Si elle répond à des besoins de mobilité sur le court terme, elle a pour défaut majeur de causer un étalement urbain sur les vingt à trente prochaines années. La mécanique est connue : plus vous réduisez les temps de trajet à l'intérieur d'une métropole, plus celle-ci s'étale. Pour ma part, je défends une autre vision, celle qui cherche à créer des pôles d'équilibre. J'entends par là un renforcement des villes moyennes existantes autour des métropoles grâce à des liaisons directes avec très peu d'arrêts. Cette vision est compatible avec celle de la ville durable : vous densifiez le cœur de l'agglomération grâce à un réseau ferré qui connecte la métropole avec les communes proches.
« Malgré leur taux de rentabilité, cela fait deux ans que les sociétés concessionnaires d'autoroutes ne se sont pas acquittées de leur contribution volontaire exceptionnelle. »
Les grands projets, qui occupent une place importante dans votre budget, font souvent l'objet de débats. Quel regard portez-vous sur eux ?
Ils sont légitimes et de qualité. Je ne doute pas de leur importance, mais certaines questions méritent d'être posées : est-ce le bon moment de mettre de l'argent dans ces projets ?
Quelles parts du budget faut-il y affecter au regard de celles consenties pour la régénération des infrastructures ? Et bien sûr, il ne faut pas oublier de questionner leurs impacts environnementaux. Ce sont des problématiques complexes pour un gouvernement. Quand bien même il est nécessaire de monter en puissance sur la rénovation de nos infrastructures, il lui est difficile d'abandonner totalement les grands projets. Chaque gouvernement désire, à travers eux, projeter une vision d'aménagement des territoires, comme avec le Grand projet ferroviaire du Sud-Ouest. Au bout du compte, tout est une question de timing et d'équilibre.
L'Afit France est-elle appelée à évoluer pour tenir pleinement son rôle dans l'aménagement du territoire ?
Je souhaite qu'elle s'organise autour d'un directoire et d'un conseil de surveillance qui fusionnerait avec le COI. Aujourd'hui, ce dernier établit des rapports, préconise des investissements, mais cela ne suffit plus.
Ce rapprochement permettrait de se doter d'un lieu de réflexion et de débat sur les infrastructures de transport, d'élargir l'horizon du COI. Il serait ainsi alimenté aussi bien par des débats prospectifs que par des retours annuels du terrain. Le directoire appliquerait les orientations du gouvernement et rapporterait les résultats des politiques d'aménagement au conseil de surveillance.