Décryptage

Immobilier - Décret tertiaire : les propriétaires font leurs comptes

L'audit des bureaux, entrepôts et autres bâtiments vise à évaluer les travaux à réaliser et les investissements à prévoir.

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Patrizia a bâti un plan d’investissement pour chacun de ses entrepôts, comme celui-ci de 13 000 m² à Marly-la-Ville (Val-d’Oise), afin de réduire leurs consommations énergétiques.

C'est peu de le dire : le décret tertiaire a eu du retard à l'allumage… Publié en 2019, et renommé depuis dispositif Eco Energie Tertiaire (DEET), il prévoit de faire baisser progressivement les consommations d'énergie du parc tertiaire (lire ci-dessous) d'ici à 2050. Ses effets économiques commencent enfin à se faire ressentir. Et ce sont les diagnostiqueurs qui en voient les premiers bénéfices.

Chez Swiss Life Asset Managers France (21 Mds € de patrimoine, dont 80 % de bureaux, entrepôts, hôtels, campings et commerces concernés par le dispositif), 60 % des actifs devront être audités d'ici à la fin de l'année, contre 20 % actuellement. Quatre sociétés s'y collent : Elan, Enerlis, Sinteo et Terao. « Un acteur seul n'a pas les ressources humaines suffisantes pour auditer tout notre parc », observe Fabrice Lombardo, directeur des activités immobilières de cette filiale de l'assureur suisse.

Sur les 744 actifs français de BNP Paribas Real Estate Investment Management (REIM), 352 bureaux, commerces, hôtels et entrepôts sont assujettis au DEET. « A ce jour, 314 audits ont été commandés : un peu plus d'un tiers ont été reçus et validés par nos équipes techniques, environ la moitié sont en train d'être revus et finalisés par ces mêmes équipes, et enfin 15 % sont toujours en cours de réalisation », détaille Nehla Krir, directrice du développement durable. La machine est parfois longue à mettre en route en raison des actifs détenus en copropriété. Dans ce cas, le syndic commande l'audit énergétique directement. « Ces audits analysent la consommation d'énergie actuelle du bâtiment, identifient les actions possibles pour la réduire et précisent leur coût, le gain financier attendu et le délai de retour sur investissement », résume Nehla Krir. Il est donc trop tôt pour connaître le nombre de bâtiments qui pourraient faire l'objet de lourds travaux, ainsi que le coût au m² ou encore le retour sur investissement.

Coût des travaux exponentiels. Ce travail en amont n'est pas toujours nécessaire pour lancer de premiers travaux. « En parallèle des audits, des chantiers de différentes échelles sont lancés, dans le cadre de réflexions prédécret tertiaire, poursuit Fabrice Lombardo. Nous n'avons pas besoin d'attendre le plan d'actions pour installer un système de gestion technique du bâtiment (GTB) [rendu obligatoire par le décret Bacs d'ici à 2027 pour la plupart des surfaces tertiaires de plus de 1 000 m², NDLR]. » Ni même pour estimer les montants à investir afin que le parc respecte la réglementation. D'autant que le coût des travaux permettant d'atteindre les objectifs du DEET sera exponentiel. « Il passera de quelques dizaines d'euros par m² à horizon 2030 à certainement quelques centaines pour les échéances 2040 et 2050, soit plusieurs millions, voire dizaines de millions d'euros par portefeuille », calcule Emmanuel Verhoosel, directeur général de Square Sense, installateur de capteurs qui croisent les données énergétiques et d'occupation des bâtiments.

Le montant de la facture dépend des éléments techniques du bâtiment, de sa typologie, de son usage et de son âge. Deux investisseurs institutionnels - ayant voulu rester anonymes -ont déjà estimé le coût au m² des actions nécessaires. Une filiale immobilière d'une banque suisse devrait ainsi dépenser environ 45 €/m² pour ses bureaux et entrepôts pour atteindre les objectifs de réduction des consommations énergétiques d'ici à 2030. Elle a déjà commencé à investir dans de nouveaux systèmes de GTB. Chez un gestionnaire d'actifs américain, les coûts varient fortement : de 5 €/m² pour un ensemble immobilier de bureaux de 2 000 m² à Paris à 53 €/m² pour un immeuble de bureaux Art déco d'une surface similaire, toujours à Paris. Le lancement des travaux synonymes d'économies d'énergie, en ligne avec le DEET, est prévu cette année.

D'autres grands propriétaires sont en train d'affiner leurs estimations, à l'instar du canadien Ivanhoé Cambridge. Pour sa vingtaine de bureaux, entrepôts et hôtels français visés par le décret tertiaire, l'investissement est estimé « entre 3 et 5 M€ d'ici à 2030 sur une dizaine d'actifs, confie Stéphane Villemain, responsable de l'investissement durable. Nous n'avons pas encore de chiffre précis car nous finalisons la stratégie avec nos partenaires ». En attendant, l'entreprise n'a pas hésité à actionner le levier des certificats d'économie d'énergie (CEE) qui finance en partie l'installation de systèmes de GTB…

Tout sur le dispositif Eco Energie Tertiaire

A l'exception des lieux de culte, de défense, de sécurité civile ou de sûreté intérieure, les aéroports, gares ferroviaires, maritimes ou routières, équipements sportifs, blanchisseries, bureaux… et autres bâtiments non résidentiels et non temporaires d'une surface plancher égale ou supérieure à 1 000 m² sont concernés par le dispositif Eco Energie Tertiaire. Il impose aux propriétaires et occupants de ces immeubles de réduire les consommations d'énergie finale d'au moins 40 % en 2030, 50 % en 2040 et 60 % en 2050 par rapport à une année de référence, à choisir entre 2010 et 2019. Une obligation de déclaration annuelle, via la plateforme en ligne Operat, doit permettre d'évaluer l'atteinte de l'objectif. En cas de loupé, des sanctions sont prévues : jusqu'à 1 500 € d'amende administrative pour les personnes physiques et 7 500 € pour les personnes morales.

« A l'avenir, des rénovations globales pourront être lancées »

« Chaque actif de Patrizia a un plan d'investissement qui couvre aussi bien la valorisation de l'immeuble que son efficacité énergétique. Nous avons en effet acté il y a cinq ans une stratégie globale de décarbonation et de réduction des consommations énergétiques de nos bâtiments, qui sont en majorité logistiques en France. Le remplacement des luminaires par un éclairage led, l'installation de compteurs et de capteurs intelligents avec des systèmes de gestion technique centralisée (GTC) très modernes ou encore l'intégration de panneaux photovoltaïques en toiture font partie des principales actions menées. A l'avenir, d'autres leviers pourront être actionnés, comme la rénovation globale avec isolation, en particulier des ouvrants. »

 

Jérôme Delaunay, responsable de la France pour l’investisseur paneuropéen Patrizia.

Operat fera bientôt salle comble

Les mauvais élèves sont désormais ultraminoritaires. Fin mars, 532 millions de m² assujettis au dispositif Eco Energie Tertiaire étaient déclarés sur la plateforme Operat, pilotée par l'Ademe et qui agrège toutes les données. Ils sont répartis sur 174 817 sites et ont consommé 83,2 TWh pour l'année 2021. Rappelons que 547,7 millions de m² tertiaires (surfaces de plus de 1 000 m²) sont concernés par cette obligation. Cette première déclaration a été repoussée deux fois : du 30 septembre 2021 au 30 septembre 2022, à cause de la pandémie. Puis du 30 septembre 2022 au 31 décembre 2022, au nom de la « tolérance »… mais surtout face à une majorité de retardataires : seulement 150 millions de m² avaient été renseignés à cette date. L'article R. 185-2 du Code de la construction et de l'habitation prévoit des mises en demeure pour les propriétaires et locataires n'ayant pas toujours pas rempli leurs obligations. Le ministère de la Transition écologique ne connaît pas leur nombre exact et ne communique pas sur le volume potentiel d'avertissements.

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