Interview

Industrie : « La construction durable ne coûte pas plus cher », Benoit Bazin, P-DG de Saint-Gobain

Dans le cadre de la régionalisation du groupe, son dirigeant soutient les avancées techniques et réglementaires pour décarboner le secteur.

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Benoit Bazin
Benoit Bazin

Au 1er juillet, vous avez fait évoluer la gouvernance du groupe pour la structurer entièrement autour de zones géographiques. Est-ce une parade à la menace de hausse des droits de douane ?

Saint-Gobain a intégré la déglobalisation dans sa stratégie depuis plusieurs années déjà. Dès 2019, avec notre plan « Transform & Grow », nous avions régionalisé 80 % du chiffre d’affaires. De lignes de produits mondiaux pilotées par des Français, nous sommes passés à une organisation par pays.

Cela nous a apporté beaucoup d’agilité dans la prise de décision, de proximité avec nos clients, et la capacité de vendre non seulement des produits, mais aussi des solutions multiproduits. Cette année, nous sommes allés un cran plus loin avec 100 % du groupe régionalisé. Cette organisation est parfaitement adaptée à nos marchés qui sont par définition très locaux puisqu’on ne construit pas au Vietnam comme au Canada ou en Argentine. Nos chaînes de fabrication, d’approvisionnement et de logistique sont aussi locales, nos produits ne voyagent pas. Avec nos 1 100 usines dans le monde, nous ne sommes donc pas directement impactés par les tarifs douaniers.

Quelles sont vos zones prioritaires ?

L’évolution de la démographie, qu’elle soit naturelle ou migratoire, et le besoin de logements qu’elle génère, sont des critères structurants pour évaluer le potentiel de croissance d’une zone géographique. Prenez l’exemple de l’Amérique du Nord : il existe actuellement un déficit de 4 millions de logements aux Etats-Unis et 5 millions de logements doivent être construits d’ici 2030 au Canada. Nous avons investi plus de 9 Mds $ dans ces deux pays depuis cinq-six ans. Les autres zones dynamiques se trouvent en Asie, à commencer par l’Inde, notre troisième pays en termes de résultat. En Australie, où l’immigration est un moteur démographique fort, nous avons réalisé la plus grosse acquisition de groupe depuis vingt ans. Le Moyen-Orient est également une zone d’intérêt majeur avec plusieurs projets de mégavilles.

En quoi la chimie de la construction, sur laquelle vous vous êtes renforcés, est-elle stratégique ?

Elle répond à deux enjeux : la décarbonation du monde de la construction et la productivité sur les chantiers. On peut diviser par trois ou quatre la teneur en CO2 du béton parce qu’on change sa formulation tout en assurant les propriétés finales souhaitées, de manœuvrabilité, de résistance… Au-delà des adjuvants pour béton et additifs pour ciment, cette activité couvre aussi les solutions pour les sols, les enduits de façade, ou encore les membranes d’étanchéité. Grâce aux acquisitions de Chryso, GCP et Fosroc, entre autres, nous avons constitué une plateforme unique d’expertise mondiale dans 76 pays qui pèse 6,5 Mds € à fin 2024 sur un marché d’environ 100 Mds €.

La décarbonation dépend des sources d’énergie utilisées dans vos usines. Là aussi, vous faites confiance aux savoir-faire locaux ?

Ce sont effectivement nos directeurs généraux de pays, dont plus de 90 % en sont natifs, qui trouvent localement les bonnes solutions. Un exemple : la biomasse en Inde.

Notre usine de plaques de plâtre située dans l’Andhra Pradesh récupère l’écorce de riz pour faire des briquettes que l’on brûle. Il n’y a pas d’électricité, ni de gaz dans cette usine.

De même, nous avons construit en Norvège la première usine de plaques de plâtre au monde qui fonctionne 100 % avec de l’hydroélectricité, une énergie très disponible dans le pays et à un prix raisonnable. La deuxième démarre cet été au Canada. Pour aller plus loin, nous sommes également le premier industriel au monde à avoir réalisé, à Herzogenrath, en Allemagne, une production test de verre plat avec plus de 30 % d’hydrogène. C’est en partie grâce à ces efforts que nous avons baissé de 34 % nos émissions directes de CO2 scope 1 et 2 par rapport à 2017.

Pourquoi défendez-vous le Green Deal européen ?

Sur les transitions énergétique et climatique, l’Europe a été en avance. Gardons cette avance et cette vision à long terme, sans faire de zigzags ! Elles représentent un avantage en termes d’innovation et de savoir-faire technologique. C’est un sujet de souveraineté et d’attractivité pour les talents.

En France aussi, nous faisons des zigzags.

La RE 2020 doit-elle être assouplie ?

La réglementation donne un point d’arrivée. A nous, industriels, de mettre en place des actions concrètes pour l’atteindre par de l’investissement et de l’innovation produits et procédés… Une fois l’objectif fixé via ces réglementations exigeantes, il ne faut pas les changer, et il nous incombe de les exécuter sur le terrain. Le secteur de la construction fonctionne sur le temps long : un artisan réalise ses travaux sous couvert d’une garantie décennale, un bâtiment peut mettre plusieurs années à sortir de terre… Il est donc important pour notre secteur d’avoir de la stabilité et de la visibilité sur les normes.

« Sur les transitions énergétique et climatique, l'Europe a été en avance. Gardons cette avance et cette vision à long terme, sans faire de zigzags ! »

Comment vous adaptez-vous à l’exigence d’économie circulaire ?

Au niveau mondial, notre production compte déjà près de 20 % de matériaux recyclés. C’est même 60 à 70 % dans le cas de notre isolation en laine de verre en France.

La circularité apporte un double bénéfice : climatique car moins d’émissions de CO2 à la production, et environnementale car moins de prélèvements de matière première. En France, la responsabilité élargie des producteurs (REP) est très utile pour avancer même si elle n’est pas encore parfaite. Nous avons installé 810 points de collecte de matériaux dans nos agences Point.P et cela monte en puissance. Placo a recyclé 12 000 tonnes de plâtre en 2024. Nous signons des accords avec de grands donneurs d’ordre comme la Ville de Paris ou l’AP-HP pour collecter leurs matériaux de chantiers et les recycler.

Un vrai mouvement s’est mis en place et s’accélère.

Ces produits de plus en plus décarbonés et recyclés sont-ils condamnés à être de plus en plus chers ?

Non, c’est un mythe auquel il faut tordre le cou ! La construction durable ne coûte pas plus cher. Dans le monde de la construction, ce qui peut coûter, c’est la désorganisation d’un chantier, un changement de devis au dernier moment, une erreur dans une chaîne d’approvisionnement… Il faut donc s’organiser pour que la logistique soit optimisée, digitalisée et décarbonée, tout en avançant dans l’économie circulaire pour obtenir des effets d’échelle.

Comment lutter contre la crise du logement en France ?

Nous avons besoin de stabilité des politiques publiques.

Les maires ont un rôle important à jouer, ils doivent retrouver une vraie capacité d’action. Les propriétaires bailleurs devraient aussi bénéficier d’un statut particulier qui les inciterait à louer leur bien. Enfin, un coup de pouce est parfois nécessaire : le prêt à taux zéro est en cela une bonne mesure.

Quels seront les effets du stop-and-go sur MaPrimeRénov’ ?

Je l’ai dit, le secteur a besoin de stabilité. J’ai souvent plaidé pour un plan Marshall de la rénovation énergétique, ciblant l’aide sur les bâtiments classés F ou G, pour des raisons à la fois climatiques et sociales, alors que ces bâtiments-là vont sortir du parc locatif, ce qui accentuera la crise du logement.

Comment financer ce plan Marshall ?

Dans le logement social, cela se passe bien entre la Caisse des dépôts et les organismes HLM. Il est essentiel d’impliquer les banques afin qu’elles soutiennent les particuliers en leur proposant un complément de prêt pour financer une rénovation globale, réalisée en une seule fois ou par étapes Nous ne pouvons pas laisser le monde financier à distance de ce mouvement de transition environnementale.

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Date de réponse 16/10/2025