La route à l'épreuve de l'hiver

Protéger les chaussées mises à mal par l'eau et le froid implique une conception et une réalisation dans les règles de l'art. Sans oublier un entretien pointilleux.

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La route, qui dessert un monastère et une habitation, s’est affaissée sur 30 m de long.

Décembre 2023 : au petit matin, les habitants de Gerbaix, en Savoie, découvrent que la RD 35, qui traverse leur village, est coupée en deux par un trou béant. Les failles créées par la sécheresse estivale combinées aux précipitations intenses de l'automne et aux fortes chutes de neige au début de l'hiver ont emporté la route sur une dizaine de mètres de large et autant de haut. Ces dégâts spectaculaires ne sont heureusement pas les plus courants mais la période hivernale est sévère avec les routes, mises à mal par les pluies intenses, le froid, la neige, l'alternance de gel et de dégel et les variations de températures.

« Le problème numéro un de cette saison, c'est l'eau qui, associée au gel, peut former un cocktail explosif », résume Jean-Marie Vermorel, en charge de la gestion du patrimoine chaussées et ouvrages en terre chez Sanef, concessionnaire de sept autoroutes dans les Hauts-de-France, en Normandie et dans le Grand Est. Lorsque le gel est long et intense, l'isotherme zéro degré descend progressivement dans la chaussée. Les couches de structure, généralement peu ou pas gélives, ne retiennent pas l'eau, contrairement au sol, en particulier lorsqu'il est de type argileux. « Si la partie supérieure des terrassements (PST) gèle, sa teneur en eau augmente au dégel, le sol perd de sa portance et subit un travail excessif en flexion sous le poids des camions », explique Jean-Marie Vermorel. Une fatigue qui se traduit par du poinçonnement - les roues des poids lourds laissant des ornières de plusieurs centimètres - et des remontées de fissures dans les couches liées qui produisent des nids-de-poule.

70 cm de couche de forme. Pour maîtriser ce risque, Sanef, dont le réseau passe dans des zones où l'indice de gel est parmi les plus forts de France, augmente l'épaisseur de la couche de forme de ses chaussées, celle qui repose précisément sur la PST. Dans la région de Metz (Moselle), où le concessionnaire a récemment élargi une section de l'A4, cette couche atteint 70 cm. Avec les couches d'assise et de surface, l'épaisseur de la route peut ainsi atteindre 1,20 m. « La chaussée agit comme un retardateur de la pénétration du front de gel », résume Caroline Lévêque, ingénieure recherche et développement chez Colas. « En France, la norme de dimensionnement des chaussées permet de calculer l'épaisseur minimale des couches d'assise, puis d'adapter les structures à l'indice de gel de la région en jouant principalement sur l'épaisseur de la couche de forme », indique Hugues Odéon, chef de groupe infrastructures durables au Cerema. Ce qui n'empêche pas les variantes. « On peut aussi traiter l'arase de terrassement avec de faibles dosages de chaux et de ciment pour la rendre moins sensible au gel avant de poser la couche de forme », suggère-t-il. Les pays scandinaves, eux, posent parfois des isolants comparables à ceux du bâtiment sur la partie supérieure des terrassements afin de la protéger.

Empêcher l'eau de pénétrer dans la chaussée revient à prêter une attention toute particulière aux couches de surface. « Une couche de roulement en bon état garantit le confort des usagers mais aussi l'étanchéité de la route, rappelle Caroline Lévêque. Car l'eau qui pénètre dans la chaussée fragilise, en gelant, les liaisons entre le bitume et les granulats qui risquent alors de se déchausser. » Et si elle atteint l'interface entre la couche de roulement et les couches d'assise, le gel, là encore, peut désolidariser les deux épaisseurs. La couche de roulement devient la seule à reprendre les efforts du passage des poids lourds, un travail mécanique pour lequel elle n'est pas conçue. « Cela se traduit par de l'arrachement en plaques et ruine une chaus-sée en quelques centaines de passages de camions », décrit Jean-Marie Vermorel.

Bitumes modifiés et chaux hydratée. Les matériaux de la couche de roulement sont déterminants. « Ils doivent être compacts, denses et non drainants », liste Caroline Lévêque. Sanef, dont le réseau est fait de béton bitumineux très mince (BBTM) et de béton bitumineux drainant (BBDr), a choisi de les conserver pour leur adhérence, gage de sécurité routière, mais en prenant des précautions contre le risque hivernal. « Nous employons systématiquement des bitumes modifiés comportant des polymères qui améliorent la résistance du BBTM », précise Jean-Marie Vermorel. Le groupe intègre également de la chaux hydratée dans la couche de roulement afin de renforcer l'adhésivité entre le liant et les granulats. Mais l'empreinte carbone élevée de la chaux amène aujourd'hui Sanef à lui préférer des dopes d'adhésivité, c'est-à-dire des additifs chimiques en poudre.

Bien conçue, l'infrastructure doit ensuite être bien entretenue. « Si la route est dégradée à l'abord de l'hiver, elle n'a aucune chance de résister », estime Caroline Lévêque. Sanef effectue ses campagnes de surveillance des chaussées avec une technologie canadienne, le LCMS (Laser Crack Measurement System), qui détecte les fissurations jusqu'à 2 mm d'ouverture, et pratique des injections de bitume régulières pour éviter l'infiltration. L'inspection ne doit cependant pas se limiter aux routes. « Pour bien évacuer l'eau, le système de drainage et d'assainissement des chaussées doit être en parfait état et les fossés curés », insiste Hugues Odéon.

 

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Réagir : rétablissement d'urgence après effondrement

Après un automne extrêmement pluvieux en Haute-Savoie, des précipitations exceptionnelles survenues mi-décembre ont causé un glissement de terrain sur la RD 50, qui traverse Boëge, petite commune de la Vallée verte. « A quatre reprises, nous avons eu de la pluie jusqu'à 2 500 m d'altitude, ce qui a fait fondre la neige, se souvient Lionel Tardy, vice-président du conseil départemental en charge des routes.

Les cours d'eau et les sols n'arrivaient plus à absorber l'eau. » De plus, une canalisation d'eau potable en fonte enfouie au cœur de la chaussée a rompu, fissurant la route sur 15 m de long et 20 cm de large. Combinée aux apports intenses de pluie, cette brèche a causé l'effondrement du talus aval sur près de 2 m de haut et une trentaine de mètres de long.

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Or cette route dessert le monastère des Voirons et une habitation qui ne pouvaient rester coupés du monde. Il fallait donc rétablir la circulation en urgence. Les travaux ont commencé quatre jours après l'effondrement, sous route fermée. « Ils ont consisté en la mise en place de buses sous le fossé amont, la démolition des couches de chaussée, la pose de matériaux drainants pour reconstituer un corps de chaussée et de matériaux plus fins pour assurer la circulation sur une largeur d'environ 4 m », détaille-t-on au département. Celui-ci a lancé des études géotechniques pour savoir comment compléter ces mesures de manière pérenne. « Nous savons déjà qu'il faudra reprendre la chaussée sur toute sa hauteur », indique le vice-président.

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Expérimenter : différents revêtements à l'essai

En 2021, Sanef a déployé près de Reims (Marne) un revêtement superficiel combiné (RSC), technique qui associe un enduit superficiel d'usure et un mélange bituminé coulé à froid. Posé directement sur la chaussée existante, ce revêtement de 1,5 cm d'épaisseur présente « une très forte capacité à imperméabiliser les couches inférieures, tout en redonnant de l'adhérence à la surface grâce à des granulats », détaille Jean-Marie Vermorel, en charge de la gestion du patrimoine chaussées et ouvrages en terre chez le concessionnaire.

L'usage du RSC, non normalisé en France, est cadré par une note d'information de l'Idrrim. « Les premiers retours sont bons mais le vrai juge de paix sera le comportement à huit ans et plus », estime Jean-Marie Vermorel.

Un peu plus loin, Sanef a mis en œuvre le Stone Mastic Asphalt (SMA), méconnu en France mais très développé en Allemagne, en Belgique et en Suisse. Cet enrobé à forte teneur en liant - le bitume représente 6 à 7 % du total contre 5 % habituellement - est complété par des fines et des fibres de cellulose. L'ensemble produit une couche supérieure compacte, imperméable et réputée pour sa durabilité. Bien adaptée aux conditions hivernales, donc, mais plus coûteuse que les autres revêtements en raison de sa proportion de bitume.

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Prévenir : en Finlande, Destia surveille la route à la loupe

Dans un pays où la température moyenne en début d'année est de - 10 °C, l'état des routes est un sujet crucial. Destia, spécialiste finlandais des infrastructures routières entré dans le giron de Colas en 2021, a mis au point tout un dispositif de surveillance des infrastructures. Basé à Helsinki, le centre de gestion hivernale est opérationnel du 15 septembre au 15 mai.

Ses 12 collaborateurs utilisent les 1 000 caméras du centre d'information routière Fintraffic et les 440 stations météo routières de l'Institut météorologique national. Cette surveillance constante garantit la viabilité hivernale des infrastructures et permet d'intervenir rapidement en cas de dégradation.

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Pour contrôler l'état du réseau, Destia mise fortement sur le numérique. Tout est bon pour évaluer l'état de la route : capteurs sur smartphone, qui permettent de relever le besoin de nivelage d'une chaussée ; réseau neuronal pour interpréter les dommages repérés ; géoradar, un système qui repose sur l'utilisation d'ondes électro magnétiques et fournit des informations sur l'épaisseur et l'état des structures ainsi que sur la qualité du sous-sol ; balayage laser pour créer un modèle 3D de la route et de tout son environnement à l'aide d'un nuage de points. Chaque année, l'entreprise ausculte 100 000 km de routes en Finlande, mais aussi en Suède.

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