Le bois est plus que jamais sous le feu des projecteurs. Et cela semble bien parti pour durer, puisque la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) vient d'en faire le principal matériau constructif du village olympique de Paris 2024 (lire p. 13) . « L'un des objectifs est de faire franchir une étape nouvelle à la filière bois française que nous accompagnons. Elle ne sera plus l'exception mais la norme, a déclaré Jean-Louis Missika, adjoint à la mairie de Paris, chargé de l'urbanisme, de l'architecture et du projet Grand Paris, à l'occasion du Marché international des professionnels de l'immobilier (Mipim), qui s'est déroulé à la mi-mars à Cannes. L'objectif est d'avoir du 100 % bois en dessous de R + 8 et des solutions mixtes en filière sèche au-delà. » Cette ambition résonne d'autant plus fort qu'elle s'inscrit dans le contexte législatif de la future réglementation environnementale 2020 (RE 2020) qui fait la part belle aux éco-matériaux. « Toutes les formules qui peuvent contribuer à la réduction des émissions carbone sont bonnes à prendre, et dans ce domaine, le bois a une longueur d'avance », affirme Jacques Bouillot, directeur filière sèche et filières décarbonées chez Eiffage Construction. « Selon l'étude Carbone 4, le bois stocke 460 kg de CO /m3 quand le béton en émet 470 kg/m3 », précise Philippe Zivkovic, cofondateur de la société de promotion spécialisée dans le bois, Woodeum.
Un matériau « digital ». Ce contexte favorable pousse les leaders du secteur à investir la construction bois. Le promoteur Nexity compte doubler sa production de logements en bois d'ici à 2020 et s'est fixé l'objectif de produire 20 % de bureaux dans ce matériau via sa filiale Ywood, spécialisée dans la construction d'immeubles tertiaires en bois. Eiffage Construction a annoncé fin février l'acquisition de trois sites de production de l'entreprise Charpentes françaises, le numéro un de la structure bois en France. Un an auparavant, le promoteur GA Smart Building avait racheté Ossabois, spécialisé dans la préfabrication et la construction modulaire.
Si le bois rencontre enfin son public, c'est parce qu'il s'inscrit dans l'air du temps. « Outre ses bienfaits sur le stockage de carbone, il est naturellement digital, souligne Sébastien Matty, président du groupe GA Smart Building. Comme ses procédés de fabrication et de mise en œuvre sont plutôt numérisés, les environnements industriels du secteur sont compatibles avec des outils comme la maquette numérique. »
Des projets d'envergure. D'autres avantages contribuent à ce succès, comme la mise en œuvre sur le chantier. « La préfabrication des éléments en atelier raccourcit les temps de chantier et améliore les conditions de travail des compagnons en réduisant la pénibilité et le risque d'accidents du travail », souligne David Bruchon, directeur technique, responsable filière sèche-RSE d'Icade. C'est aussi moins de nuisances pour les riverains, ce qui facilite l'acceptation du chantier. Par exemple, pour la construction de la tour d'habitation en ossature bois Hypérion, à Bordeaux, Eiffage Construction prévoit six à huit fois moins de rotations de camions que sur un chantier béton.
Les opérations actuelles servent de démonstrateurs pour tester la réglementation.
Autant d'atouts qui incitent les promoteurs et les grands constructeurs à proposer des opérations toujours plus importantes. Bouygues Immobilier livrera ainsi à Strasbourg cet été Sensations, un ensemble d'habitation de 38 mètres de haut sur 11 niveaux. Soit, pour l'instant, « le projet en bois le plus haut jamais sorti de terre en France », selon Michel Perrin, vice-président de la commission technique d'Adiv-bois. Il sera toutefois dépassé par Hypérion - dont le chantier vient seulement de commencer -, avec ses 57 mètres pour 18 étages. De son côté, le promoteur Adim Paris Ile-de-France a travaillé avec Arbonis, une autre filiale de Vinci Construction spécialisée dans la conception-construction bois. Ils réaliseront à Champs-sur-Marne (Seine-et-Marne) une résidence étudiante R + 11 en ossature bois de 37 mètres et un parking silo R + 3, également en structure bois, qui feront partie de l'ensemble immobilier mixte « Treed It ». Autant de projets démonstrateurs qui constituent une vitrine d'innovation pour ces groupes. « Nous allons vers l'inconnu. Ces opérations nous permettent de mesurer la compatibilité du bois avec d'autres matériaux, mais aussi de tester la réglementation », reconnaît Julien Brisebourg, spécialiste bois central chez Bouygues Immobilier.
Problèmes d'acoustique et d'inertie. Le bois reste de fait un matériau difficile à appréhender, notamment à cause des process complètement renouvelés. La conception en amont des bâtiments doit ainsi être maîtrisée. « Nous avons besoin d'entreprises qui puissent préconcevoir une maquette numérique aboutie. Il faut, par exemple, anticiper des épaisseurs de plancher en bois plus importantes que pour le béton », poursuit Julien Brisebourg. Techniquement, le bois présente encore des limites. Principalement utilisé pour l'ossature des bâtiments, il est désormais plus rarement installé en façade à cause des problèmes d'humidité. « Le parement bois vieillit et a une durée de vie limitée », relève Guillaume Poitrinal, cofondateur de Woodeum. « Concernant le cœur de bâtiment, il existe également des problèmes d'inertie thermique et d'acoustique à surmonter », complète Sébastien Matty, de GA Smart Building.
Une filière à structurer. S'ajoute un dernier point noir : la réglementation, véritable frein à la démocratisation du bois. « Aujourd'hui, les normes s'additionnent, et beaucoup ne spécifient pas l'usage du bois comme matériau de construction », déplore Helen Romano, directrice générale déléguée de l'immobilier résidentiel chez Nexity. Conséquence pour les opérateurs : le surcoût par rapport à l'utilisation du béton. « Il peut représenter 5 à 10 % du montant total des travaux. Mais plus on utilisera du bois, plus l'écart avec le béton se réduira, parce que les acteurs se professionnaliseront », estime Helen Romano.
C'est d'ailleurs le principal enjeu de la construction bois : la structuration d'une filière qui plafonne depuis quelques années entre 10 et 12 % du marché de la construction en France, contre 20 à 25 % en Allemagne, en Autriche ou dans les pays scandinaves. Et qui surtout, faute d'approvisionnement suffisant en bois français, laisse ces pays fournir l'essentiel de la production. « Nous ne sommes pas encore les meilleurs sur le marché, mais cette fibre commerciale va s'affirmer », espère Loïc de Saint-Quentin, secrétaire général d'Afcobois. En témoignent les derniers investissements réalisés dans le secteur. Le groupe familial Piveteaubois a ainsi dépensé 17 M€ pour une usine flambant neuve destinée à la production de panneaux en bois lamellé-croisé (CLT). Une opération qui permet d'ouvrir de nouvelles perspectives au « made in France ». Ywood a choisi pour sa part d'utiliser 90 % de bois français pour la construction de l'immeuble de bureaux en structure bois Palazzo Méridia, à Nice, qui doit être livré au dernier trimestre 2019. Eiffage Construction compte, quant à lui, n'utiliser que du bois français. Gageons que les JO de 2024 serviront de locomotive à toute la filière bois française, qui compte bien tirer son épingle du jeu.