Dans le nord-est de Paris, le triangle « Eole Evangile » (XIXe), avait été une vraie usine à gaz. Sans aucun jeu de mots. Sur cette emprise de 1,3 ha utilisée - et usée - jusqu'en 1955 par EDF-GDF, puis par des services techniques municipaux, le promoteur Linkcity, les architectes de TVK et les paysagistes d'OLM ont entrepris de mener une opération immobilière compatible avec le développement de milieux naturels.
En 2014, Eole Evangile figurait sur la liste des sites du premier appel à projets urbains innovants Réinventer Paris, lancé par la Ville. Dans le cadre de cette procédure, promoteurs et concepteurs étaient appelés à faire alliance pour soumettre des projets rivalisant de qualité architecturale, d'innovations et de vertu écologique. Linkcity et son équipe, dont CDC Biodiversité fait partie, ont alors tiré une carte verte de leur manche et remporté la mise avec leur projet baptisé « Ilot fertile ».
Les 35 000 m² SP de ce nouveau morceau de ville se sont ainsi glissés dans un site corseté par des infrastructures routières et surtout ferroviaires. Depuis le lancement du chantier, en août 2019, quatre immeubles ont été construits pour abriter une variété d'usages : du logement, de l'hôtellerie, des bureaux, de la logistique ainsi qu'un centre sportif UCPA. Et dans ce microquartier vanté par Linkcity comme « bas carbone en construction et zéro carbone en exploitation », ces édifices de pierre massive sobres mais soignés ont été organisés comme un écrin pour la biodiversité.

Faune et flore à tous les étages. « De par sa connectivité à des emprises ferroviaires accueillantes pour les espèces, le site représentait, en lui-même, un terrain favorable », souligne Jean-Christophe Benoit, directeur du développement et du réseau chez CDC Biodiversité. Puisque martinets et pipistrelles fréquentaient les environs, il fallait leur ménager une place dans le nouveau secteur. La faune et la flore devaient pouvoir s'installer à tous les étages, à commencer par le niveau du sol, sur la voie piétonne publique, ouverte en permanence.
Au milieu des immeubles, dont trois ont été livrés fin juin, cette rue, rétrocédée à la Ville fin mai, permet de traverser le site d'est en ouest par un cheminement de dalles enherbées. On peut aussi faire une halte sur ses 1 000 m² de jardin en pleine terre. Pour mériter le qualificatif de fertile, l'îlot ne dispose d'aucun parking souterrain qui aurait obligé à réaliser un aménagement paysager sur dalle. « Peu de terrains à Paris auraient permis de créer des espaces de pleine terre aussi généreux, remarque Solange Jimenez, directrice d'opérations chez Linkcity. Et en densifiant en hauteur, nous avons pu préserver d'autant plus de mètres carrés au sol. » Pour que le site soit réellement fécond, il a fallu d'abord casser de grandes étendues d'enrobé. « Et comme les sols ainsi imperméabilisés sont quasi morts, de la terre végétale a dû être amenée », précise Jean-Christophe Benoit. Avant cela, des graines de géraniums pourpres qui avaient réussi à prospérer sur ce terrain hostile avaient été collectées pour être semées à terme.

Nichoirs variés. A cette rue-jardin viennent s'ajouter les potagers et les vergers des terrasses du rez-de-jardin mais aussi quelque 1 700 m² de toitures végétalisées, ou plus précisément biosolaires. Des panneaux photovoltaïques sont en effet insérés entre des petits merlons plantés. « Ce principe est déjà utilisé ailleurs en Europe mais il était jusqu'ici peu développé en France, et pas à une telle échelle », souligne Solange Jimenez.

Ces espaces plantés d'une surface totale de 3 800 m², qui doivent encore s'épanouir, multiplient leurs chances d'attirer les espèces animales. « Nous avons veillé à créer des milieux variés, explique Silvia Zagheno, paysagiste chez OLM. Dans le jardin, les différentes strates - celle haute des arbres, l'intermédiaire des vi-vaces et la basse des pelouses - génèrent une biodiversité végétale qui elle-même sera habitée par des animaux différents. » Abeilles et bourdons devraient aussi être friands des espèces mellifères des potagers et des vergers, tandis que les oiseaux aimeront y picorer les fruits. Afin de compléter la palette végétale, toutes sortes de nichoirs à insectes, oiseaux ou chauves-souris ont été installés. Pour les martinets, des cavités ont même été créées dans l'épaisseur des acrotères des immeubles. Pour l'heure, le migrateur se laisse encore désirer. Si bien qu'un enregistrement de ses criaillements est diffusé pour l'amadouer. CDC Biodiversité, qui opérera une veille sur le site pendant dix ans, pourra vérifier l'efficacité du subterfuge.
